Reportage

Recherche d’emploi : les étudiants handicapés apprennent à "se vendre"

Par Camille Pons, publié le 15 février 2018
Durée de lecture : 
6 min

Massim, Sébastien, Fernand... ils étaient 24 étudiants en situation de handicap à participer, le 9 février 2018, à un forum emploi qui leur était totalement dédié. Le plus pour eux ? Avoir pu parler sans crainte de leurs futurs aménagements qui font partie, de fait, du rituel de l'entretien. Retour d’expériences.

"J'ai passé six entretiens, j'aurais aimé en faire encore plus !" Sébastien est enjoué "d'avoir pu découvrir en face-à-face le milieu pro". Ce sont ses mains qui le disent, et Caroline, sa "prête-voix", visiblement ravie d'avoir joué son binôme toute la matinée. L'étudiant est malentendant profond.

Inscrit en deuxième année de DUT Génie électrique et informatique industrielle, il a participé ce vendredi 9 février au forum alternance emploi handicap organisé par son université, Toulouse 3 Paul Sabatier, en vue d'y décrocher son stage de fin d'études. Un événement dédié aux étudiants handicapés, dont c’était la troisième édition cette année.

L'étudiant a "tapé dans l'œil" de plusieurs recruteurs – 16 présents ce jour là –, mais il n'est pas le seul. Les représentantes de l'entreprise de services numériques Atos confient être intéressées par 4 des 10 profils rencontrés, celles de la Société pour l'informatique industrielle par 3 d'entre eux, et l'entreprise de conseil en ingénierie Altran par 2 d'entre eux.

Un regard différent

Outre le fait de pouvoir développer des compétences attendues en entreprise, comme le relationnel, l'atout principal de ce forum, selon l'avis unanime des étudiants, est qu'il est fait pour eux. Et que les recruteurs, à l'inverse des forums généralistes, sont "au courant de leur situation".

Massim, étudiant en première année de master Systèmes et microsystèmes embarqués, perçoit bien les bénéfices de cet "autre regard" porté sur eux. Lui a "des trous dans la tête" et "surtout peur de prendre des coups" aux endroits où son cerveau n'est plus protégé que par la peau, conséquence d'une explosion dont il a été victime il y a six ans. Ses lésions cérébrales l'ont "réduit intellectuellement", explique-t-il, et font qu'il travaille plus lentement.

"Les recruteurs sont beaucoup plus compréhensifs par rapport à nos problèmes physiques ou sociaux", observe-t-il. "Et ils nous demandent ce dont nous avons besoin pour être à l'aise chez eux. Ils nous interrogent de manière directe mais pas indiscrète !"

L’université avait préparé les étudiants avant le forum. Grâce notamment à la programmation des rendez-vous et des prises de contact effectuées en amont par les recruteurs, demandant aux étudiants de leur envoyer un CV. "L'étudiant comprend ainsi qu'il a déjà mis un pied dans l'entreprise", analyse Fabyenne Borloz, de l'université Paul Sabatier, chargée de l'accompagnement vers l'insertion professionnelle des étudiants en situation de handicap.

Prendre en compte les compétences, avant le handicap

Résultat ? "Ils viennent en confiance", constate Christel Cayet, la chargée de mission handicap Sud-Ouest d'Altran. "Mais si vous me demandez ce que je vais regarder d'abord, ce sera la compétence ! La question de l'aménagement vient après." Sur ce forum, deux aspects intéressent particulièrement la représentante d'Altran : venir recruter des étudiants qui développent des compétences en lien avec son cœur du métier, tout en contribuant à servir "les valeurs que souhaite promouvoir la direction".

Or rien de tel que "d'intégrer des personnes handicapées pour susciter en interne une empathie plus naturelle". Pour rappel, toutes les entreprises de plus de 20 salariés ont aujourd’hui l’obligation de recruter des travailleurs handicapés dans une proportion de 6 % de l'effectif total de l'entreprise.

Forum emploi handicap Toulouse © UPS

Pour autant, les étudiants savent se vendre avec leur handicap. Massim le signale dans ses lettres de motivation. Sébastien, lui, insiste auprès des recruteurs : "Pas de problème, j'ai mon ardoise, mon téléphone, on pourra toujours communiquer !" Et Fernand, malentendant appareillé, explique bien qu'il n'a besoin, pour percevoir les sons, que d'équiper en micro haute-fréquence les animateurs des réunions.

Débriefings au programme

Les entreprises jouent le jeu : 4 stages et 3 alternances avaient pu être décrochés par ce forum en 2017. Non négligeable quand les chiffres montrent que les handicapés ont trois fois moins de chances d'avoir un emploi (Dares, 2017).

Après 10 entretiens, sur les quelque 200 réalisés au total ce jour là, Fernand qui "ne savai[t] pas faire la démarche jusque là", se dit "content de l'image" qu'il a pu donner et très satisfait que les recruteurs l'aient d'abord interrogé sur son parcours. Massim garde quant à lui de son premier stage chez Airbus, décroché lors de la première édition du forum, le souvenir d'"une expérience extrêmement positive", grâce notamment à sa tutrice qui prenait soin de s'agenouiller lorsqu'elle venait lui parler à son bureau pour limiter son stress de prendre des coups.

Nouveauté cette année, une séance de débriefings est programmée à la suite du forum avec les étudiants et des représentants d'Altran, avec qui Toulouse 3 a signé une convention en décembre dernier. Objectif : "faire remonter les difficultés et leur donner des conseils". En amont, les étudiants avaient également visité la société. En plus de rencontres avec des chefs de projets et la participation à un brainstorming autour d'un projet de robotique, ils ont bénéficié d'une séance de travail sur les CV et de simulations d'entretiens.

Un forum pour accompagner les étudiants handicapés dans leurs recherches

Le forum, dont la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi), l'Agefiph et Cap Emploi sont partenaires, a été initié il y a trois ans par la chargée de mission APIPESH (Accompagnement personnalisé vers l'insertion professionnelle des étudiants en situation de handicap), Fabyenne Borloz, en collaboration avec les missions Handicap et Formation continue, le SCUIO-IP et le vice-président délégué à la responsabilité sociale et sociétale.
Une initiative née du constat que, dans de nombreuses entreprises, on lui disait qu'il n'y avait rien "en termes de recrutement" pour ces derniers, alors que celle-ci les accompagnait déjà par ailleurs en entretiens individuels pour la préparation de leur projet et en ateliers collectifs autour du "comportement professionnel" (se présenter, communiquer...).