Boîte à outils

SECONDE GUERRE MONDIALE - LA FRANCE EN 1944 ET 1945 : LIBÉRATION ET RECONSTRUCTION

Icon-Histoire-géo
Icon-Histoire-géo © Adobe Stock
Par La cellule contenu de l’Etudiant, publié le 20 avril 2009
27 min

 

La France en 1944 et 1945 : libération et reconstruction

Entre [...] = indications hors texte.

DISCOURS DU GÉNÉRAL DE GAULLE À PARIS : 25 août 1944

« Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l’émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes, qui sommes ici, chez nous, dans Paris debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains. Non ! Nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies. Paris ! Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France toute entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. Eh bien ! Puisque l’ennemi qui tenait Paris a capitulé dans nos mains, la France rentre à Paris, chez elle. Elle y rentre sanglante, mais bien résolue. Elle y rentre, éclairée par l’immense leçon, mais plus certaine que jamais de ses devoirs et de ses droits. Je dis d’abord de ses devoirs, et je les résumerai tous en disant que, pour le moment, il s’agit de devoirs de guerre. L’ennemi chancelle mais il n’est pas encore battu. Il reste sur notre sol. Il ne suffira même pas que nous l’ayons, avec le concours de nos chers et admirables alliés, chassé de chez nous pour que nous nous tenions pour satisfaits après ce qui s’est passé. Nous voulons entrer sur son territoire comme il se doit, en vainqueurs. C’est pour cela que l’avant-garde française est entrée à Paris à coups de canon. C’est pour cela que la grande armée française d’Italie a débarqué dans le Midi et remonte rapidement la vallée du Rhône. C’est pour cela que nos braves et chères forces de l’intérieur vont s’armer d’armes modernes. C’est pour cette revanche, cette vengeance, et cette justice que nous continuerons de nous battre jusqu’au dernier jour, jusqu’au jour de la victoire totale et complète. Ce devoir de guerre, tous les hommes qui sont ici et tous ceux qui nous entendent en France savent qu’il exige l’unité nationale. Nous autres, qui aurons vécu les plus grandes heures de notre Histoire, nous n’avons pas à vouloir autre chose que de nous montrer, jusqu’à la fin, dignes de la France. Vive la France !

Discours du général de Gaulle à l'Hôtel de ville de Paris

Le programme du Conseil National de la Résistance (15 mars 1944) : les propositions économiques et sociales

"(...) promouvoir les réformes indispensables :

a) Sur le plan économique

  • l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie ;

  • une organisation rationnelle de l'économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l'image des États fascistes ;

  • l'intensification de la production nationale selon les lignes d'un plan arrêté par l'État après consultation des représentants de tous les éléments de cette production ;

  • le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurances et des grandes banques ;

  • le développement et le soutien des coopératives de production, d'achat et de vente, agricoles et artisanales ;

  • le droit d'accès dans le cadre de l'entreprise, aux fonctions de direction et d'administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l'économie.

b) Sur le plan social :

  • le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l'amélioration du régime contractuel du travail ;

  • un rajustement important des salaires et la garantie d'un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d'une vie pleinement humaine ; (...)

  • la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d'un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l'organisation de la vie économique et sociale ;

  • un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'État ;

  • la sécurité de l'emploi, la réglementation des conditions d'embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués d'atelier ; (...)

  • une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ; (...)

c) Une extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales.

d) La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l'instruction et d'accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires."

"Le sang de la liberté"

"Paris se bat aujourd'hui pour que la France puisse parler demain. Le peuple est en armes ce soir parce qu'il espère une justice pour demain. Quelques-uns vont disant que ce n'est pas la peine et qu'avec de la patience Paris sera délivré à peu de frais. Mais c'est qu'ils sentent confusément combien de choses sont menacées par cette insurrection, qui resteraient debout si tout se passait autrement. Il faut, au contraire, que cela devienne bien clair : personne ne peut penser qu'une liberté, conquise dans ces convulsions, aura le visage tranquille et domestiqué que certains se plaisent à lui rêver. Ce terrible enfantement est celui d'une révolution. On ne peut pas espérer que des hommes qui ont lutté quatre ans dans le silence et des jours entiers dans le fracas du ciel et des fusils consentent à voir revenir les forces de la démission et de l'injustice sous quelque forme que ce soit. On ne peut pas s'attendre, eux qui sont les meilleurs, qu'ils acceptent à nouveau de faire ce qu'ont fait pendant vingt-cinq ans les meilleurs et les purs, et qui consistait à aimer en silence leur pays et à mépriser en silence ses chefs. Le Paris qui se bat ce soir veut commander demain. Non pour le pouvoir, mais pour la justice, non pour la politique, mais pour la morale, non pour la domination de son pays, mais pour sa grandeur."

in A. CAMUS, Combat, 24 août 1944.

