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DEUXIÈME MOITIÉ DU XXE SIÈCLE - LES ORIGINES ET LES DÉBUTS DE LA GUERRE FROIDE

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Par La cellule contenu de l’Etudiant, publié le 20 avril 2009
49 min


Les origines et les débuts de la Guerre froide

Entre [...] = indications hors texte. 

 

" Il y a les sceptiques - c'est moi tout seul , - qui dis vous êtes tous des bons jobards, Hitler n'a pas pu casser les reins à Staline, c'est vrai, grosse déception pour le capitalisme mondial et pour les dames qui donnent à la quête, mais il a quand même fait du bon boulot, ne serait-ce que toute cette Europe cassée qu'il va falloir rebâtir, tout ce bon matériel de guerre envolé en fumée ou coulé au fond de l'onde amère, ça a déjà fait circuler pas mal de fric, ça n'a pas fini. Staline n'est pas assez con pour se lancer dans la révolution universelle, c'est bon pour des Lénine, des Trotski, Staline a une bonne place, il vient de se la consolider, du granit, il s'est nommé maréchal de l'URSS, maintenant il est vieux, il est fatigué, il s'est bien marré, il va se regarder dans la glace avec son bel uniforme et manger des gaufrettes, ça m'étonnerait même qu'il vienne jusqu'ici. Vous en faites pas, ça se terminera entre bons compères, comme celle de Quatorze, tu me donnes Varsovie, je te donne Ouagadougou, tout le monde encule tout le monde et au bout du traité il y a la Troisième Mondiale, automatique, la routine."
François Cavanna, Les Russkoffs, Prix interallié, 1979
"(En 1945) Toutes les conditions semblent réunies, institutionnelles, politiques, psychologiques, pour préserver la liberté et la paix.
Or, moins de deux ans après, les vainqueurs sont désunis; le terme "désunis" est même faible pour caractériser la situation de 1947. Deux blocs hostiles se dressent l'un contre l'autre dans une forme de guerre inédite pour laquelle on a été obligé d'inventer un nom, plus exactement une image, celle de la guerre froide. La situation de 1947 est aussi différente que possible de ce que le monde espérait en 1945."
René Rémond, Le XXe siècle de 1914 à nos jours, p. 170-171
"1. La guerre froide est née de l'affaiblissement dramatique de l'Europe. Elle est la fille de la Deuxième guerre mondiale. C'est qu'en 1945, à l'exception des Etats-Unis et de l'Union soviétique qui ont souffert inégalement du conflit, il n'y a que des vaincus. L'Allemagne et l'Italie, d'un côté, la Grande-Bretagne et la France, de l'autre, ont perdu l'essentiel de leur influence. (...) Les deux supergrands sont face à face. L'Europe, principal champ clos des rivalités entre les Etats-Unis et l'Union soviétique, est entrée dans la bipolarisation.
2. Les Etats-Unis et l'Union soviétique sont deux puissances messianiques , encore que leurs messianismes soient contradictoires. Chacune des sociétés propose un modèle, non point seulement un modèle politique ou économique, mais un modèle de civilisation, un choix fondamental. Chacune considère qu'il est de son devoir, de sa mission, voire de son essence de se faire le champion de cette civilisation, de se porter à la tête d'un camp. (...)
3. De toute évidence, chacun des supergrands perçoit mal les intentions de l'autre. Ou bien les exagère. Les Américains ont tendance à imaginer le pire, qu'il s'agisse de la Roumanie, de la Pologne, de la Hongrie, qu'il s'agisse de la Grèce et de la Turquie, qu'il s'agisse de l'Europe occidentale. Ils constatent que, partout où elle est présente, l'Armée rouge donne à l'Union soviétique l'occasion de grignoter l'influence des Occidentaux, qu'un empire se crée à l'est de l'Elbe, qu'il pourrait bien s'étendre à l'ouest, voire au sud, que les Soviétiques ont des intentions expansionnistes qui ne laissent pas d'inquiéter."
KASPI André. Débat sur la guerre froide.
« Pourquoi raconter l'histoire de la guerre froide ? Parce que, bien souvent sans que nous nous en rendions compte, elle nous a tous façonnés. Elle a affecté nos croyances et nos habitudes, la façon dont on vit à San Francisco et à Pékin, à La Havane et à Kinshasa ; elle a coupé des villes et des pays en deux, détruit et créé des nations, fait porter les armes à des dizaines de millions d'hommes, tué des centaines de milliers d'entre eux, rempli les bagnes politiques, suscité l'enthousiasme, la souffrance et la peur et, comme toutes les grandes épreuves, le meilleur et le pire. Il est vain de se demander ce qui se serait passé si elle avait été évitée - sans doute d'ailleurs ne pouvait-elle pas l'être. En revanche, il n'est peut-être pas inutile d'en rappeler l'évolution quand ce ne serait que pour nous persuader, devant les certitudes en apparence les plus assurées, - que le monde est en perpétuel devenir et que les renversements qui se sont produits hier peuvent très bien se reproduire demain. Qu'on songe seulement que la Russie soviétique, en un demi-siècle, aura été successivement l'alliée, ou l'associée, de l'Allemagne contre les signataires du traité de Versailles, de la France contre Hitler, de Hitler contre la France, l'Angleterre et la Pologne, de l'Angleterre et des États-Unis contre Hitler, de la Chine contre les États-Unis avant que ceux-ci à partir de 1971 deviennent les alliés de fait de celle-là. »
André Fontaine, Histoire de la guerre froide, tome 1, Paris, Seuil, Coll. « Point histoire ». Ed. de 1983

Notion de BLOC

« Cette période est dominée par la notion de bloc, c'est-à-dire l'existence d'ensembles, en fait deux, s'opposant l'un à l'autre dans tous les domaines. Tout pays, toute situation se trouvent en quelque sorte contraints de se définir par rapport à cette notion, de se lier à l'un-ou-l'autre des blocs. C'est l'ère de l'exclusive et du manichéisme.
Cette logique de la guerre froide, selon laquelle celui qui n'est pas un allié ne peut être qu'un ennemi, implique l'organisation de blocs. Le bloc a deux caractères :
a/ Il exige une union globale, qui touche les armées, les économies, les régimes et, bien sûr, la politique internationale. Le concept de guerre froide suggérant un conflit total et permanent, l'alliance classique ne saurait convenir : le dispositif doit, lui aussi, être total et permanent. Le caractère quasi-religieux de l'affrontement idéologique efface toute frontière entre politique intérieure et politique extérieure. Enfin, le bloc tend à imposer une manière de vivre à l'Ouest, l'« American way of life »; à l'Est, les lendemains qui chantent. (...).
b/ Le bloc s'appuie sur une puissance directrice. Celle-ci est à la fois le protecteur incontesté - même s'il est parfois pesant - et la synthèse presque parfaite des valeurs, qui assurent et justifient la solidarité du bloc. Le bloc résulte bien d'un monde où se déploient des idéologies détentrices de vérités absolues et de promesses d'un bonheur terrestre »
P. MOREAU DEFARGES, Les relations internationales dans le monde d'aujourd'hui. Les dérives de puissance, Éditions S.T.H., 1981.

