Aux États-Unis, les universités payent le prix du décret Trump

Hélène Labriet-Gross Publié le
Aux États-Unis, les universités payent le prix du décret Trump
Selon Stephen Yale-Loehr, professeur spécialisé en droit de l’immigration à l’université de Cornell, les restrictions du décret sont appliquées plus strictement que prévu. // ©  columbia
Signé le 27 janvier 2017 par Donald Trump, le décret migratoire visant à restreindre l'entrée sur le territoire américain de certains ressortissants étrangers continue à faire parler de lui. Un an après, les universités du pays dressent un constat alarmant des effets de ces restrictions, imposées aussi bien à leurs personnels qu'à leurs étudiants.

Discriminatoire, anticonstitutionnel, antimusulman… Depuis janvier 2017, des voix s'élèvent pour dénoncer le décret migratoire signé par Donald Trump quelques jours à peine après son arrivée à la Maison Blanche. Bloqué à deux reprises par des décisions de justice, le texte a finalement été entériné par la Cour suprême en décembre 2017.

Désormais, neuf pays sont concernés : le Tchad, la Libye, le Yémen, l’Iran, l’Irak, la Corée du Nord, la Syrie, la Somalie et le Venezuela. Leurs ressortissants voient leurs conditions d'entrée sur le sol américain restreintes, avec une variation des dispositions selon leur nationalité. S'il est strictement interdit de voyager aux États-Unis pour les détenteurs de passeports nord-coréens ou syriens, pour les ressortissants du Venezuela, seuls certains officiels et leurs familles sont visés.

Une délivrance des visas revue à la baisse

Dès son entrée en vigueur, les universités américaines avaient redouté les conséquences du décret sur le système éducatif et de recherche, ce dernier reposant sur une forte collaboration internationale. Le site d'informations spécialisées Inside Higher Ed a analysé les premiers chiffres publiés par le Département d’État sur la délivrance de visas. Et ils ne sont guère rassurants.

Comparant le nombre de visas attribués entre 2016 et 2017 pour chaque pays concerné par le décret, la baisse des attributions des visas étudiants (dits "F1") et des visas destinés aux universitaires (dits "B1"), venus assister à des conférences ou délivrer des cours, est nette. Pour les F1, elle oscille entre 4,1 % pour le Tchad et 67,7 % pour le Yémen. Quant aux B1, ils enregistrent un recul de 39 % pour le Tchad et de 74,6 % pour la Corée du Nord.

Pour les visas étudiants, ces chiffres n’indiquent pas si cette baisse est révélatrice d’un déclin du nombre de demandes ou bien d’une augmentation des refus. En revanche, pour les visas destinés aux universitaires, ce sont bien les refus qui ont augmenté, dans six des huit pays concernés.

Un décret appliqué à la lettre

Selon Stephen Yale-Loehr, professeur spécialisé en droit de l’immigration à l’université de Cornell, ces chiffres montrent que les restrictions imposées par le décret sont appliquées de manière plus stricte que prévu, et dépassent même insidieusement son cadre. Prenant l’exemple de l’Iran, il note une baisse de 24 % des visas F1 délivrés, alors que selon les termes du décret, les étudiants iraniens ne sont visés par aucune restriction.

Ahmed Dardir, étudiant égyptien à l’université de Columbia à New York, sera peut-être forcé de soutenir sa thèse à distance. L’entrée aux États-Unis lui a été refusée et son visa révoqué après son dernier séjour au Caire, en novembre 2017. Interrogé sur ses liens avec des extrémistes salafistes, il n’a pu répondre aux questions des officiers d'immigration et se retrouve dans l’impossibilité de poursuivre ses études ou de chercher un emploi sur le sol américain. L’Égypte, comme l'Iran, ne figure pourtant pas dans la liste des pays affectés par le décret.

Les conférences organisées aux États-Unis boycottées

Autres victimes de l’application du décret, les conférences voient leur taux de participation diminuer. L’Association des études sur le Moyen-Orient a déploré 400 participants en moins sur les 2.400 attendus à sa réunion annuelle organisée à Chicago en novembre 2017. Le processus d’inscription à une conférence s’étale en général sur plusieurs mois : l’incertitude liée à la publication des trois décrets migratoires successifs et la bataille judiciaire qui en a résulté ont poussé de nombreux participants à la prudence.

D’autres universitaires et scientifiques choisissent sciemment d’exprimer leur opposition au décret migratoire en boycottant les conférences organisées aux États-Unis. Une pétition, lancée en janvier 2017, a récolté près de 6.600 signatures en seulement deux mois. Sur le long terme, il s'avère difficile pour certains de se priver de l’occasion de présenter son travail lors de ces conférences.

La bataille judiciaire n’est cependant pas terminée : une cour d’appel d'Hawaii entend prouver que Donald Trump a outrepassé ses prérogatives de président en imposant ce décret. Ses arguments seront entendus par la Cour suprême le 25 avril prochain.

Hélène Labriet-Gross | Publié le