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5 questions à se poser face à une image

Une femme pleure la mort de membres de sa famille à Bentalha, le 23 septembre 1997.
Une femme pleure la mort de membres de sa famille à Bentalha, le 23 septembre 1997. © Hocine Zaourar/AFP
Par Isabelle Dautresme, publié le 23 mars 2016
5 min

SEMAINE DE LA PRESSE ET DES MÉDIAS DANS L'ÉCOLE. Une photo dit-elle toujours la vérité ? Peut-elle nous manipuler ? Alors que les images n'ont jamais pris autant de place sur nos écrans, voici un kit pour savoir les décrypter, avec l'expertise de Ronan Chérel, professeur d’histoire-géographie en collège.

1. Qui est l'auteur ?

Face à une image sur Internet, la première question à se poser est : qui a posté la photo et qui en est l'auteur ? Cette personne est-elle connue ? Vous n'allez pas interpréter de la même manière une photo selon qu'elle a été prise par un photojournaliste reconnu ou par un sombre inconnu. Autre question importante : quel est le point de vue de l'auteur de la photo ? Si le photographe souhaite donner une image "négative" d'une personne, d'un chef d'État par exemple, il va le prendre en plongée. À l'inverse, s'il veut en renvoyer une image héroïque, il va le photographier de plain-pied, les bras croisés. Il est important de connaître ces codes visuels – ce sont les mêmes depuis l'Antiquité – de façon à comprendre l'intention de l'auteur et à pouvoir avoir une lecture critique de la photo.

2. Dans quel contexte la photo a-t-elle été prise ?

Vous pouvez faire dire à une photo sortie de son contexte toute autre chose que son message intentionnel.

Nous en avons l'illustration avec cette célèbre image : un homme, revolver au bout du bras tendu, tire une balle dans la tête d'un autre homme, aux bras attachés dans le dos.

Nguyen Ngoc Loan, chef de la police national tend son pistolet sur  un officier viêt-cong : Nguyen Van Lem, à Saigon le 1er février 1968.

Sortie de son contexte l'image dit qu'un civil a été tué par un militaire et devient le symbole de la brutalité de la guerre du Vietnam. La réalité est différente. L'homme exécuté était responsable de l'assassinat de policiers sud-vietnamiens et de leurs familles, dont un proche du tireur. Ce dernier agit par vengeance sur son ennemi viêt-cong.
En resituant une image dans son contexte, on évite ainsi des erreurs d'interprétation.

3. Comment décrire l'image ?

Vous devez faire l'effort de décrire l'image mentalement. Cette étape est essentielle pour appréhender les choix faits par l'auteur de la photo. Cela permet de passer de l'émotion à l'analyse.

On en a l'illustration avec la photo ci-dessous, qui a été prise en septembre 1997 dans un hôpital près d'Alger. Elle représente une femme terrassée par la douleur, sa famille ayant été tuée par des terroristes islamistes, à Bentalha, lors d'un massacre qui a fait près de 200 victimes.

Une femme pleure la mort de membres de sa famille le 23 septembre 1997, assasinés par les Groupes islamiques armés (GIA), à Bentalha, lors d'un massacre qui a fait près de 200 victimes.


Cette photo a immédiatement fait la une de plusieurs centaines de journaux dans le monde entier. Si elle a tant touché l'Occident, c'est parce que la posture de la femme renvoie à un imaginaire chrétien, à la représentation de la Madone pleurant son enfant au pied de la Croix. Conséquence : elle a permis d'attirer l'attention des pays occidentaux sur un drame qui auparavant ravageait l'Algérie dans l'indifférence générale.

4. Comment a-t-elle été cadrée ?

Vous devez vous intéresser également au cadrage. Il est la ligne qui détermine ce qui est dans l'image et ce qui est hors de l'image, c'est-à-dire le contexte. Sans ce dernier, il est difficile d'interpréter une photo, au risque de faire des contresens. Ainsi, si on prend la photo d'une exécution d'un civil par un nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, on peut la cadrer serrée sur le visage du nazi pour en faire un portrait, ou bien élargir en plan moyen pour montrer un homme devant une fosse, et enfin en plan large pour montrer l'exécution. Selon le cadre retenu, on aura une lecture différente de la photo, sauf si on connaît son contexte.

5. Que dit la légende ?

Les légendes qui accompagnent les photos sont essentielles. Encore faut-il s'assurer qu'elles sont en cohérence avec le contexte dans lequel les photos ont été prises.

2014, une piscine à Créteil. La France d'après.

Un exemple avec la photo ci-dessus qui circule sur les réseaux sociaux : selon la légende qui l'accompagne, cette photo a été prise dans une piscine à Créteil. En fait, la piscine en question n'est pas située en France, mais au Sénégal !

De manière générale, il faut se méfier d'une légende qui insiste sur l'authenticité de la photo, sur son caractère véridique.

Contrairement à une idée largement répandue, lire une image n'a rien d'intuitif. Cela s'apprend !

Comment sait-on si une image a été retravaillée ?
Les conseils de Rosa Farinella, enseignante à Taninges (74) et lauréate du prix Éducation aux médias, mention "projet pédagogique" des assises du journalisme 2016.

"Il faut observer la photo en détail, de façon à relever les incohérences. Le cadrage, l'angle de vue, les proportions, la perspective, l'orientation de la lumière, la taille des pixels, les éventuels détourages... sont autant d'éléments qui peuvent indiquer que la photo a été "manipulée".
On peut analyser également des éléments en contradiction avec la légende : modèle de voiture, panneaux routiers, messages publicitaires, architecture, vêtements...
Si vous avez un doute sur l'endroit où a été prise la photo, n'hésitez pas à utiliser Google Map et Street View pour vérifier un lieu. Il existe également des sites qui permettent de déterminer l'origine d'une photo : TINEYE, ou Google image."

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