L'accord des pourcentages

Visite de Winston Churchill à Moscou, 9 octobre 1944
"Nous avons atterri à Moscou l'après-midi du 9 octobre (1944) ; (...). A dix heures ce soir-là nous avons eu notre première réunion importante au Kremlin. Le moment était approprié, et j'ai dit "réglons notre conflit dans les Balkans. Vos armées sont en Roumanie et en Bulgarie. Nous avons des intérêts, des missions et des agents là-bas. Qu'il n'y ait pas de malentendu entre nous pour des petites choses. En ce qui concerne la Grande Bretagne et la Russie, pourquoi ne prédomineriez-vous pas à nonante pour-cent en Roumanie, alors que nous aurions notre mot à dire à nonante pour-cent en Grèce, et partager la Yougoslavie cinquante-cinquante ? " Pendant que cela était traduit, j'ai écrit sur une demi feuille de papier :
Roumanie
Russie.........................90 %
Les autres.....................10 %
Grèce
GB.............................90 %
(en accord avec USA)
Russie.........................10 %
Yougoslavie..................50-50 %
Hongrie.......................50-50 %
Bulgarie
Russie.........................75 %
Les autres.....................25 %
J'ai poussé ce papier vers Staline, qui avait alors entendu la traduction. Il y a eu une petite pause. Puis il a pris son crayon bleu et fait une grande coche sur le papier, qu'il nous repassa. Tout fut décidé en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire."
CHURCHILL, Winston, "Triumph and Tragedy", Houghton Mifflin, Boston, 1954, pp. 226-228

Rencontre entre de Gaulle et Staline : de la Pologne

Dans ses Mémoires, le général de Gaulle relate son entretien avec Staline, en 6 décembre 1944 à Moscou, au sujet des deux "gouvernements" polonais, l'un, pro-occidental, à Londres, l'autre, pro-soviétique, à Lublin.
"Là-dessus, vint au jour le véritable enjeu du débat. Comme nous nous y attendions, il s'agissait de la Pologne. Voulant savoir ce que, décidément, les Russes projetaient de faire à Varsovie quand leurs troupes y seraient entrées, je posai nettement la question à Staline, au cours d'une conférence que nous tînmes au Kremlin le 6 décembre. (...)
Je rappelai que, de tout temps, la France avait voulu et soutenu l'indépendance polonaise. Après la première guerre mondiale, nous avions fortement contribué à la faire renaître. (...) Nous tenions pour nécessaire que reparaisse une Pologne maîtresse de ses destinées, pourvu qu'elle soit amicale envers la France et envers la Russie. Ce que nous pouvions avoir d'influence sur les Polonais, - je précisai : " sur tous les Polonais", - nous étions résolu à l'exercer dans ce sens. J'ajoutai que la solution du problème des frontières, telle que Staline nous l'avait lui-même exposée, à savoir : "La ligne Curzon" à l'est et "l'Oder-Neisse" à l'ouest, nous paraissait acceptable. Mais je répétai qu'à nos yeux il fallait que la Pologne fût un Etat réellement indépendant. C'est donc au peuple polonais qu'il appartenait de choisir son futur gouvernement. Il ne pourrait le faire qu'après la libération et par des élections libres. Pour le moment, le gouvernement français était en relation avec le gouvernement polonais de Londres, lequel n'avait jamais cessé de combattre les Allemands. S'il devait arriver qu'un jour la France fût amenée à changer cela, elle ne le ferait que d'accord avec ses trois alliés.
Prenant la parole à son tour, le maréchal Staline s'échauffa. A l'entendre, grondant, mordant, éloquent, on sentait que l'affaire polonaise était l'objet principal de sa passion et le centre de sa politique. Il déclara que la Russie avait pris "un grand tournant" vis-à-vis de cette nation qui était son ennemie depuis des siècles et en laquelle, désormais, elle voulait voir une amie. Mais il y avait des conditions. "La Pologne, dit-il, a toujours servi de couloir aux Allemands pour attaquer la Russie. Ce couloir, il faut qu'il soit fermé, et fermé par la Pologne elle-même." Pour cela, le fait de placer sa frontière sur l'Oder et sur la Neisse pourrait être décisif, dès lors que l'Etat polonais serait fort et "démocratique". Car, proclamait le maréchal, "il n'y a pas d'Etat fort qui ne soit démocratique".
Staline aborda, alors, la question du gouvernement à instaurer à Varsovie. Il le fit avec brutalité, tenant des propos pleins de haine et de mépris à l'égard des "gens de Londres", louant hautement le "Comité de Lublin", formé sous l'égide des Soviets, et affirmant qu'en Pologne, celui-ci était seul attendu et désiré. Il donnait à ce choix, qu'à l'en croire aurait fait le peuple polonais, des raisons qui ne démontraient que son propre parti pris. "Dans la bataille qui libère leur pays, déclara-t-il, les Polonais ne voient pas à quoi servent le gouvernement réactionnaire de Londres et l'armée d'Anders. Au contraire, ils constatent la présence et l'action du "Comité de la libération nationale" et des troupes du général Berling. Ils savent, d'ailleurs, que ce sont les agents du gouvernement de Londres qui furent cause de l'échec de l'insurrection de Varsovie, parce qu'ils la déclenchèrent avec la pire légèreté, sans consulter le commandement soviétique et au moment où les troupes russes n'étaient pas en mesure d'intervenir. En outre, le Comité polonais de la libération nationale a commencé d'accomplir sur le territoire libéré une réforme agraire qui lui vaut l'adhésion enthousiaste de la population. Les terres appartenant aux réactionnaires émigrés sont distribuées aux paysans. C'est de là que la Pologne de demain tirera sa force, comme la France de la Révolution tira la sienne de la vente des biens nationaux."
Staline, alors, m'interpella : "Vous avez dit que la France a de l'influence sur le peuple polonais. C'est vrai ! Mais pourquoi n'en usez-vous pas pour lui recommander la solution nécessaire ? Pourquoi prenez-vous la même position stérile que l'Amérique et l'Angleterre ont adoptée jusqu'à présent ? Nous attendons de vous, je dois le dire, que vous agissiez avec réalisme et dans le même sens que nous." Il ajouta, en sourdine : "D'autant plus que Londres et Washington n'ont pas dit leur dernier mot. - Je prends note, dis-je, de votre position. J'en aperçois les vastes conséquences. Mais je dois vous répéter que le futur gouvernement de la Pologne est l'affaire du peuple polonais et que celui-ci, suivant nous, doit pouvoir s'exprimer par le suffrage universel." Je m'attendais à quelque vive réaction du maréchal. Mais, au contraire, il sourit et murmura doucement : "Bah ! nous nous entendrons tout de même."
Charles de Gaulle, "Mémoires de guerre", tome III, "Le salut, 1944-1946", Paris, Plon (coll. Le livre de poche), 1959, pp. 78-80.