Le dur face-à-face de l'épuration

a) Au nom des Résistants torturés

" Qui oserait parler ici de pardon ? Puisque l'esprit a enfin compris qu'il ne pouvait vaincre l'épée que par l'épée, puisqu'il a pris les armes et atteint la victoire, qui voudrait lui demander d'oublier ? Ce n'est pas la haine qui parlera demain, mais la justice elle-même, fondée sur la mémoire. Et c'est de la justice la plus éternelle et la plus sacrée que de pardonner peut-être pour tous ceux d'entre nous qui sont morts sans avoir parlé, avec la paix supérieure d'un coeur qui n'a jamais trahi, mais de frapper terriblement pour les plus courageux d'entre nous, dont on a fait des lâches en dégradant leur âme, et qui sont morts désespérés, emportant dans un coeur pour toujours ravagé leur haine des autres et leur mépris d'eux-mêmes. "

in A. Camus, Combat , 30 août 1944.
b) Contre l'hypocrisie

" Le maréchal Pétain [dont se déroule alors le procès] a librement assumé, devant Dieu et devant les hommes, des responsabilités dont il n'appartient à personne de le décharger. Mais nous serions des hypocrites si, avant de mêler nos voix à toutes celles qui l'accusent, chacun de nous ne se demandait : "qu'ai-je dit, qu'ai-je écrit ou pensé au moment de Munich ? De quel coeur ai-je accueilli l'armistice ?" Au lendemain de Munich, cette foule immense qui, à sa descente d'avion, acclamait le pâle Daladier (stupéfait lui-même de ne pas avoir de crachats à essuyer sur sa figure) donnait aux complices masqués ou déclarés du Führer l'assurance qu'ils pouvaient aller de l'avant et qu'ils seraient portés par la faiblesse, par la démission de tout un peuple. Les Français mêlés à cette foule ravie, ou qui en ont partagé les sentiments, qu'ils gardent donc le silence aujourd'hui, car, en vérité, ce procès n'est-il pas aussi un peu leur procès ? (...)
Si nous avons mérité d'avoir Pétain, nous avons mérité aussi, grâce à Dieu, d'avoir de Gaulle : l'esprit d'abandon et l'esprit de résistance, l'un et l'autre se sont incarnés parmi les Français et se sont mesurés dans un duel à mort. Mais chacun de ces deux hommes représentait infiniment plus que lui-même, et puisque le plus modeste d'entre nous partage la gloire du premier Résistant de France, ne reculons pas devant cette pensée qu'une part de nous-même fut peut-être complice, à certaines heures, de ce vieillard foudroyé."

in F. Mauriac, Le Figaro, 26 juillet 1945
c) L'impuissance

" Il est certain désormais que l'épuration en France est non seulement manquée, mais encore déconsidérée. Le mot d'épuration était déjà assez pénible en lui-même, La chose est devenue odieuse. Elle n'avait qu'une chance de ne point le devenir, qui était d'être entreprise sans esprit de vengeance ou de légèreté. Il faut croire que le chemin de la simple justice n'est pas facile à trouver entre les clameurs de la haine, d'une part, et les plaidoyers de la mauvaise conscience d'autre part. L'échec, en tout cas, est complet.
C'est qu'aussi bien la politique s'en est mêlée, avec tous ses aveuglements. Trop de gens ont crié à la mort comme si les travaux forcés, par exemple, étaient une peine qui ne tirait pas à conséquence. Mais trop de gens, au contraire, ont hurlé à la terreur lorsque quelques années de prison venaient récompenser l'exercice de la délation et du déshonneur. Dans tous les cas, nous voici impuissants. "

in A Camus, Combat, 30 août 1945

De Gaulle et le problème de la légitimité


Contre Vichy, porté légalement au pouvoir par l'Assemblée nationale, de Gaulle se déclare investi d'une légitimité due au consensus du peuple français dans la lutte contre l'occupant. Le problème le préoccupe particulièrement à son retour en France en 1944 :

