Enquête

Grève à i-Télé : les étudiants en alternance pris entre deux feux

Le conflit qui dure depuis trois semaines pose des questions juridiques aux étudiants en alternance.
Le conflit qui dure depuis trois semaines pose des questions juridiques aux étudiants en alternance. © Nicolas Tavernier / R.E.A
Par Catherine de Coppet, publié le 10 novembre 2016
1 min

Déclenchée par l’arrivée sur l’antenne de Jean-Marc Morandini, la grève des personnels de la chaîne d’info en continu i-Télé dure depuis le 17 octobre. Deux jeunes étudiants en journalisme, embauchés en alternance par la chaîne, ont accepté de témoigner de la difficulté de leur situation, au carrefour entre les études et la vie professionnelle.

"Je savais que le métier de journaliste était difficile, mais je n’imaginais pas qu’il pouvait y avoir un malaise aussi profond." Pour Nathan*, 24 ans, le conflit qui dure depuis plus de trois semaines à i-Télé, chaîne d’informations en continu propriété de Vincent Bolloré, a pris la tournure d’un baptême du feu.

Nathan, en M1 de journalisme digital à l’IEJ (Institut européen de journalisme), a démarré son contrat pro début septembre. "J’étais tout excité de travailler à i-Télé, c’est une vraie chance pour moi", raconte-t-il.

Quelques semaines plus tard, la grève éclate, déclenchée par l’arrivée de l’animateur Jean-Marc Morandini, mis en examen pour "corruption de mineur aggravée". Le résultat, aussi, de longs mois de tensions entre la direction du groupe et les personnels. "J’ai débarqué, bien malgré moi, dans cette grève, mais très vite je me suis senti impliqué : après tout, c’est bien l’avenir de l'indépendance du journalisme dont il est question !" Nathan décide aussitôt de soutenir le mouvement et de voter la grève.

Lire aussi : Réussir ses études en alternance

Idem pour Julie*, dans la même classe que Nathan, embauchée également en septembre en contrat pro. "L’arrivée de Morandini m’a posé un vrai problème moral, ma responsable m’a conseillé de m’inscrire à la Société des journalistes. Ce que j’ai fait. Au moment du vote de la grève, je me suis sentie autorisée à donner mon avis, je l’ai donc votée !"

Contrat pro et droit de grève

En tant que contrat pro, la situation de Nathan et Julie n’est cependant pas sans poser question. Salariés à part entière de l’entreprise, ils sont dans le même temps inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur, et la validation de leur M1 est liée au fait d’honorer leur contrat dans l’entreprise. "Le contrat de professionnalisation équivaut à un CDD, et à cet égard le salarié a les mêmes droits que tous les autres, y compris le droit de grève", précise Eva Touboul, avocate en droit du travail.

Pour le moment, même grévistes, les deux jeunes alternants n’ont, semble-t-il, pas été comptabilisés comme tels par la direction. "Quand le service RH passe pour compter le nombre de grévistes, il me note comme ‘contrat pro’, explique Julie. De fait, j’ai été payée fin octobre." Une situation bancale. "Vu la durée du mouvement ça m’arrange", souligne la jeune journaliste. "J’ai la chance d’être encore chez mes parents, mon salaire est un plus, explique Nathan, mais je me sens solidaire, je vais du coup contribuer à la caisse de grève avec une partie de mon salaire !"

Profiter de ce temps pour apprendre

Au-delà des questions d’argent, la grève est venue bouleverser le planning des alternants. "Je vais au travail mais ma fonction n’existe plus. Je tourne un peu en rond, je pourrais avoir l’impression de perdre du temps, mais je le ressens plus comme un apprentissage", explique Julie, qui n’oublie pas l’impact de ce mouvement sur sa conscience politique. "Humainement, je me découvre, je me rends compte de ce que je suis prête à accepter ou non. J’avais déjà la sensation que le monde du travail était dur, ça se confirme, mais j’apprends plein de choses sur ce thème qui m’intéresse."

Même son de cloche chez Nathan. "C’est ma première grève en tant que salarié, renchérit-il, je mets ce temps libre à profit pour rencontrer le plus possible les professionnels chevronnés qui sont sur place, parler avec eux des sujets d’actualité ! Je passe du temps aussi sur les outils à disposition pour progresser, par exemple en montage."

Rompre le contrat ?

Quid de la suite ? "Beaucoup de gens souhaitent quitter la chaîne si Morandini reste. J’ai dit à ma responsable de me prévenir si elle décidait de partir, afin que je puisse chercher éventuellement ailleurs, souligne Julie. Je n’ai pas envie, moi non plus de rester dans ces conditions, mais la question est ce que je peux faire vis-à-vis de l’école." De fait, en contrat pro, c’est l’entreprise embauchant l’étudiant qui verse à un organisme un certain montant, reversé ensuite à l’école. "Si je romps le contrat, je ne serai pas en mesure de rembourser ces 7.000 € à l’école !", résume Julie.

"Le contrat pro est bipartite, il est signé entre l’étudiant et l’entreprise, nuance Eva Touboul, il peut être rompu comme un CDD, d’un commun accord par les deux parties, sans indemnité. Le fait que la grève empêche les alternants de suivre correctement leur formation pourrait être un motif pour eux de chercher à partir. Mais à condition que l’employeur soit d’accord. Un départ sans accord équivaut à un abandon de poste, donc à une faute grave."

L’école n’est pas impliquée juridiquement dans le contrat, mais pourrait mettre en question la validation de l’année d’études. "Dans un cas pareil, nous tenterions d’exfiltrer l’étudiant, soit vers une autre entreprise pour changer de contrat pro, soit vers le cursus temps plein, hors alternance. Nous l’avons déjà fait !", estime Éric Nahon, directeur adjoint de l’IPJ-Paris Dauphine, l’une des 14 écoles reconnues par la profession.

Nathan n'est pour l'heure pas inquiet. "Je n’ai pas pris la peine de me renseigner sur mes droits, je me sens combatif et dans le mouvement. Je me poserai ces questions à la fin du conflit, et, évidemment, je commence à me renseigner. Mais je suis jeune et je n’ai pas beaucoup d’expérience. Je risque de me mettre en danger si je pars sur un coup de tête, et j’aimerais valider mon année, c’est sûr !"

*Les prénoms ont été changés.

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