L'ensemble du dialogue, résumé ici par de Gaulle, se trouve dans le même volume (pp. 383-390) et contient de petites différences qui ne remettent pas en cause le fond, sinon que la remarque finale concernait tous les pays de l'est et pas seulement la Pologne.

Message de Churchill au président Truman, 12 mai 1945

"(...) Que se passera-t-il entre temps du côté de la Russie ? J'ai toujours travaillé pour l'amitié avec les Russes mais, comme vous, j'éprouve une inquiétude très vive en raison de leur interprétation erronée des décisions de Yalta, de leur attitude envers la Pologne, de leur influence écrasante dans les Balkans, la Grèce exceptée, des difficultés qu'ils créent au sujet de Vienne, de la combinaison de leur puissance dans les territoires occupés ou contrôlés par eux avec l'emploi de la tactique communiste dans tant d'autres pays, et surtout de la possibilité qu'ils ont d'entretenir pendant longtemps d'immenses armées en campagne. Quelle sera la situation dans un an ou deux ? A cette date les armées américaines et britanniques auront fondu, les Français ne seront pas encore organisés sur une grande échelle, et nous ne disposerons que d'une poignée de divisions, en grande partie française, tandis que la Russie sera libre de décider qu'elle peut en garder 200 à 300 en service actif ?
Un rideau de fer s'est abaissé sur leur front. Nous ignorons tout de ce qui se passe derrière. Il semble bien probable que l'ensemble des régions situées à l'est de la ligne Lübeck - Trieste - Corfou sera bientôt complètement entre leurs mains. Il faut y ajouter les vastes territoires conquis par les armées américaines entre Eisenach et l'Elbe qui, je suppose, seront occupés par les Russes dans quelques semaines, lorsque vos troupes s'en retireront. Le général Eisenhower devra prendre toutes les dispositions possibles pour prévenir un nouvel exode massif des populations allemandes, lorsque les Moscovites effectueront cette avance énorme au centre de l'Europe. Et puis le rideau de fer descendra de nouveau, très bas, jusqu'au sol peut-être. Une bande de territoires large de plusieurs centaines de kilomètres et occupée par les Russes nous isolera dès lors de la Pologne."
extrait de Winston Churchill "Mémoires sur la 2e Guerre mondiale", tome VI, 1953

A la fin août 1945 (du 22 au 24 août), le général de Gaulle rencontre Truman.

" (...) Le nouveau Président avait renoncé au plan d'une harmonie mondiale et admis que la rivalité du monde libre et du monde soviétique dominait tout, désormais. L'essentiel consistait donc à éviter les querelles entre Etats et les secousses révolutionnaires, afin que tout ce qui n'était pas communiste ne fût pas conduit à le devenir.
Quant aux problèmes compliqués de notre antique univers, ils n'intimidaient point Truman qui les considérait sous l'angle d'une optique simplifiée. Pour qu'un peuple fût satisfait, il suffisait qu'il pratiquât la démocratie à la manière du Nouveau Monde. Pour mettre fin aux antagonismes qui opposaient des nations voisines, par exemple Français et Allemands, il n'était que d'instituer une fédération des rivaux, comme avaient su le faire entre eux les Etats d'Amérique du Nord. Pour que les pays sous-développés penchent vers l'Occident, il existait une recette infaillible : l'indépendance; à preuve l'Amérique elle-même qui, une fois affranchie de ses anciens possesseurs, était devenue un pilier de la civilisation. Enfin, devant la menace, le monde libre n'avait rien de mieux à faire, ni rien d'autre, que d'adopter le leadership de Washington.
Le président Truman était, en effet, convaincu que la mission de servir de guide revenait au peuple américain, exempt des entraves extérieures et des contradictions internes dont étaient encombrés les autres. D'ailleurs, à quelle puissance, à quelle richesse, pouvaient se comparer les siennes ? Je dois dire qu'en cette fin de l'été 1945 on était, dès le premier contact avec les Etats-Unis, saisi par l'impression qu'une activité dévorante et un intense optimisme emportaient toutes les catégories. Parmi les belligérants, ce pays était le seul intact. Son économie, bâtie sur des ressources en apparence illimitées, se hâtait de sortir du régime du temps de guerre pour produire des quantités énormes de biens de consommation. L'avidité de la clientèle et, au-dehors, les besoins de l'univers ravagé garantissaient aux entreprises les plus vastes débouchés, aux travailleurs le plein emploi. Ainsi, les Etats-Unis se sentaient assurés d'être longtemps les plus prospères. Et puis, ils étaient les plus forts ! Quelques jours avant ma visite à Washington, les bombes atomiques avaient réduit le Japon à la capitulation.
Le président n'envisageait donc pas que la Russie pût, de sitôt, risquer indirectement une guerre. C'est pourquoi, m'expliquait-il, les forces américaines achevaient de quitter l'Europe, à l'exception d'un corps d'occupation en Allemagne et en Autriche. Mais il pensait qu'en maints endroits la ruine, la misère, le désordre, pouvaient avoir pour conséquence l'avènement du communisme et procurer aux Soviets autant de victoires sans batailles. Au total, le problème de la paix n'était donc, suivant lui, que d'ordre économique. (...) "
extraits des Mémoires de guerre du général de Gaulle , vol. 3, pp.245-246, éd. Plon, 1959

