Alain Boissinot (recteur de l’académie de Versailles) : «Sur la formation des enseignants, le débat entre savoirs et compétences n’est réglé dans aucun pays »

Propos recueillis par Céline Manceau Publié le
Alors que Nicolas Sarkozy entend rouvrir le chantier de la formation des enseignants , le dernier numéro de la revue internationale d’éducation* tombe à point pour prendre du recul avec des exemples de systèmes éducatifs étrangers. Ce dossier a été coordonné par le recteur de l’académie de Versailles, Alain Boissinot, ancien professeur de lettres, entré au cabinet du ministre de l'Education nationale, en 1994. Il nous livre sa vision du métier d’enseignant.

Pourquoi avoir accepté de coordonner ce numéro consacré à la formation des enseignants, un sujet plutôt « brûlant » ?
Le fait que ce soit un sujet brûlant en fait tout l’intérêt. Il me paraissait intéressant de prendre de la hauteur, de mettre les choses en perspectives pour sortir du débat franco-français. Les pays choisis dans la revue montrent une diversité de problématiques et permettent d’enrichir la réflexion. Ils ne doivent pas être considérés comme des modèles, même si certains pays sont plus en avance que d’autres et permettent de tirer des leçons, comme les pays anglo-saxons.

La formation des maîtres fait-elle autant débat dans les autres pays qu’en France ?
Dans aucun pays, cette question n'est stabilisée. Partout, les sociétés s’interrogent sur l’efficacité de leur système, sous la pression des évaluations internationales. Généralement, une des conclusions est que ça irait mieux si les maîtres étaient mieux formés. Et c’est ainsi que partout, la formation des maîtres cristallise le débat sur le système éducatif. La comparaison internationale donne du sens au débat actuel sur la mastérisation et permet de voir que ce qui se passe en France est cohérent, même si tout n’est pas réglé.

Les réponses apportées pour améliorer la formation des maîtres sont-elles identiques ?
On retrouve partout les mêmes lignes de forces qui vont dans le sens de l’histoire. Tout d’abord, la tendance est à l’allongement de la formation des maîtres (de bac+ 3 à bac + 5) en raison de la massification du système éducatif et du glissement vers le haut des niveaux de formation. Ensuite, la formation des maîtres devient un enjeu universitaire, pour s’articuler avec la recherche. Au Québec, la bascule vers les universités s’est opérée depuis longtemps. En France, elle a commencé avec la création des IUFM et le mouvement s’accélère aujourd’hui.

La réforme de la formation des maîtres pose-t-elle aussi les mêmes problèmes ?
Les interrogations se cristallisent sur la professionnalisation. La formation des maîtres n’est pas seulement une question de connaissances théoriques mais comprend aussi l’apprentissage de postures éducatives qui doivent s’adapter à un  public. Pour mieux former les enseignants, la plupart des pays ont tenté de définir des compétences professionnelles. C’est le cas au Québec, mais aussi en France où dix compétences ont été arrêtées. En Corée, la professionnalisation s’est traduite par une réflexion autour des techniques d’enseignement avec l’arrivée des nouvelles technologies. Dans les pays qui ont expérimenté les compétences, avant la France, on en voit bien les dangers. Le risque est que les compétences soient interprétées comme le contenu de la formation, au détriment des connaissances disciplinaires. On finit par penser que quelques techniques et outils suffisent pour enseigner. Alors que c’est beaucoup plus complexe. Et ce débat entre savoirs et compétences n’est réglé dans aucun pays !

De quelle manière la formation des enseignants devrait évoluer ?
Les étudiants qui veulent devenir enseignant devraient réfléchir, dès leurs études universitaires, à ce que signifie l’acte d’enseigner. Cette question est nécessaire pour répondre correctement à professionnalisation de la formation. Il me semble qu’un enseignant, à l’instar d’un médecin qui traite tous les malades, doit être adapté à tous les types de publics. Il doit être capable d’effectuer le bon diagnostic de ses élèves, qu’il enseigne en ZEP, sur la Montagne Sainte Geneviève ou encore milieu rural, et trouver le traitement adapté. On touche là au problème crucial de la représentation du métier. Pourquoi faire croire aux futurs professeurs de français, que ce qui est gratifiant c’est d’enseigner la grande littérature, au lieu de leur dire que c’est plutôt d’obtenir des résultats significatifs avec des cas difficiles, à l’instar d’un médecin.

Et le métier, sera-t-il très différent demain ?
Tous les pays ont du mal à anticiper. Pourtant il est essentiel de se demander à quoi vont ressembler les systèmes éducatifs de demain pour alimenter le débat sur la formation. C’est un vrai sujet de recherche. Sur ce point, la Corée peut nous amener à réfléchir, même si historiquement et culturellement, les solutions ne sont pas transposables. Ce pays a opéré une réorganisation massive de son système éducatif autour de l’utilisation des nouvelles technologies, que ce soit en présentiel ou à distance.

Et en France, quels aménagements voyez-vous pour la mastérisation ?
Il se dessine une continuité entre le premier degré et le collège, et une autre continuité entre le lycée et le premier cycle de l’enseignement supérieur. Si cette dynamique voit le jour, il faut en tirer des conclusions pour la formation des maîtres. Et donc considérer qu’on ne doit pas former de la même manière un professeur de sixième et un professeur de terminale. Ensuite, la France est le seul pays qui ne distingue pas la formation du recrutement. Ailleurs, ce sont uniquement les universités qui valident les connaissances. En France, c’est loin d’être tranché puisque le concours sert à attester d’un savoir au lieu de sélectionner. Le malentendu avec le master doit être réglé. C’est un vrai défi pour les universités que de concevoir des vrais masters professionnalisés. Allonger les études pour renforcer le savoir disciplinaire n’a pas de sens. En lettres, par exemple, après la licence, les deux années de masters pourraient comprendre des cours de grammaire et d’orthographe que les étudiants n’ont plus eu depuis le collège !


* Former des enseignants , Revue internationale d'Education, n° 55, CIEP, décembre 2010.

Propos recueillis par Céline Manceau | Publié le