"Le général débarquant en France s'interrogeait sur sa légitimité. D'avoir incarné la France, c'était un fait, c'était l'histoire. Ce n'était qu'un élément de la légitimité. Un autre était indispensable, le consentement populaire. L'accueil de la Normandie, de la Bretagne l'avait rasséréné avant Paris. Il n'osait, me semble-t-il, se dire encore tout à fait convaincu. Nous prenons ensemble la route de Laval vers Paris, Paris qui n'est pas libéré. (...) Les vivats sont considérables, émouvants, se répètent de village en village. Il se tourne vers moi et me dit, pensant à ce problème de la légitimité : " Il n'y a pas de doute ! Il n'y a pas de problème ! " Quelques minutes s'écoulent. Nous entrons dans les faubourgs du Mans, la foule grossit. (...) Un groupe de femmes enthousiastes approche avec des fleurs. Par la vitre ouverte, une femme se penche, donne les fleurs, se retire et crie avec force : " Vive le Maréchal ! " J'entrevois le visage de la femme bouleversée par son erreur et le général se tourne vers moi pendant que la voiture repart : " Comment voulez-vous qu'ils s'y retrouvent ? " Je réponds : " Mon général, pour l'essentiel, il n'y a quand même pas de problème. "

Témoignage de Michel Debré, cité dans La Libération de la France, éd. du CNRS, 1976 p. 887.

La condamnation de Vichy


Le général de Gaulle justifie le procès et la condamnation des dirigeants de Vichy.

"(...) Pour moi, la faute capitale de Pétain et de son gouvernement c'était d'avoir conclu avec l'ennemi, au nom de la France, le soi-disant "armistice". Certes, à la date où on l'avait signé, la bataille dans la Métropole était indiscutablement perdue. Arrêter le combat entre l'Atlantique et les Alpes pour mettre un terme à la déroute, cet acte militaire et local eût été très justifié. Il appartenait au commandement des forces intéressées, - quitte à ce que la tête en fût changée, - de faire le nécessaire sur ordre du gouvernement. Celui-ci aurait gagné Alger, emportant le trésor de la souveraineté française (...) continuait la lutte jusqu'à son terme, tenant parole aux Alliés et, en échange, exigeant leur concours. Mais, avoir retiré de la guerre l'Empire indemne, la flotte inentamée, l'aviation en grande partie intacte (...) ; avoir manqué à nos alliances ; par-dessus tout, avoir soumis l'État à la discrétion du Reich, c'est cela qu'il fallait condamner, de telle sorte que la France fût dégagée de la flétrissure. Toutes les fautes que Vichy avait été amené à commettre ensuite : collaboration avec les envahisseurs ; lutte menée (...) contre les Français Libres ou contre les Alliés ; combats livrés à la Résistance en liaison directe avec les polices et les troupes allemandes ; remise à Hitler de prisonniers politiques français, de juifs, d'étrangers réfugiés chez nous ; concours fourni, sous forme de main-d'oeuvre, de matières, de fabrications, de propagande, à l'appareil guerrier de l'ennemi, découlaient infailliblement de cette source empoisonnée. La condamnation de Vichy dans la personne de ses dirigeants désolidarisait la France d'une politique qui avait été celle du renoncement national."

in Général de Gaulle, Mémoires de guerre, 1959, III, p. 249.

Libération, ou révolution ?

Les appels du Comité de Libération ont parfois une résonance révolutionnaire :

"Albi est libéré, Toulouse est libéré, le drapeau tricolore flotte partout...
A Gaillac, le comité de Libération vient de s'emparer de la mairie. Il décrète :
Art. I Dans chaque commune, les comités locaux de Libération régulièrement constitués prennent lieu et place des municipalités.
Art. II L'appareil militaire des F.F.I. est chargé de l'exécution du présent arrêté (...).
Citoyens,
L'heure de la liberté a sonné, Vichy a vécu, votre Comité de Libération a renversé les autorités compromises avec un pouvoir usurpé qui a depuis longtemps perdu votre confiance.
Il prend en charge, en liaison avec les échelons supérieurs de la Résistance, l'administration communale et assurera l'expédition des affaires, en attendant de donner la parole au peuple."