Le mythe de Yalta "partage du monde"

fut propagé par les Républicains américains dans leur campagne contre l'administration démocrate, et par les gaullistes en France.
"Or, par la prime qu'il accorde si allégrement au cynisme de Staline, Yalta, loin de déboucher sur la paix pour longtemps, débride toutes les audaces du réalisme soviétique: en vérité, non seulement la soviétisation de toute l'Europe orientale, mais encore le coup d'Etat de Prague, l'affaire coréenne, l'affaire indochinoise, la victoire de Mao-Zedong, le blocus de Berlin, l'affaire de Cuba, l'imbrication de la manoeuvre communiste dans le drame de la ségrégation raciale aux Etats-Unis pour le troubler et l'exaspérer, sont en germe dans les accords du 11 février 1945. C'est à Yalta que le Communisme international prend conscience de la candeur de l'Occident. Dès lors, il ne se lassera plus d'essayer de l'abuser. La témérité de Roosevelt fait frémir. (...)
De ce jour-là aussi date en fait la séparation des deux Allemagnes, si redoutable à tous égards. L'un des faits essentiels à noter est que la conférence de Yalta entrouvre la faille qui va s'approfondir au milieu de l'Europe et dont Washington répugnera, pendant deux ans, à reconnaître l'existence. Comme l'écrira Pierre Frederix: " L'U.R.S.S. ne participera pas à l'administration effective de la Bavière, mais les Etats-Unis renonceront à celle de la Saxe et du Brandebourg ... De même que Téhéran préparait l'abandon des Balkans à l'Empire soviétique, Yalta prépare le partage de l'Europe en deux blocs..."
CONTE Arthur, Yalta ou le partage du monde, Laffont, Paris, 1964. p. 440

Winston Churchill, Discours public à l'Université Fulton (Missouri), le 5 mars 1946

"Quelles sont les tâches que nous nous sommes assignées ? Elles consistent à assurer la sécurité, le bien-être, la liberté et la marche vers le progrès des foyers et des familles, de tous les hommes et de toutes les femmes de tous les pays. Si l'on veut que ces foyers innombrables jouissent de la sécurité, nous devons les mettre à l'abri de deux terribles intruses : la guerre et la tyrannie (...).
Un organisme mondial a été constitué, dont la mission première est d'empêcher la guerre.
Je tiens, à ce propos, à formuler une proposition concrète. Les tribunaux et les magistrats seraient impuissants sans la police. Il faut que l'organisation des Nations unies soit dotée sans tarder d'une force armée internationale. Dans ce domaine, nous ne pouvons avancer que pas à pas, mais il nous faut commencer dès à présent. Je propose que chaque puissance et chaque Etat soient invités à mettre un certain nombre de troupes d'aviation au service de l'organisme mondial.
Ces groupes seraient entraînés et équipés dans leurs propres pays, mais ils voyageraient d'un pays à un autre en obéissant à un mouvement de rotation ; ils porteraient l'uniforme de leur pays avec des insignes différents, on ne leur demanderaient pas de passer à l'action contre leur patrie, mais en toute autre circonstance ils recevraient leurs ordres de l'organisation mondiale. Celle-ci pourrait débuter sur une échelle modeste et grandir en même temps que la confiance.
J'en viens au second danger qui menace le monde : la tyrannie. Nous ne pouvons pas fermer les yeux devant le fait que les libertés dont jouit chaque citoyen sur toute l'étendue de l'Empire britannique n'existent pas dans un grand nombre de pays, dont certains sont très puissants. Dans ces Etats, le peuple est assujetti à toutes sortes de contrôles exercés par le gouvernement. Le pouvoir de l'Etat est exercé sans restriction, soit par des dictateurs, soit par des oligarchies fermées agissant par l'entremise d'un parti privilégié et d'une politique de parti (...).
Une ombre est descendue sur les scènes si récemment éclairées par la victoire alliée. Nul ne sait ce que la Russie soviétique et son organisation internationale communiste entendent faire dans l'immédiat et qu'elles sont les limites, s'il y en a, à leur mouvement d'expansion et de prosélytisme. J'ai beaucoup d'admiration et d'amitié pour le vaillant peuple russe et pour mon camarade de combat, le maréchal Staline. Il existe en Grande-Bretagne - et je n'en doute pas, ici également - beaucoup de sympathie et de bonne volonté à l'égard des peuples de toutes les Russies, et une détermination à préserver, à établir, malgré différences et querelles, une amitié durable (...). Il est cependant de mon devoir de vous exposer certains faits concernant la situation actuelle en Europe.
De Stettin, dans la Baltique, à Trieste, dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. Derrière cette ligne se trouvent les capitales de tous les pays de l'Europe orientale : Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia. Toutes ces villes célèbres, toutes ces nations se trouvent dans la sphère soviétique, et toutes sont soumises, sous une forme ou sous une autre, non seulement à l'influence soviétique, mais encore au contrôle très étendu et constamment croissant de Moscou. Athènes seule, avec sa gloire immortelle, est libre de décider de son avenir par des élections auxquelles assisteront des observateurs britanniques, américains et français (...). Les communistes, qui étaient plus faibles dans tous ces pays de l'Est européen, ont été investis de pouvoirs qui ne correspondent nullement à leur importance numérique, et cherchent partout à s'emparer d'un contrôle totalitaire. Sauf en Tchécoslovaquie, il n'existe pas dans cette partie de l'Europe, de vraie démocratie (...).
Les Russes installés à Berlin tentent de mettre sur pied un parti quasi communiste dans leur zone d'occupation en Allemagne, en accordant un traitement de faveur à des groupes de dirigeants allemands de gauche. (...) Si le gouvernement soviétique essaie, par une action unilatérale, de constituer une Allemagne procommuniste dans sa zone, il en résultera de nouvelles et sérieuses difficultés.
Quelles que soient les conclusions que l'on tire de ces faits (...), ce n'est certainement pas là l'Europe libérée pour laquelle nous nous sommes tant battus. Ce n'est pas non plus une Europe qui renferme les germes essentiels d'une paix durable. (...)
Cependant, dans un grand nombre de pays éloignés des frontières russes, et à travers le monde entier, les cinquièmes colonnes communistes s'installent et travaillent dans une unité complète avec une obéissance absolue aux directives du centre communiste. Dans l'Empire britannique et aux Etats-Unis, où le communisme est dans l'enfance, les partis communistes constituent un défi et une menace croissante à la civilisation chrétienne (...).
Je ne crois pas que la Russie désire la guerre. Ce qu'elle désire, ce sont les fruits de la guerre et une expansion illimitée de sa puissance et de sa doctrine. Mais ce que nous devons examiner ici aujourd'hui, alors qu'il en est encore temps, c'est le moyen d'empêcher la guerre de façon permanente, et d'établir dans tous les pays, aussi rapidement que possible, les prémices de la liberté et de la démocratie.
Les difficultés, les dangers auxquels nous avons à faire face ne disparaîtront pas si nous nous contentons de fermer les yeux. Ils ne s'évanouiront pas davantage si nous restons à attendre ce qui se passera, ni si nous pratiquons une politique d'apaisement. Il faut trouver une solution.
J'ai appris, pendant la guerre, à connaître nos amis et alliés russes, et je suis convaincu qu'il n'y a rien au monde qu'ils admirent autant que la force, et rien qu'ils respectent moins que la faiblesse militaire."
publié par Le Monde, le 7 mars 1946

