Après les attentats de Paris, que peut faire l'enseignement supérieur ?

Cécile Peltier, Céline Authemayou, Natacha Lefauconnier, Isabelle Dautresme, Camille Stromboni - Mis à jour le
Après les attentats de Paris, que peut faire l'enseignement supérieur ?
Apporter des clefs de compréhension aux étudiants, développer l'esprit critique, remplir sa mission sociale... le rôle de l'université, au lendemain des attentats de Paris, est multiple. // ©  Denis Allard / R.E.A
Anne Fraïsse, Olivier Faron, William Martinet, Joël Courtois... Après les actes terroristes du 13 novembre 2015 qui visaient particulièrement la jeunesse, plusieurs acteurs de l'enseignement supérieur réfléchissent au rôle que doit jouer l'université à l'avenir.

Anne Fraisse (Montpellier 3), candidate à la présidence de la CPU en 2014, aux côtés de Danielle Tartakowsky (Paris 8) et Rachid El Guerjouma (Le Mans).Anne Fraïsse (université Montpellier 3 Paul-Valéry) : "Aucun sujet n’est tabou à l’université"

"L’université enseigne la tolérance et la démocratie. Elle a donc un rôle important à jouer après les attentats, face à la barbarie qui a frappé. Mais pas dans l’immédiat, c’est un travail de fond que nous menons. L’université, c’est une attitude, une façon de faire, d’enseigner qui lui est propre. Être capable de critiquer, d’apporter le ‘pour’ et le ‘contre’, de ne pas être dominé par une idéologie. Une méthode qui permet de développer l’esprit critique chez les étudiants. Et ce, quel que soit le cours.

Attention aux idées d’enseignements à systématiser autour des thématiques liées aux attentats, sur le fait religieux notamment. Aucun sujet n’est tabou à l’université, et ces thèmes sont déjà présents dans les cursus de sciences humaines. Mais il ne faut pas imposer une forme de catéchisme laïque pour tous, comme réponse à cette situation de crise. Ce n’est pas cela, l’université."

Jacques Ginestié- président du réseau national des Espé // DRJacques Ginestié (Réseau des Espé) : "Donner aux enseignants les moyens de répondre aux interrogations de  leurs élèves"

"L’école et l’université ne sont pas seulement des lieux d’instruction. Elles doivent accompagner les jeunes jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes et qu’ils s’insèrent sur le marché du travail. Il en va de la cohésion sociale.

Concernant la formation des enseignants, la crispation entre savoirs disciplinaires et professionnels doit absolument être dépassée. Contrairement à ce que certains pensent encore, le métier d’enseignant n’est pas un métier d’exécutant. Les professeurs ont en face d’eux des jeunes qui ne leur ressemblent pas nécessairement. Ignorer l’environnement socio-économique dans lequel ils évoluent, c’est faillir à leur mission. Les Espé doivent donc faire une large place au tronc commun, particulièrement aux éléments sociologiques et géopolitiques. De manière à donner aux enseignants les moyens de répondre aux interrogations de  leurs élèves.

Mais attention à ne pas faire de cet enseignement un empilement de modules que l’on mettrait dans un sac en disant aux étudiants : maintenant débrouillez-vous. L’enjeu pour les Espé aujourd’hui est celle de la cohérence."

Olivier Faron - sept2011Olivier Faron (Cnam) : "L'enseignement supérieur doit mettre sa mission sociale au cœur de ses priorités"

"L'enseignement supérieur doit mettre sa mission sociale au cœur de ses priorités. En particulier en direction de tous ceux qui sont aujourd’hui les oubliés du système, les publics en difficulté, les décrocheurs. Il faut renforcer leur accueil dans l’enseignement supérieur et jouer à plein notre rôle d’intégration et de transmission des grands fondements de la culture républicaine.

Cela passe aussi par la défense de 'contre-messages' positifs sur des dimensions dévalorisées aujourd’hui : le Cnam monte actuellement un projet de formations professionnalisantes en utilisant la langue arabe, par exemple. Il y a un problème de cohésion sociale aujourd’hui. Il faut avoir le courage de dire qu’il y a une perte de repères chez un certain nombre de jeunes. L’enseignement supérieur participera, par un travail de réflexion qui doit toucher le plus grand nombre, à refaire de notre société une société apaisée."