in La Libération, (Gaillac) no 1, 14 août 1944.
Aux sacrifices de la Résistance vont se substituer les devoirs de la reconstruction

"(...). Cette reconstruction doit se faire pour un seul profit, celui du peuple. Le peuple a gagné la guerre (...). Il ne peut y avoir de justice sociale que par l'abolition du régime capitaliste et par l'instauration du régime socialiste qui remettra les instruments de production aux masses travailleuses et qui organisera la vie économique dans l'intérêt du peuple (...).
Cet immense programme qui veut la renaissance d'une France forte, heureuse et libre ne peut se réaliser dans le cadre du régime passé. Il ne peut l'être que grâce à la révolution populaire.

Article du président du Comité de Libération de Gaillac CGT). La Libération (Gaillac), 1er sept. 1944
Cité dans G. Madjarian, Conflits, pouvoirs et société à la Libération, Éd. 10/18, p. 121.

Une nationalisation spontanée

Dans une usine d'Argenteuil, qui avait travaillé pour l'aviation allemande, les ouvriers remettent en marche l'usine après la Libération.

"- Dans quelle circonstances avez vous été amenés à prendre la direction de l'usine ?
- C'est le 17 août, après le départ de la direction allemande, que nous avons pris cette responsabilité pour, avec l'aide des F.F.I. membres du personnel, briser toute tentative inconsidérée de pillage ou de destruction.
- Comment avez-vous désigné vos cadres et votre maîtrise ?
- Chaque équipe a élu ses chefs. Chefs d'équipe, contremaîtres, chefs d'ateliers, directeur provisoire ont été ratifiés par une assemblée des ouvriers. Notre direction est officiellement reconnue depuis le 14 novembre. Un délégué du ministère contrôle le fonctionnement de l'usine. Il est très satisfait de la gestion ouvrière. ( ... )
- Quels moyens financiers ?
- Nous n'avons pas un franc en caisse. Nous ne sommes aidés par personne. Nous voulons donner à la France un embryon d'aviation. Tout ce que nous faisons ou entreprenons est bénévole.
- Espérez-vous être nationalisés 9
- Oui. Et nous espérons que le système se généralisera à toutes les industries d'intérêt national."

Interview des ouvriers dans le journal communiste Action, 22 décembre 1944.

La bataille de la production

"A partir d'à présent, ce ne sont plus seulement nos facilités d'existence, notre niveau de vie, mais bel et bien notre valeur et notre figure dans le monde qui dépendent de notre production. Hier, il n'y avait pas de devoir national qui l'emportât sur celui de combattre. Aujourd'hui, il n'y en a pas qui l'emporte sur celui de produire."

in Ch. de Gaulle, Discours radiodiffusé du 24 mai 1945, Discours et messages, t. 1, Plon-Le Livre de Poche, 1970.

Les communistes et la " bataille de la production "


Discours de Thorez aux mineurs, à Waziers (Pas-de-Calais), 22 juillet 1945 :

"Produire, faire du charbon, c'est aujourd'hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe (...) c'est produire pour préserver, pour renforcer l'union de la classe ouvrière avec les travailleurs des classes moyennes, avec les masses paysannes, pour assurer la vie du pays, pour permettre la renaissance morale et culturelle de la France (...)
Chers camarades,
Ici, je m'adresse aux jeunes Il faut faire un effort. Je l'ai dit non seulement à cette assemblée, mais au Congrès de l'Union de la jeunesse républicaine. Il faut surmonter la crise de moralité qui sévit en général dans notre pays et qui atteint particulièrement notre jeunesse. J'ai dit aux jeunes : il faut avoir le goût de son ouvrage, parce qu'il faut trouver dans son travail la condition de sa propre élévation et de l'élévation générale. Les paresseux ne seront jamais de bons communistes, de bons révolutionnaires, jamais, jamais."