extrait en grande partie publié chez Lilly Marcou, "La guerre froide : l'engrenage", éd. Complexe, Bruxelles, 1987


Le même, plus court.

Le discours de Churchill à Fulton (Etats-Unis), 5 mars 1946
"De Stettin, dans la Baltique, à Trieste, dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. Derrière cette ligne se trouvent les capitales de tous les pays de l'Europe orientale : Varsovie, Prague, Berlin, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia. Toutes ces villes célèbres, toutes ces nations se trouvent dans la sphère soviétique, et toutes sont soumises, sous une forme ou sous une autre, non seulement à l'influence soviétique, mais encore au contrôle très étendu et constamment croissant de Moscou. Athènes seule, avec sa gloire immortelle, est libre de décider de son avenir par des élections auxquelles assisteront des observateurs britanniques, américains et français (...). Les communistes, qui étaient très faibles dans tous ces Etats de l'Est européen, ont été investis de pouvoirs qui dépassent de beaucoup leur importance et ils cherchent partout à exercer un contrôle totalitaire. Des gouvernements policiers s'installent à peu près partout, au point qu'à l'exception de la Tchécoslovaquie, il n'y a pas de vraie démocratie (...).
Dans le même temps, dans un grand nombre de pays éloignés des frontières russes, et à travers le monde entier, les cinquièmes colonnes communistes s'installent et travaillent dans une unité complète et avec une obéissance absolue aux directives du centre communiste. Dans l'Empire britannique et aux Etats-Unis, où le communisme est dans l'enfance, les partis communistes constituent un défi et une menace croissante à la civilisation chrétienne (...).
Je ne crois pas que la Russie désire la guerre. Ce qu'elle désire, ce sont les fruits de la guerre et une expansion illimitée de sa puissance et de sa doctrine. Mais ce que nous devons examiner ici aujourd'hui, alors qu'il est encore temps, c'est le moyen d'empêcher la guerre de façon permanente, et d'établir dans tous les pays, aussi rapidement que possible, les prémices de la liberté et de la démocratie (...).
J'ai appris, pendant la guerre, à connaître nos amis et alliés russes. Je suis convaincu qu'il n'y a rien au monde qu'ils admirent autant que la force, et rien qu'ils respectent moins que la faiblesse militaire."
Cité dans "Histoire Terminale", collection Quétel, éditions Bordas, 1994, p. 30

Propagande et littérature

Jdanov et les écrivains en URSS

Texte de 1946, de Jdanov, directeur de la propagande du Comité central du parti communiste et bras droit de Staline.
"Camarades, notre littérature soviétique vit et doit vivre des intérêts du peuple et de la patrie. La littérature est l'affaire propre du peuple. Voilà pourquoi le peuple considère chacun de vos succès, chacune de vos oeuvres d'importance comme sa victoire à lui. Voilà pourquoi on peut comparer chaque oeuvre réussie avec un combat gagné ou avec une grande victoire sur le front économique. Au contraire, chaque échec de la littérature soviétique est profondément et amèrement ressenti par le peuple, le Parti, l'État. (...) Vous êtes sur la première ligne du front idéologique. D'immenses tâches vous sont posées, d'une importance internationale, et cela doit stimuler le sentiment de responsabilité de chaque véritable écrivain soviétique, devant son peuple, devant l'État, devant le Parti ainsi que la conscience de l'importance du devoir à accomplir. (...).
Naturellement, c'est notre littérature, reflétant un régime supérieur à n'importe quel régime démocratique bourgeois, une culture de beaucoup de fois supérieure à la culture bourgeoise, qui a le droit d'enseigner une nouvelle morale pour toute l'humanité."
Andréï Jdanov. Sur la littérature, la philosophie et la musique. Éd. de la Nouvelle Critique, 1950

Sur Cliotexte, voyez ici les rapports Kennan et Jdanov.

Mars 1947 : la "doctrine Truman"

Le président Truman demande au Congrès de voter des crédits pour aider la Grèce et la Turquie à lutter contre le communisme. Mais il définit aussi la nouvelle politique extérieure américaine.
"Le mercredi 12 mars 1947, à 13 heures, je montai à la tribune dans la salle des séances de la Chambre des représentants et pris la parole devant le Congrès assemblé. (...) Je recommandais une action immédiate de la part du Congrès, mais je désirais aussi annoncer à la face du monde la position que les États-Unis entendaient prendre vis-à-vis du défi lancé par le nouveau totalitarisme. Cette déclaration ne tarda pas à être connue sous le nom de "doctrine Truman". Ce fut, je le crois sincèrement, le tournant décisif de la politique étrangère américaine et l'affirmation que désormais partout où une agression directe ou indirecte menaçait la paix, la sécurité des U.S.A. se trouvait mise en jeu.
« Je crois, dis-je au Congrès et à la nation tout entière qui m'écoutait à la radio, que les États-Unis doivent soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d'asservissement par des minorités armées, ou des pressions venues de l'extérieur.
Je crois que nous devons aider les peuples libres à forger leur destin de leurs propres mains.
Je crois que notre aide doit consister essentiellement en un soutien économique et financier qui est indispensable à la stabilité économique et à une vie politique cohérente ». (...)