L’enseignement supérieur participera, par un travail de réflexion qui doit toucher le plus grand nombre, à refaire de notre société une société apaisée.

Michel LussaultMichel Lussault (Conseil supérieur des programmes) : "Il faut absolument restaurer la culture générale dans le premier cycle universitaire"

"Il ne faut pas être naïf, la culture et la formation ne sont pas des protections absolues, mais on peut faire le pari que plus les individus seront éduqués, moins ils seront nombreux à être tentés par l'obscurantisme. La complexité de notre société exige un niveau de formation élevé. Or, aujourd’hui, on a un système d’enseignement supérieur utilitariste. Trop centré sur la préparation à un métier au détriment de la culture générale.

Les licences d’aujourd’hui ne sont plus adaptées à une société de la connaissance. Il faut absolument restaurer la culture générale dans le premier cycle universitaire. Cela permettrait de dialoguer plutôt que de s'entre-tuer. Une autre mission de l’université : dépasser l’émotion et apporter du sens et de la lisibilité aux évènements pour éviter que de telles barbaries ne se reproduisent."

William Martinet, président de l'Unef, s'inquiète du nombre de bacheliers William Martinet (Unef) : "Empêcher la société d'entrer dans un délire collectif sécuritaire"

"L’émotion est très forte aujourd’hui : ces attentats ont touché d’abord la jeunesse, beaucoup d’étudiants sont morts. L’université a un rôle important à jouer : il faut absolument empêcher la société d’entrer dans un délire collectif guerrier et sécuritaire. Pour résister à ce risque, nous avons besoin de penser, de débattre, nous avons besoin de la raison. La communauté universitaire a les bons outils pour cela.

Il y a deux temps : là, nous sommes encore dans le deuil. À l’université comme ailleurs, nous avons besoin d’humanité, d’échanges de paroles. Il faudra ensuite entrer dans le temps de la réflexion. Il faut questionner tout ce qui a un rapport, de près ou de loin, avec ces attentats.

On attend de pouvoir discuter de ce qu’est le jihadisme, Daesh, de la politique étrangère de la France… Il n’y a rien de pire que d’être neutre : il faut débattre. Quand on voit les étudiants en droit se lancer dans des discussions autour de la réforme constitutionnelle suite au discours de François Hollande, ce sont des signaux rassurants."

Il faut débattre. Quand on voit les étudiants en droit se lancer dans des discussions autour de la réforme constitutionnelle, ce sont des signaux rassurants.

Joël Courtois (Epita) : "L’enseignement supérieur doit continuer à diffuser un message d’espoir"

"Dans le cadre de leur formation, les futurs ingénieurs sont sensibilisés au multiculturalisme, à l’éthique. Ils sont préparés aux différences culturelles, politiques, religieuses. Lorsqu’ils se rendent à l’étranger, ils apprennent à gérer les chocs culturels, à s’y adapter et développent des valeurs de tolérance et de respect. Ces attentats vont à l’encontre de tout cela…

Dans ce contexte, le rôle de l’enseignement supérieur est de continuer à diffuser un message d’espoir. Nous devons rappeler que les étudiants sont porteurs d’une mission, celle de bâtir un monde meilleur.

Il ne faut pas perdre de vue cet objectif et ne pas être paralysé par la peur. Ce serait aller dans le sens des auteurs des attentats. La vie continue, les étudiants ont l’avenir à construire. À nous de les accompagner en les écoutant, en répondant à leurs angoisses."

Pascale Ribon (Estaca) : "Nous devons aider les jeunes à trouver des réponses" 

"Ces événements nous interrogent sur la façon d’accompagner nos jeunes : comment les aider à se forger un esprit critique, à décoder ces événements, à ne pas tomber dans le piège des discours extrémistes ? Dans les écoles d’ingénieurs, les problématiques ne sont pas les mêmes que dans un institut d’études politiques, où, de façon très spontanée, les étudiants vont entrer en discussion avec leurs professeurs. Les discussions ont lieu de façon plus informelle et les enseignants ne savent pas toujours comment aborder le sujet.

