Alcool et fêtes étudiantes : prévenir pour éviter le pire

Julia Zimmerlich Publié le
Alcool et fêtes étudiantes : prévenir pour éviter le pire
Le webdocumentaire "WEI or die" reconstitue l'ambiance et les excès d'un week-end d'intégration. // ©  Capture d'écran
Si la consommation d'alcool est un peu plus surveillée pendant les week-ends d'intégration, grandes écoles et universités se retrouvent démunies face aux stratégies de contournement des étudiants pendant les soirées le reste de l'année. Amélie Nicot, psychologue-alcoologue, cofondatrice de l'association Ça m'soûle, fait le point sur les actions de prévention à mettre en place, à la veille de la diffusion, sur le site Francetv.fr, de la webfiction "Wei or Die".

Amélie Nicot, psychologue-alcoologue, cofondatrice de l'association Ça m'soûle.Vous faites de la prévention sur les risques liés à l'alcool depuis presque dix ans dans les lycées et établissements de l'enseignement supérieur. Quelles évolutions constatez-vous ?

Nous sommes à un tournant. Il y a une prise de conscience généralisée de la part des chefs d'établissement. Leur responsabilité est engagée en cas d'accident lors d'un week-end d'intégration ou d'une soirée, même si les faits ont lieu en dehors de l'enceinte de l'établissement.

Il y a encore trois ou quatre ans, il était impensable de faire de la prévention dans certaines grandes écoles.
Soit parce que la direction de l'école se voilait la face sur les comportements de ses étudiants, soit parce qu'il y avait d'autres priorités. Les multiples changements de direction et les déménagements ont permis d'accélérer le changement. Et la CTI (Commission des titres d'ingénieur) demande même aux écoles de faire de la prévention. Aujourd'hui, c'est presque un non-sens de ne pas en proposer.

Les comportements des étudiants ont-ils évolué en une décennie ?

Les excès deviennent plus difficiles pendant les week-ends d'intégration, car de plus en plus d'administrations font le choix d'être présentes. Un BDE formé est aussi un BDE plus responsable. Pendant nos interventions, nous leur expliquons qu'ils se mettent hors-la-loi s'ils servent des alcools forts pendant les WEI, alors qu'ils n'ont pas la licence IV. On essaie aussi de les faire réfléchir à de nouvelles activités pour que les énergies ne soient pas uniquement captées par l'alcool.

Dans certains WEI bien cadrés, avec un planning dense sur les deux ou trois jours de l'évènement, il est plus facile de limiter la consommation d'alcool. Si vous buvez jusqu'à en vomir, vous ne pourrez pas participer à la sortie rafting du lendemain, par exemple. En revanche, là où il y a encore des progrès à faire, c'est pendant les soirées organisées le reste de l'année.

La loi Bachelot, qui interdit depuis 2009 la distribution gratuite d'alcool et les open bars, n'a t-elle rien changé ?

Si, mais elle n'est pas toujours respectée. Certains élèves ont mis en place des stratégies de contournement : beaucoup arrivent déjà fortement alcoolisés à la soirée et des BDE cachent des bouteilles d'alcools forts. De plus en plus les étudiants veulent parvenir à un état second rapidement, ils ne supportent pas d'arriver sobres à une soirée. Certaines directions refusent encore de voir cette réalité.

Un BDE formé est aussi un BDE plus responsable.

Comment les directions des établissements peuvent-elles faire de la prévention ?

Il faut oublier la formule classique (et économique) de l'amphi à 400 étudiants. Ça ne sert qu'à déculpabiliser les chefs d'établissement. On oublie aussi le discours moralisateur. Notre objectif est d'expliquer aux étudiants qu'ils peuvent boire sans se rendre malade ou mettre leur vie en danger. Cela fait huit ans que l'on intervient à l'école Télécom Paris Tech. Nous travaillons aussi avec CentraleSupélec, l'ENSAE, Polytechnique et depuis peu l'ESCP.

Nous formons d'abord les étudiants du BDE sur une demi-journée, puis nous informons les élèves de première année par groupes de 25. Le petit nombre est important. Nous repérons plus facilement celui qui baisse les yeux parce que l'alcool est un sujet difficile pour lui. Et il y a toujours trois ou quatre élèves qui vont rester à la fin pour prolonger les échanges.

Vous intervenez en tandem avec un comédien. Comment utilisez-vous le théâtre ?

Avec les BDE, nous travaillons avec des mises en situation pour leur apprendre à réagir à chaud face à quelqu'un qui a trop bu, qui est agressif ou qui est en situation de coma éthylique par exemple. Mais aussi à froid, entre deux soirées : comment aborder le sujet avec un étudiant montrant tous les signes d'une dépendance à l'alcool ?

Nous utilisons des techniques de management de situation de crise, nous les prenons au sérieux et c'est ce qui fait le succès de ces modules. Les trois plus gros tabous en France sont les odeurs corporelles, l'argent et l'alcool. Quand on sait parler d'alcool avec quelqu'un, on peut parler avec lui de beaucoup d'autres sujets.

Les images chocs, comme sur les paquets de cigarette, est-ce que ça marche ?

La dimension scientifique est au cœur de notre présentation aux étudiants de première année. J'aborde avec eux les effets sur le cerveau de la molécule alcool, images d'IRM à l'appui. Une étude a montré que les consommateurs réguliers d'alcool avaient une partie de la matière grise manquante, celle-là même qui est responsable de la maturation du cerveau jusqu'à 25 ans. L'Organisation mondiale de la santé situe à quatre verres d'alcool une consommation excessive. Boire autant une ou deux fois par semaine, c'est déjà être dans l'excès. C'est une base pour eux pour se situer.

L'association Ça m'soûle intervient dans les lycées et les établissements du supérieur depuis près de dix ans pour sensibiliser les jeunes aux risques de l'alcool.
"Wei or Die, bienvenue dans l'enfer d'un week-end d'intégration", la webfiction diffusée par France Tv le 28 octobre 2015.
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Julia Zimmerlich | Publié le