Chaque nation se trouvait désormais en face d'un choix à faire entre deux modes de vie opposées.
(...) L'un d'eux, avais-je dit, repose sur la volonté de la majorité et il est caractérisé par des institutions libres, des garanties assurant la liberté individuelle, la liberté de parole et de religion, et l'absence de toute oppression politique.
Quant à l'autre, il repose sur la volonté d'une minorité imposée par la force à la majorité. Il s'appuie sur la terreur et l'oppression, une presse et une radio contrôlées, des élections truquées et la suppression des libertés personnelles."
Harry S. Truman, Mémoires, éd. Plon, t. II p. 123-124
cité dans J. Bouillon et coll., Le Temps présent, Histoire Terminale / Le XXe siècle depuis 1939, éd. Bordas, Paris, 1983, p. 83
Texte complet

RECOMMANDATION [AU CONGRÈS] SUR L’AIDE À APPORTER À LA GRÈCE ET À LA TURQUIE, PAR LE PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS, HARRY TRUMAN

Le texte original peut être consulté sur le site de l’OTAN. Traduction (non professionnelle) par Frédéric Stévenot
12 mars 1947. Le président Truman recommande aux membres du Congrès américain d’accepter le principe d’une aide à la Grèce et à la Turquie pour lutter contre les entreprises communistes. Il en profite pour exposer son point de vue sur la situation internationale, en Europe principalement. Sur cette base, il engage surtout la politique extérieure américaine dans une voie résolument interventionniste. Cela se traduira quelques mois plus tard par le plan Marshall.
« La gravité de la situation à quoi est confronté le monde aujourd’hui rend nécessaire mon intervention avant une session commune du Congrès. La politique étrangère et la sécurité nationale de ce pays sont concernées.
L’aspect de la situation actuelle que je souhaite soumettre maintenant à votre attention et à votre décision, concerne la Grèce et la Turquie. Les États-Unis ont reçu du gouvernement grec un appel pressant pour une aide financière et économique. Les rapports préliminaires de la mission économique américaine [qui se trouve] présentement en Grèce et les rapports de l’ambassadeur américain en Grèce corroborent le position exprimée par le gouvernement grec selon lequel l’aide est impérative pour que la Grèce puisse survivre en tant que nation libre.
Je ne crois pas que les Américains et le Congrès souhaitent faire la sourde oreille à l’appel du gouvernement grec. La Grèce n’est pas un pays riche. Le manque de ressources naturelles suffisantes a toujours obligé les Grecs à travailler beaucoup pour arriver à un résultat [tenir les deux bouts].
Depuis 1940, ce pays travailleur et pacifique a souffert de l’invasion, de quatre années d’une cruelle occupation ennemie, et d’amers différends internes.
Quand les forces de libération sont entrées en Grèce, elles ont constaté que les Allemands en retraite avaient détruit pratiquement tous les chemins de fer, les routes, les installations portuaires, les voies de communications et la marine marchande. Plus que mille villages avaient été brûlés. Cinquante pour cent des enfants étaient tuberculeux. Le bétail, les volailles et les animaux de trait avaient presque disparu. L’inflation avait éliminé pratiquement toute l’épargne.
En raison de ces conditions tragiques, une minorité armée, voulant exploiter l’homme et la misère, a été capable de créer le chaos politique qui, jusqu’ici, a rendu le rétablissement économique impossible. La Grèce est aujourd’hui sans ressources pour financer l’importation de ces marchandises qui sont essentielles pour assurer sa subsistance. Dans ces circonstances, le peuple grec ne peut pas accomplir de progrès pour résoudre ses problèmes de reconstruction. La Grèce est dans un besoin désespéré d’aide financière et économique, qui lui permettrait de reprendre ses achats de nourriture, d’habillement, de carburant et de céréales. Cela est indispensable pour la subsistance des personnes et cela ne peut être trouvé qu’à l’étranger seulement. La Grèce doit obtenir l’aide pour importer les marchandises nécessaires, afin de reconstituer l’ordre interne et la sécurité si essentiels pour le rétablissement économique et politique.
Le gouvernement grec a également demandé l’aide des administrateurs, des économistes et des techniciens américains expérimentés pour s’assurer que l’aide financière et autre octroyée en Grèce sera employée efficacement de façon à établir une économie stable et autonome, et à améliorer son administration publique.
L’existence même de l’État grec est aujourd’hui menacée par les activités terroristes de plusieurs milliers d’hommes armés, menés par les communistes, qui défient l’autorité du gouvernement en un certain nombre de points [du pays], en particulier le long des frontières septentrionales. Une commission désignée par le Conseil de sécurité des Nations Unies étudie actuellement les troubles en Grèce septentrionale et les violations de frontières présumées le long de la frontière entre la Grèce, d’une part, et l’Albanie, la Bulgarie et la Yougoslavie de l’autre.
En attendant, le gouvernement grec ne peut pas faire face à la situation. L’armée grecque est petite et mal équipée. Il a besoin d’approvisionnements et d’équipements s’il veut être en mesure de reconstituer l’autorité du gouvernement dans tout le territoire grec.
La Grèce doit obtenir l’aide [demandée], si elle veut devenir une démocratie autonome et respectée.
Les États-Unis doivent assurer cette aide. Nous avons déjà étendu à la Grèce le bénéfice de certaines mesures d’urgence et d’aide économique, mais c’est insuffisant. Il n’y a aucun autre pays vers lequel la Grèce démocratique peut se tourner.
Aucune autre nation ne dispose et ne peut fournir l’appui nécessaire au gouvernement grec démocratique.
Le gouvernement britannique, qui avait aidé la Grèce, ne peut octroyer davantage de secours financiers ou économiques après le mois de mars. La Grande-Bretagne se trouve dans la nécessité de réduire ou de supprimer ses engagements dans plusieurs régions du monde, y compris la Grèce. Nous nous sommes interrogé sur la façon dont les Nations Unies pouvaient aider à résoudre cette crise. Mais la situation exige une première action d’urgence immédiate, et les Nations Unies et ses organismes spécialisés ne sont pas en mesure de prolonger l’aide exigée par la situation.
Il est important de noter que le gouvernement grec a demandé notre aide après avoir utilisé efficacement l’aide financière et autre que nous avons pu apporter à la Grèce, et amélioré l’administration publique. Il est primordial que nous dirigions l’utilisation de tous les fonds rendus disponibles en Grèce, de telle façon que chaque dollar dépensé puisse compter pour faire avancer la Grèce vers l’autonomie, et permette d’aider à établir une économie dans laquelle une démocratie saine puisse s’épanouir.
Aucun gouvernement n’est parfait. Une des vertus primordiales dans une démocratie est, cependant, que ses défauts sont toujours évidents et, dans un cadre démocratique, peuvent être distingués et corrigés. Le gouvernement de la Grèce n’est pas parfait. Néanmoins il représente 85 % des membres du Parlement grec qui a été élu l’an dernier. Les observateurs étrangers, y compris 692 Américains, ont considéré cette élection comme étant la juste expression des opinions des Grecs.
Le gouvernement grec avait fonctionné dans une atmosphère de chaos et d’extrémisme. Il a fait des erreurs. La prolongation de l’aide à ce pays ne signifie pas que les États-Unis pardonnent tout que le gouvernement grec a fait ou fera. Nous avons condamné dans le passé, et nous condamnons [toujours] aujourd’hui, les actions extrémistes de droite ou de gauche. Nous avons conseillé la tolérance dans le passé, et nous conseillons la tolérance aujourd’hui.
Le voisin de la Grèce, la Turquie, mérite également notre attention. L’avenir de la Turquie, en tant qu’État indépendant et économiquement solide, n’est clairement pas moins assuré parmi les peuples pacifiques du monde que l’avenir de la Grèce. Les circonstances dans lesquelles la Turquie se trouve aujourd’hui sont considérablement différentes de ceux de la Grèce. La Turquie a été préservée des désastres qu’a subi la Grèce. Et pendant la guerre, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont fourni une aide matérielle à la Turquie.