C’est pourquoi nous réfléchissons à l’organisation de conférences pour ouvrir des temps de dialogue. Car je pense que c’est du devoir de l’enseignement supérieur d’aider les jeunes à trouver des réponses.

Dans un monde qui change énormément, il est essentiel de leur fournir des clés de réflexion, que ce soit en sociologie, en géopolitique. Les étudiants qui se destinent à des carrières techniques auront demain à manager la diversité. Ils doivent être à l’aise avec les différences, qu’elles soient culturelles ou religieuses. La Conférence des grandes écoles se penche actuellement sur cette question."

Ces événements nous interrogent sur la façon d'accompagner nos jeunes : comment les aider à se forger un esprit critique, à décoder ces événements, à ne pas tomber dans le piège des discours extrémistes ?

Philippe Pierre Cabourdin recteurPhilippe-Pierre Cabourdin (Académie de Caen) : "Intégrer des outils dans la formation des enseignants pour traiter de l'inimaginable"

"Les valeurs de la République et le 'vivre ensemble' sont déjà abordés à l’Espé et à l’université. Ce à quoi il faut réfléchir pour le long terme, c’est comment intégrer, dans la formation des enseignants, des outils pour traiter de l’inimaginable, de ce qu’on ne souhaite jamais voir. Comment former des enseignants à échanger sur des sujets très difficiles ?

Cela va au-delà de la sensibilisation et ne peut être abordé en un seul cours, mais doit l’être en profondeur, tout au long de la formation. C’est ce dont je vais discuter très prochainement avec le directeur de l’Espé et le président de l’université de Caen."

Bernard Belletante // DRBernard Belletante (EM Lyon) : "Donner aux étudiants des clefs pour comprendre la société dans laquelle ils évoluent"

"Après les attentats, nous devions être là pour soutenir les étudiants, les écouter, mais je n'ai pas donné de consigne spécifique aux enseignants. Certains ont choisi d'en parler en cours, d'autres non. Notre mission d'éducateur est de donner aux étudiants des clefs pour comprendre la société dans laquelle ils évoluent.

À l'EM Lyon, ils ont accès à des enseignements de philosophie, de géopolitique, mais aussi à des rencontres avec des intellectuels et des personnalités de tous bords. Y compris des diplomates iraniens, lorsqu'il s'agit de parler de la situation au Moyen-Orient. Une école est une grande communauté, et toutes les sensibilités doivent pouvoir s'exprimer, dans le respect des valeurs de la République. Aux étudiants, ensuite, de se forger leur propre système de valeurs."

Frédéric Mion - Sciences po - ©Vincent BlocquauxFréderic Mion (Sciences po) : "Face aux violences nous avons des armes –pacifiques- les valeurs de l'université"

"Notre rôle comme établissement d'enseignement supérieur est crucial dans de tels moments. Notre vocation première prend tout son sens : aider nos étudiants à comprendre le monde -et même l'inimaginable, l'incompréhensible- pour agir positivement sur ce dernier.

Notre établissement est spécialisé dans les sciences sociales : sociologie, science politique, droit, histoire, économie...autant de regards à porter sur cette réalité pour l'élucider. Et nos étudiants sont depuis trois jours très demandeurs.

Notre rôle face à ce déchainement de violences est renforcé : nous avons des armes –pacifiques- de poids à leur opposer qui sont les valeurs de l'université : ouverture, débat, tolérance, liberté et notamment liberté de pensée et d'expression, et fraternité. Nos étudiants font pleinement leur ces valeurs. Dans ces moments, elles prennent tout leur sens."

Des hommages de responsables d'établissements d'enseignement supérieur
- Le message de Jean Chambaz (UPMC)
- Le message de Gilles Roussel (université Paris-Est Marne-la-Vallée)
- Le message de Marc-François Mignot-Mahon (Studialis-Galileo Global Education France)
- Le message de Rachid el Guerjouma (université du Maine)
- Le message de Jean-Luc Mayaud (université Lyon 2)
Cécile Peltier, Céline Authemayou, Natacha Lefauconnier, Isabelle Dautresme, Camille Stromboni | - Mis à jour le