Admission postbac : quand les universités naviguent à vue

Natacha Lefauconnier Publié le
Admission postbac : quand les universités naviguent à vue
Pour aider les établissements dans leurs prévisions d’accueil, le logiciel d’Admission postbac permet de faire des simulations. // ©  Serge Tanet
Si l'orientation postbac prend parfois l’allure d’un casse-tête pour les étudiants, les universités doivent aussi faire face à des difficultés. Hausse des effectifs, déséquilibre entre les filières, lycéens mal informés... Le point alors que Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon doivent présenter dans les jours à venir un plan d'actions pour mieux orienter les bacheliers.

Prévoir les effectifs en  L1 d'une année sur l'autre a de quoi donner la migraine à tous les responsables universitaires. D'après les chiffres de la session 2015 d’APB, les quatre filières Paces, droit, Staps et psychologie ont, à elles seules, attiré près de la moitié (47,8%) des candidats ayant choisi l’université, confirmant le déséquilibre entre les cursus universitaires.

L'université de Picardie Jules-Verne a dû faire face, comme d'autres, à un afflux d'étudiants en Staps : + 37% de néobacheliers, mais aussi en Paces (+ 31%), arts (+ 22%), droit (+ 20%). La nouvelle filière sciences de l’éducation a également connu une assez forte hausse des inscriptions, au détriment d’autres filières comme lettres (- 27%), sciences (- 23%) ou histoire-géographie (- 20%).

Des CAPACITÉS LIMITÉES difficiles à établir

"Déterminer les capacités d’accueil d’une année sur l’autre n’est pas une science exacte, confirme Karim Salhi, vice-président de la commission de la formation et de la vie universitaire à l’université de Caen, laquelle vient d’annoncer des capacités limitées dans cinq filières en 2016, alors que seules les Staps étaient concernées depuis trois ans.

"Mais la concentration des vœux des néobacheliers sur quelques filières peut compromettre les bonnes conditions d’accueil, poursuit-il. L’université de Caen s’est donnée comme mission première d’accueillir dans ses formations tous les candidats de l’académie, hormis pour la filière Staps où elle ne peut s’engager qu’à accepter tous les vœux 1 de l’académie."

Même déséquilibre dans les universités parisiennes. "À Paris-Diderot, les capacités d’accueil sont très inférieures aux demandes, notamment en psycho, coréen, sciences de la vie, informatique", pointe Christine Clerici, présidente de l’université.

l'influence d'Apb sur les cursus en tension

Depuis l’an dernier, en plus des capacités des filières en tension, APB indique le nombre de candidats de la session précédente, et pour certaines, le nombre de vœux 1. Un moyen de décourager les lycéens les moins motivés de postuler dans ces filières ?

À moins que l'annonce de capacités limitées ne renforce l’attrait des disciplines concernées. Michel Brazier, à la tête de l'UPJV, a le sentiment que "les candidats se sont inscrits plus massivement et plus rapidement cette année, probablement dans la crainte de ne pas avoir de place dans la filière demandée."

"Si la démographie et les fortes incitations à poursuivre des études dans le supérieur laissent penser que le nombre des étudiants va croître, il est difficile de savoir quelles seront les filières les plus touchées par ces augmentations, même si on se projette simplement sur le moyen terme, qui correspond au prochain contrat pour l’université de Bourgogne", commente Stéphanie Grayot-Dirx, vice-présidente chargée des partenariats scolaires, de l'orientation et de la réussite en licence.

Sans compter la charge de travail supplémentaire pour les personnels. Stéphanie Grayot-Dirx en témoigne :  "Depuis l'an passé, et ce sans que cela ait été anticipé, nous devons gérer nous-mêmes l'appel des candidats sur Admission-postbac, y compris dans les filières où nous avons la capacité habituelle d'accueillir toutes les demandes. Ce qui signifie qu'il faut définir, pour l'ensemble des filières et en concertation étroite avec toutes les composantes, toutes les données d'appel."

Si la démographie laisse penser que le nombre des étudiants va croître, il est difficile de savoir quelles seront les filières les plus touchées.
(S. Grayot-Dirx)

Le recours mesuré au surbooking

Pour aider les établissements dans leurs prévisions d’accueil, le logiciel d’Admission postbac permet de faire des simulations, et donc des ajustements. Il préconise même la pratique du "surbooking", "afin de pallier les échecs au bac, les désistements, les mutations... et de permettre d’appeler le plus de candidats le plus tôt possible, explique Philippe Augé, le président de l'université de Montpellier. Chez nous, le 'surbooking' léger n’a jamais posé de problème."