Néanmoins, la Turquie a besoin maintenant de notre appui.
Depuis la guerre, la Turquie a demandé l’aide financière de la Grande-Bretagne et des États-Unis afin d’effectuer la modernisation nécessaire pour préserver son intégrité nationale.
Cette intégrité est essentielle à la conservation de l’ordre au Moyen-Orient.
Le gouvernement britannique nous a informés que, en raison de ses propres difficultés, il peut plus apporter d’aide financière ou économique à la Turquie.
Comme dans le cas de la Grèce, si la Turquie doit pouvoir obtenir l’aide dont elle a besoin, ce sont les États-Unis qui doivent les lui fournir.
Nous sommes le seul pays capable de fournir cette aide.
Je me rends pleinement compte des conséquences importantes qu’impliquerait la prolongation de l’aide des États-Unis en Grèce et en Turquie, et j’aborderai ces implications avec vous maintenant.
Un des premiers objectifs de la politique étrangère des États-Unis est la création des conditions dans lesquelles nous, et d’autres nations, pourrons établir une façon de vivre librement en dehors de toute contrainte. C’était l’un des buts fondamentaux dans la guerre avec l’Allemagne et le Japon. Notre victoire a été remportée sur des pays qui ont cherché à imposer à d’autres nations leur volonté et leur mode de vie.
Pour assurer le développement paisible des nations, en dehors de toute contrainte, les États-Unis ont pris une part importante dans l’établissement des Nations Unies. Les Nations Unies sont conçues pour assurer à tous ses membres la liberté et l’indépendance la plus durable possible. Nous ne réaliserons cependant pas nos objectifs à moins d’être disposés à aider les peuples libres à conserver leurs institutions libres et leur intégrité nationale contre les factions agressives qui cherchent à imposer à ces peuples des régimes totalitaires.
Nous ne pouvons douter que les régimes totalitaires imposés aux peuples libres, par agression directe ou indirecte, menacent les bases de la paix internationale et, par conséquent, la sécurité des États-Unis.
Les peuples d’un certain nombre de pays du monde ont récemment eu des régimes totalitaires qui se sont imposés à eux contre leur volonté. Le gouvernement des Etats-Unis a émis de fréquentes protestations contre la contrainte et l’intimidation exercées en violation de l’accord de Yalta, en Pologne, en Roumanie, et en Bulgarie. Je dois également déclarer que dans un certain nombre d’autres pays il y a eu des actions semblables.
Dans ce présent moment de l’histoire du monde, presque chaque nation doit choisir entre deux façons de vivre. Souvent, le choix n’est pas trop libre.
Le premier mode de vie est basé sur la volonté de la majorité, et se caractérise par des institutions libres, un gouvernement représentatif, des élections libres, des garanties pour la liberté individuelle, la liberté de parole et de croyance, et l’absence d’oppression politique.
La deuxième façon de vivre est basée sur la volonté d’une minorité imposée de force à la majorité. Elle se caractérise par la terreur et l’oppression, une presse écrite et une radio contrôlées, des élections déterminées [à l’avance], et la suppression des libertés personnelles.
Je crois que cela doit être la politique des États-Unis que de soutenir les peuples libres qui résistent à l’assujettissement imposé par des minorités armées ou par des pressions extérieures. Je crois que nous devons aider les peuples libres à décider par eux-mêmes de leur propre destin. Je crois que notre aide devrait principalement avoir la forme d’une aide économique et financière, essentielle à la stabilité économique et à l’ordonnancement des processus politiques.
Le monde n’est pas statique, et le statu quo n’est pas sacré. Mais nous ne pouvons pas permettre que des changements de ce statu quo se fassent en violation de la Charte des Nations Unies, par des méthodes telles que la coercition ou par des subterfuges tels que l’infiltration politique. En aidant des nations libres et indépendantes à maintenir leur liberté, les États-Unis rendront effectifs les principes de la Charte des Nations Unies.
Il est nécessaire de jeter seulement un coup d’œil sur une carte pour se rendre compte que la survie et l’intégrité de la nation grecque sont d’une grave importance dans un cadre beaucoup plus large.
Si la Grèce tombe sous le contrôle d’une minorité armée, les conséquences sur son voisin, la Turquie, seraient immédiates et graves. La confusion et le désordre pourraient s’étendre au Moyen-Orient tout entier.
D’ailleurs, la disparition de la Grèce comme État indépendant aurait un profond effet sur ces pays d’Europe dont les peuples luttent contre de grandes difficultés pour maintenir leurs libertés et leur indépendance, tandis qu’ils font face aux destructions de la guerre. Ce serait une tragédie indescriptible si ces pays, qui ont pendant si longtemps lutté contre un destin accablant, ne remportaient pas la victoire pour laquelle ils ont tant sacrifié. L’effondrement des institutions libres et la perte de l’indépendance seraient désastreux non seulement pour eux mais pour le monde.
Le découragement et probablement l’échec constituerait rapidement le sort des peuples voisins tâchant de maintenir leur liberté et leur indépendance.
Si nous ne favorisons pas l’aide à la Grèce et à la Turquie en cette heure fatidique, l’effet sera important à l’Ouest aussi bien qu’à l’Est. Nous devons prendre une mesure immédiate et résolue.
Aussi, je demande au Congrès le pouvoir d’octroyer une aide à la Grèce et à la Turquie de l’ordre de 400 milliards de dollars sur une période se terminant le 30 juin 1948. En demandant ces fonds, j’ai pris en compte la quantité maximale d’aide d’urgence qui serait fournie en Grèce en dehors des 350 millions de dollars que j’ai récemment demandé au titre de ce que le Congrès autorise pour la prévention de la famine et souffrances endurés par les pays dévastés par la guerre.
En plus des fonds, je demande au Congrès de pouvoir envoyer le petit groupe de civils et de militaires américains en Grèce et en Turquie, sur demande de ces pays, pour aider au problème de la reconstruction, et afin de diriger l’utilisation de l’aide financière et matérielle qui peut être fournie. Je recommande que ce pouvoir couvre également l’instruction et la formation du personnel grec et turc choisi.
En conclusion, je demande que le Congrès donne le pouvoir nécessaire pour une utilisation effective, en termes de produits nécessaires, des approvisionnements et équipements que de tels fonds pourront permettre d’obtenir. Si d’autres fonds ou davantage de pouvoirs sont nécessaires pour atteindre les objectifs indiqués dans ce message, je n’hésiterai pas à rendre compte de la situation devant le Congrès. À ce sujet, les branches exécutives et législatives du gouvernement doivent fonctionner ensemble.
C’est une grave direction que nous empruntons. Je ne le recommanderai pas [de la prendre] s’il y avait une alternative plus sérieuse.
Les États-Unis ont contribué à hauteur de 341 milliards de dollars pour gagner la deuxième guerre mondiale. C’est un investissement dans la liberté du monde et la paix du monde. L’aide que je demande au profit de la Grèce et de la Turquie représente un peu plus d’un dixième d’un pour cent de cet investissement. Ce serait une décision de bon sens de préserver cet investissement et de s’assurer qu’il n’a pas été fait en vain.
Les graines des régimes totalitaires se nourrissent de la misère et de la nécessité. Elles s’étendent et croissent dans le sol mauvais de la pauvreté et des différends. Elles atteignent leur pleine croissance quand l’espoir d’un peuple en une vie meilleure est mort. Nous devons maintenir cet espoir vivant.
Les peuples libres du monde attendent de nous l’appui nécessaire au maintien de leurs libertés. Si nous hésitons dans notre conduite, nous pouvons mettre en danger la paix du monde et nous mettrons à coup sûr en danger le bien-être de notre propre nation.
De grandes responsabilités ont été placées sur nous par le jeu rapide des événements. Je suis certain que le Congrès fera face à ces responsabilités de façon nette ».

DEUX VISIONS SUR LA NAISSANCE DE LA GUERRE FROIDE

Document 1 : La vision de Harry S.Truman. La "doctrine Truman".
« Le moment était venu de ranger délibérément les Etats-Unis d'Amérique dans le camp et à la tête du camp du monde libre. Je savais bien que l'esprit de Washington serait invoqué contre moi et celui de tous les autres saints patrons de l'isolationnisme ; mais j'étais convaincu que la politique que je me préparais à annoncer était rendue aussi nécessaire par les conditions de mon époque que celle de Washington par la situation de son temps et la doctrine de Monroe par les circonstances dans lesquelles il se trouvait placé. (...)
Le mercredi 12 mars 1947, à 13 heures, je montai à la tribune et pris la parole devant le Congrès assemblé pour que je puisse lui exposer ce qui, à mon avis, était une situation extrêmement sévère.
Pour y faire face, je recommandais une action immédiate de la part du Congrès, mais je désirais aussi annoncer à la face du monde la position que les Etats-Unis entendaient prendre vis-à-vis du défi lancé par le nouveau totalitarisme. Cette déclaration ne tarda pas à être connue sous le nom de « doctrine Truman ». Ce fut, je le crois sincèrement, le tournant décisif de la politique étrangère américaine et l'affirmation que désormais partout où une agression directe ou indirecte menaçait la pais, la sécurité des Etats-Unis se trouvait mise en jeu (...).
Chaque nation se trouvait désormais en face d'un choix à faire entre deux modes de vie opposés.
L'un d'eux, avais-je dit, repose sur la volonté de la majorité et il est caractérisé par des institutions libres, un gouvernement représentatif, des élections libres, des garanties assurant la liberté individuelle, la liberté de parole et de religion, et l'absence de toute oppression politique.
Quant à l'autre, il repose sur la volonté d'une minorité imposée par la force à la majorité. Il s'appuie sur la terreur et l'oppression, une presse et une radio contrôlées, des élections truquées et la suppression des libertés personnelles.
« Je crois, dis-je au Congrès et à la nation toute entière qui m'écoutait à la radio, que les Etats-Unis doivent soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d'asservissement par des minorités armées, ou des pressions venues de l'extérieur.
Je crois que nous devons aider les peuples libres à se forger leur destin de leurs propres mains.
Je crois que notre aide doit consister essentiellement en un soutien économique et financier qui est indispensable à la stabilité économique et à une vie politique cohérente.
Les semences des régimes totalitaires sont nourries par la misère et le dénuement. Elles croissent et se multiplient dans le sol aride de la pauvreté et du désordre. Elles atteignent leur développement maxi

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