in M. Thorez, Oeuvres, Ed. Sociales, t.20

La bataille de la production

"Aujourd'hui, le combat que nous avons à mener prend des formes différentes ; il est peut-être moins rude, moins douloureux que l'autre, il est aussi important. Gagner la bataille de la production est aussi important que d'avoir gagné la bataille de la Libération. Si nous perdions la bataille de la production, nous perdrions le bénéfice de notre victoire et de la Libération. Nous laisserions les forces mauvaises, les forces de collaboration qui sont là, qui nous guettent, reprendre l'initiative, reprendre du "poil de la bête" dans notre pays. Cette bataille, nous devons la gagner en la menant avec toute l'énergie et toute la foi nécessaires aux grandes victoires. Que chacun d'entre vous se mobilise, que chacun d'entre vous pense qu'il a sa part à prendre dans ce combat, et si chacun d'entre vous a conscience de l'importance du rôle qu'il doit jouer, nous réussirons ce que nous avons réussi dans la bataille de la Libération, et c'est indispensable pour notre pays."

in Benoît Frachon, Rapport à la C.G.T. du 12 novembre 1944.

La situation politique

Rapport adressé au général de Gaulle par un haut fonctionnaire envoyé en mission dans le Midi.
Toulouse, 6 septembre 1944.

"Dans l'ensemble, la libération s'est effectuée sans les troubles graves que certains redoutaient... Rares ont été les effusions de sang. On estime à environ 200 les exécutions sommaires qui auraient eu lieu à Limoges.... Mais cet exemple semble unique. Presque partout, les traîtres et délateurs ont été déférés à des cours martiales. Les Francs-Tireurs et Partisans, dans la Haute-Vienne, dans la Corrèze, dans le Gard, se sont fait remettre par des banques, sous la menace des armes, des sommes d'argent considérables, mais ces cas, pour désastreux qu'ils soient, sont isolés et, s'étant produits dans le tumulte des premières heures, ne se sont pas renouvelés.
Les comités de Libération... ne représentent que très imparfaitement la variété des opinions de leur département ou de leur commune. Pratiquement, y figurent toujours les délégués du Parti communiste, du Parti socialiste, du Front national, du Mouvement de Libération nationale et de la Confédération générale du Travail, que ces organisations aient, ou non, une existence réelle sur place. C'est ainsi que, dans l'Aveyron, département d'opinion en majorité modérée, les modérés, quoique très résistants, brillent par leur absence.
La population, après la fièvre des premières heures, passe par une phase de détente. Elle est toute à la joie de la liberté retrouvée et, en même temps, elle n'en croit pas ses yeux. Elle est abasourdie par la soudaineté de l'opération. D'instinct, les masses populaires font confiance au général de Gaulle. Les éléments qui pourraient lui être hostiles, à savoir la minorité possédante qui a suivi ou soutenu Vichy, sont en proie à la plus grande confusion. Eux non plus ne sont pas encore ressaisis. Ils ignorent ce qu'ils doivent attendre de ces hommes nouveaux dont ils ne savent rien. Ils sont, en général, très inquiets et la présence dans toutes les villes de forces armées du maquis n'est certes pas pour les rassurer...
Pour l'immédiat, tous les travailleurs tendent et, déjà, réclament une hausse des salaires. J'ai invité les commissaires de la République à leur donner sans tarder de premières satisfactions sur le plan local, en attendant les mesures d'ordre général que va prendre le Gouvernement... Il conviendra également de donner sans délai aux commissaires de la République des instructions précises pour ce qui concerne les prix...
Les commissaires de la République de Clermont-Ferrand, de Toulouse, de Montpellier ont déjà pris des contacts avec les industriels de leurs régions respectives. Ils en ont retiré l'impression que la plupart de ceux-ci s'attendent à de profondes réformes dans la gestion de leurs entreprises et se résignent à cette fatalité."

in Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, 1959.

L'atmosphère de la Libération à Paris

"La résistance avait masqué la lutte des classes. En même temps que le nazisme, il semblait que la réaction eût été politiquement liquidée ; de la bourgeoisie, seule participait à la vie publique la fraction ralliée à la Résistance et elle acceptait la charte du C.N.R. De leur côté, les communistes soutenaient le gouvernement d'"unanimité nationale". (...) Personne ne parlait de revenir en arrière : et dans leur marche en avant, réformistes et révolutionnaires empruntaient les mêmes chemins. Dans ce climat, toutes les oppositions s'estompaient. Que Camus fût hostile aux communistes, c'était un trait subjectif de médiocre importance puisque, luttant pour faire appliquer la charte du C.N.R., son journal défendait les mêmes positions qu'eux : Sartre, sympathisant avec le PC, approuvait cependant la ligne de Combat au point qu'il en écrivit une fois l'éditorial. Gaullistes, communistes, catholiques, marxistes, fraternisaient. Dans tous les journaux s'exprimait une pensée commune. Sartre donnait une interview à Carrefour. Mauriac écrivait dans les Lettres françaises ; nous chantions tous en choeur la chanson des lendemains."

in S. de Beauvoir, La Force des choses, t.1, Gallimard, 1963.

