Bachelor des écoles de commerce : le grade de licence se fait attendre

Cécile Peltier Publié le
Bachelor des écoles de commerce : le grade de licence se fait attendre
Toulouse business school, qui possède l'un des plus gros Bachelors du marché, attend avec impatience la sortie du grade licence. // © 
En suspens depuis plusieurs mois, le travail de la Commission d'évaluation des formations et diplômes de gestion sur le grade de licence devrait redémarrer prochainement. Une régulation très attendue par les grandes business schools, soucieuses de mettre de l'ordre sur le marché des Bachelors. Le point à l'occasion du classement 2016 des Bachelors de l'Etudiant.

"Une jungle", un "maquis"... Les directeurs d'écoles de commerce ne mâchent pas leurs mots pour décrire le marché des Bachelors : "ces formations se sont tellement développées ces dix dernières années que personne aujourd'hui ne sait combien d'étudiants sont inscrits dans ces filières", estime Frank Bournois, directeur général d'ESCP Europe, partisan d'une régulation.

Le terme Bachelor n'est pas une marque déposée, et, à côté des cursus proposés par les grandes écoles de commerce ou du réseau des EGC (Écoles de gestion et de commerce), pour la plupart visés par l'État ou a minima sanctionnés par un titre RNCP, de nombreuses formations ont prospéré hors de tout cadre.

Pour tenter d'y mettre un peu d'ordre, en 2014, la Dgesip (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle) a confié à la CEFDG (Commission d'évaluation des formations et diplômes de gestion) le soin de réfléchir à la faisabilité d'un grade de "licence", sur le modèle du grade de master.

Pourtant, un an et demi plus tard, le dossier, qui était alors présenté comme "un chantier prioritaire" par la présidente de la CEFDG, Véronique Chanut, se fait toujours attendre.

UN GRADE POUR L'ÉTÉ ?

À l'origine de ce retard ? Le manque de temps des membres de la Commission, tous bénévoles et obligés de gérer de plus en plus de dossiers ; une commission multipartite composée de représentants des écoles, de l'université et du monde professionnel aux visions différentes ; et un marché des Bachelors complexe à appréhender, car très dispersé.

"Il existe énormément de manières de concevoir le Bachelor, aussi bien dans la maquette que dans la finalité", rappelle Thierry Grange, président du conseil stratégique de GEM (Grenoble école de management) et membre de la Commission.

Véronique Chanut vient cependant de remettre le sujet sur la table : "Notre ambition est de sortir des propositions avant l'été", avance Olivier Oger, directeur général de l'Edhec, et également membre de l'instance de contrôle.

un grade au bout de trois ou quatre ans ?

Avant de parvenir à définir une norme, la CEFDG va devoir trancher plusieurs questions de taille. La première est celle du niveau sur lequel mettre le curseur. Aujourd'hui, la plupart des Bachelors durent trois ans en postbac, mais certaines écoles (Edhec, Essec, Inseec...) continuent de proposer des formations en quatre ans, souvent baptisées BBA. Le grade de Bachelor concernera-t-il les bachelors en trois ans ? En quatre ans ? Les deux ?

Olivier Oger aimerait examiner la possibilité de délivrer le grade au bout de trois ans pour les formations en quatre ans, à moins que le curseur ne soit placé à quatre ans. Impossible, pour la directrice générale de Novancia, Anne Stéfanini, qui siège aussi à la Commission : "Un grade est forcément associé à un diplôme. Il peut s'appliquer aux BBA, mais seulement au bout des quatre ans."

"Que l'on donne le grade à des Bachelors en quatre ans ne me gêne pas. Mais le format standard, c'est trois ans. À Polytechnique, il a d'ailleurs été fixé à bac + 3", souligne Frank Bournois.

Il existe énormément de manières de concevoir le Bachelor, aussi bien dans la maquette que dans la finalité.
(T. Grange)

Les membres de la CEFDG devront également se positionner sur la finalité du Bachelor. "Est-ce un diplôme du premier cycle d'enseignement supérieur ou un diplôme terminal à vocation professionnelle ?" Là aussi, la réponse ne semble pas évidente.

"Personnellement, je pense que, comme le grade de licence universitaire, il devra intégrer cette double dimension. C'est là que se jouera la différence avec les bac + 3 très professionnalisants, ressortant plus strictement du RNCP", indique Anne Stéfanini.

le dilemme des critères

Enfin, sur quels critères précis la Commission va-t-elle s'appuyer pour évaluer le Bachelor ? S'il semble acquis que les critères du "grade" seront plus exigeants que ceux du visa, le périmètre d'évaluation n'est pas défini.

"Les dossiers que nous serons amenés à évaluer pour le grade auront déjà fait l'objet d'un visa, ou d'une demande de visa, qui permet déjà d'examiner le programme et son environnement de manière approfondie. On devrait donc pouvoir se contenter de regarder certains éléments académiques supplémentaires, comme les capacités de recherche et les types d'enseignants", juge Anne Stéfanini.

Dans cette hypothèse, quels seront les standards retenus ? "Aujourd'hui, le quota pour le grade de master est d'une publication par professeur permanent tous les deux ans, et de 50% des cours assurés par des professeurs permanents. Les règles seront-elles les mêmes pour le Bachelor ou légèrement plus basses ?" s'interroge Olivier Oger.

"Je suis favorable à un grade de licence s'il permet d'améliorer l'information des étudiants. Mais il doit être moins exigeant en matière de recherche que le grade de master et mettre l'accent sur la qualité pédagogique et le suivi des étudiants", remarque Luc Pontet, directeur général de Brest BS.

UN ARBITRE

Pour Thierry Grange, le défi de la CEFDG va être de réussir à concevoir un cadre suffisamment souple pour intégrer la diversité des Bachelors existants, sans brider l'innovation des écoles. "Nous ne sommes pas là pour dicter leur stratégie aux écoles, mais, un peu à la manière d'un arbitre, pour fixer quelques règles afin de sécuriser une place pédagogique", confirme un de ses confrères.

Bachelor et grade de licence : les universités plutôt frileuses
Les universités seraient peu enclines à "brader" leur grade, selon plusieurs membres du sérail. "La CPU (Conférence des présidents d'université) n'est pas favorable à la multiplication des diplômes au niveau licence. Cela contribue à brouiller la lisibilité de l'offre de formation, confirme un président d'université, sachant que ces Bachelors gradés, selon la définition qui en est faite, pourraient rentrer en concurrence avec la licence professionnelle..."

Dans ces conditions, l'État ira-t-il jusqu'au bout de la démarche ? "Si le ministère nous a demandé cette évaluation, c'est qu'il y est favorable, mais je ne suis pas certain qu'il parviendra à l'imposer aux universités", craint une source proche du dossier à la CEFDG.

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