"À l’université de Bourgogne, nous avons pris l'engagement de donner une réponse positive au minimum aux lycéens de notre académie ayant formulé un vœu 1 pour une de nos filières. Nous ajustons donc nos capacités en fonction du nombre réel de vœux 1 de notre académie", détaille Stéphanie Grayot-Dirx.

"Le fonctionnement d'APB, même s'il n'est pas exempt de critiques, nous permet tout de même d'avoir une vision assez précise et quasiment au jour le jour de l'évolution probable de nos effectifs, de janvier de l'année universitaire N-1 jusqu'à la rentrée de l'année universitaire N", concède-t-elle.

Quand l'afflux d'étudiants se confirme, le tirage au sort devient un ultime recours, largement critiqué. "De manière générale, le tirage au sort est stupide et incompréhensible, assène Philippe Augé. Stupide, car il ne permet pas de retenir les étudiants les plus motivés. Incompréhensible et inexplicable, il l'est pour les parents, les étudiants et le grand public !"

Mieux informer les lycéens

Pour éviter d'amplifier le déséquilibre entre les cursus, qui conduirait à un tirage au sort systématique dans les filières les plus populaires, les établissements sont unanimes : la priorité va à une meilleure information des lycéens sur le contenu et les débouchés des formations.

Etudiants de PACES à l'université Joseph-Fourier Grenoble 1

Preuve de cette nécessité de mieux informer : si les sciences de l’éducation attirent un grand nombre de candidats au détriment d’autres filières plus classiques, c’est qu’une partie des étudiants visant le métier d’enseignant sont persuadés que la filière sciences de l’éducation est le meilleur chemin pour atteindre leur but. Même problème avec Staps ou psycho, où beaucoup d’étudiants de L1 découvrent un peu tard que des matières scientifiques sont bel et bien au programme…

Autre point faible du système APB lié à une méconnaissance des candidats : le classement des vœux. "Beaucoup de candidats se sont entendus dire qu’il fallait mettre les filières sélectives avant les licences, et c’est ce qu’ils font, même lorsqu’ils veulent en priorité aller en Staps ou en Paces, regrette Karim Salhi, vice-président de la CFVU à Caen. Il faut donner une information complète et transparente aux futurs bacheliers sur la réalité de ce qu’est l’université aujourd’hui et leur faire comprendre que les licences ne sont pas des choix par défaut !"

L’université de Caen envoie ainsi dans une quinzaine de lycées de l’académie d’anciens étudiants, qui viennent présenter les formations universitaires aux quelque 1.500 élèves concernés par ce dispositif.

Il faut donner une information complète et transparente aux futurs bacheliers sur la réalité de ce qu’est l’université aujourd’hui !
(K. Salhi)

Renforcer l’orientation active

Parallèlement, les établissements ont tout intérêt à promouvoir l’orientation active, démarche le plus souvent facultative qui peut se faire via le site APB dès l’ouverture des inscriptions, le 20 janvier. "La hausse des effectifs doit être maîtrisée par une orientation plus active que celle qui est faite actuellement, appuie Christine Clerici. Cela permettrait, d'une part, d'éviter l'augmentation dans des filières déjà saturées et, d’autre part, d'améliorer le taux de réussite en L1", fait valoir la présidente de Paris-Diderot.

À l’université de Bourgogne, une orientation active automatique a été mise en place pour les filières Paces, LEA, Staps et Slic (sciences du langage, information, communication). "Il s'agit d'une aide à la décision d'orientation pour les lycéens et leurs familles, précise Stéphanie Grayot-Dirx. Il faut souligner l'investissement des équipes pédagogiques qui ont fait ce choix, car c'est une pratique extrêmement chronophage, spécialement dans les filières où le nombre de demandes à traiter est très important. Aussi ne l'imposons-nous pas."

Une orientation active qui porte ses fruits, selon les études réalisées par l’Observatoire de l’Etudiant de l’université de Bourgogne : il y a une forte corrélation entre l'avis donné et la réussite in fine des étudiants.

APB 2016 : des ajustements en vue
Thierry Mandon doit annoncer, en décembre 2015, plusieurs mesures pour réformer APB, suite aux difficultés du cru 2015. Le secrétaire d'Etat souhaite tout d'abord mieux informer les lycéens sur les débouchés et le contenu de chaque filière d'étude.

Seconde piste à l'étude : renforcer les chances de chaque bachelier d'obtenir son voeu 1, notamment en portant à l'échelle de la région ou de la Comue (Communauté d'universités et établissements) la réponse aux demandes des candidats.

Natacha Lefauconnier | Publié le