Paris au lendemain de la Libération.


Arrivé quelques jours après les troupes françaises et alliées dans la capitale, Pierre Mendès France décrit la situation matérielle de Paris dans une lettre à sa femme, du 11 septembre 1944.

« La vie ici est extraordinaire. Pas d’électricité, pas de gaz, dans certains quartiers pas d’eau, pas de charbon, pas de métro, d’autobus, de taxis, d’essence. Pas de chauffage (il fait déjà un peu froid) ni d’ascenseur nulle part, pas de cinéma, ni de spectacles, ni de trains. C’est vraiment extraordinaire, les gens prennent ça très bien. On ne travaille pas (les mines n’ont ni charbon, ni électricité, ni matières premières, etc.). J’oubliais, pas de postes. Le téléphone marche, c’est tout, alors les gens en usent largement. De même des bicyclettes. Il y en a des milliers qui défilent dans les rues sans arrêt (...). Tu as dû apprendre qu’une fois de plus je n’ai pas pu me dégager du gouvernement. On m’a même donné une sorte d’avancement puisque je « chapeaute » maintenant trois ministères (avec le mien, ça fait quatre !). Cela ne m’enchante guère pour mille raisons que tu connais et parce qu’au fond je voulais m’arrêter quelques mois et réunir enfin notre famille (...).

Il n’y a plus à Paris personne de ceux que nous voyions et connaissions autrefois. Personne de ta famille, de la mienne, seulement les Chauvin (...). Gaston Maurice déporté, Jean Schwab prisonnier, Suzanne disparue, etc. C’est un désert, quelle tristesse. »

Cité par Eric Roussel. Pierre Mendès France. Paris, Gallimard, 2007, p. 169.

La ruine économique

"Le rythme de la Libération est d'une extrême rapidité... Fin septembre, sauf l'Alsace et ses avancées, ainsi que les cols des Alpes et les réduits de la côte Atlantique, le territoire tout entier est purgé d'envahisseurs... La marée, en se retirant, découvre donc soudain, d'un bout à l'autre, le corps bouleversé de la France...
Les chemins de fer sont quasi bloqués. De nos 12'000 locomotives, il nous en reste 2'800. Aucun train, partant de Paris, ne peut atteindre Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Lille, Nancy. Aucun ne traverse la Loire entre Nevers et l'Atlantique, ni la Seine entre Mantes et la Manche, ni le Rhône entre Lyon et la Méditerranée. Quant aux routes, 3'000 ponts ont sauté ; 300'000 véhicules, à peine, sont en état de rouler sur 3 millions que nous avions eus ; enfin, le manque d'essence fait qu'un voyage en auto est une véritable aventure.
... En même temps, l'arrêt des transports désorganise le ravitaillement. D'autant plus que les stocks avoués de vivres, de matières premières, de combustibles, d'objets fabriqués, ont entièrement disparu. Sans doute un "plan de six mois", prévoyant une première série d'importations américaines, avait-il été dressé par accord entre Alger et Washington. Mais comment le faire jouer alors que nos ports sont inutilisables ? Tandis que Dunkerque, Brest, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle, ainsi que l'accès de Bordeaux, restent aux mains de l'ennemi, Calais, Boulogne, Dieppe, Rouen, Le Havre, Cherbourg, Nantes, Marseille, Toulon, écrasés par les bombardements britanniques et américains et, ensuite, détruits de fond en comble par les garnisons allemandes avant qu'elles ne mettent bas les armes, n'offrent plus que quais en ruines, bassins crevés, écluses bloquées, chenaux encombrés d'épaves...
Ainsi qu'on pouvait le prévoir, la Libération ne va, tout d'abord, apporter au pays disloqué et vidé de tout,aucune aisance matérielle."

in Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, 1959

L'Etat DE LA FRANCE EN 1945

Pertes humaines directes
  • Militaires tués à l'ennemi 170'000

  • Prisonniers et déportés 280'000

  • Civils fusillés ou tués (bombardements, etc.) 150'000

Pertes humaines indirectes
  • Déficit du mouvement naturel 530'000

  • Départs d'étrangers 300'000

  • Départ de Français 20'000

Total des pertes humaines 1'450'000

Quelques productions 1938--1944
  • Blé (millions de quintaux) 98--64,5

  • Pommes de terre (millions de quintaux) 173--73

  • Bovins (millions de têtes) 15,6--15,8

  • Porcs (millions de têtes) 7,3--3,6

LE DOUBLE RÉFÉRENDUM DU 21 OCTOBRE 1945

Inscrits 25'717'551
Abstentions 4'968'578
1re question : " Voulez-vous que l'Assemblée élue ce jour soit une Assemblée constituante ? " (1)
- suffrages exprimés 19'283'882
- oui 18'584'746
- non . 699'136

2ème question : " Approuvez-vous l'organisation provisoire des pouvoirs publics indiqués dans le projet qui vous est soumis ? " (2)
- suffrages exprimés 19'244'419
- oui 12'795'213
- non 6'449'206
(1) Répondre " oui " impliquait qu'on ne souhaitait pas le rétablissement de la IIIe République.
(2) Répondre " oui " signifiait que, comme de Gaulle, on ne souhaitait pas revenir au régime d'assemblée et qu'on acceptait que l'assemblée dispose de pouvoirs limités.

ÉLECTION DE LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE CONSTITUANTE

Inscrits 24'680'981
Abstentions 4'965'256
Résultats en pourcentage des suffrages exprimés en France métropolitaine et nombre de sièges obtenus y compris outre-mer :

  • PCF et apparentés 26,1% - 159 sièges

  • SFIO (1) 23,3% - 146 sièges

  • Radicaux et UDSR (2) 10,4% - 60 sièges

  • MRP 23,8% - 150 sièges

  • Modérés 15,6% - 64 sièges

  • Divers 0,2% - 7 sièges

(1) Parti socialistes, Section française de l'Internationale ouvrière.
(2) UDSR : Union démocratique et socialiste de la Résistance, créée en juin 1945 et à laquelle adhère F. Mitterrand.

Le régime que veut De Gaulle

"Ce régime d'une Assemblée qui gouverne elle-même, ce régime est concevable, mais ce n'est pas celui que conçoit le gouvernement (...). Veut-on un gouvernement qui gouverne ou bien veut-on une Assemblée omnipotente déléguant un gouvernement pour accomplir ses volontés ?
La formule qui s'impose, à mon avis, après toutes les expériences que nous avons faites, c'est un gouvernement qui ait et qui porte seul - je dis seul - la responsabilité entière du pouvoir exécutif
- Si l'Assemblée, ou les assemblées lui refusent tout ou partie des moyens qu'il juge nécessaires pour porter la responsabilité du pouvoir exécutif, eh bien! ce gouvernement se retire. Un autre gouvernement apparaît."

in Charles de Gaulle, Déclaration à l'Assemblée constituante, le 1er janvier 1946.

M. Thorez contre la Révolution

"Les milices patriotiques ont eu leur raison d'être avant et pendant l'insurrection contre l'occupant hitlérien et ses complices vichyssois. Mais la situation est maintenant différente. La sécurité publique doit être assurée par les forces régulières de police constituées à cet effet. Les gardes civiques et, d'une façon générale, tous les groupes armés irréguliers ne doivent pas être maintenus plus longtemps (...). Les comités de Libération locaux et départementaux ne doivent pas se substituer aux administrations municipales et départementales, pas plus que le CNR ne s'est substitué au gouvernement. La tâche des comités de Libération n'est pas d'administrer, mais d'aider ceux qui administrent. Elle est surtout de mobiliser, d'entraîner et d'organiser les masses pour l'accomplissement maximum de l'effort de guerre, pour le soutien du gouvernement provisoire dans l'application du programme élaboré par la Résistance."

in Déclaration au Comité central, janvier 1945, citée par J. DUCLOS, Mémoires, t. 111, Fayard, 1970.
Sur cliotexte, il y a aussi des textes sur la vie quotidienne en France , la collaboration et la résistance et la IVe République.
© CLIOTEXTE, 1997-2009, Patrice Delpin - source

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !