Laïcité : un réseau de référents se structure à l'université

Isabelle Dautresme Publié le
Laïcité : un réseau de référents se structure à l'université
Depuis 2010, la question du port du voile est devenu un objet de crispation, selon Christian Mestre. // ©  Delphine Dauvergne
Une trentaine d'universités comptent aujourd'hui des référents laïcité. Professeur de droit à l’université de Strasbourg, Christian Mestre est le référent pour la CPU et l'auteur de son guide sur la question. Il analyse pour EducPros l'évolution des problématiques auxquelles les universités sont confrontées depuis une décennie.

Christian Mestre_Professeur à Strasbourg et référent laïcité de la CPUEn septembre 2015, la CPU a publié une seconde version du guide de la laïcité dans l’enseignement supérieur. Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontées les universités ?

Le point de départ de notre travail sur la laïcité remonte à 2002-2003. À l’époque, la question de la laïcité n’était pas abordée dans l’enseignement supérieur.

De nombreux responsables d’universités se retrouvaient alors démunis lorsque des associations confessionnelles leur demandaient, par exemple, de mettre à leur disposition des locaux ou des aménagements d’emploi du temps pour les fêtes religieuses.

Certains pouvaient être tentés d’acheter leur tranquillité en répondant systématiquement positivement à toutes les demandes qui leur étaient faites.

D’où l’idée d’un guide, visant à la fois à apporter des réponses argumentées aux questionnements des faits religieux dans le cadre universitaire et à rappeler l’état de la législation.

Qu’est ce qui a changé entre 2004 et 2015 ?

Entre 2004 et 2015, de nouvelles questions sont apparues et d’autres se sont posées avec davantage d'acuité. Il fallait donc actualiser le guide. Parmi les nouvelles questions, celle des repas confessionnels servis dans des cafétérias gérées par des étudiants arrive en tête. La question du port du voile dans le cadre des examens ou sur la carte d’identité est également assez récente.

Clairement, depuis la loi de 2010 interdisant le voile intégral, nous assistons à une polarisation sur ces questions. Alors que, jusqu’alors, le port du voile, notamment par les personnes travaillant pour un prestataire extérieur, passait relativement inaperçu dans l’enseignement supérieur, il est devenu un objet de crispation.

En avril 2015, suite aux attentats, la CPU a préconisé la création d’un référent laïcité dans les universités. Un an plus tard, combien en sont dotées et quel est leur rôle ?

Le rôle du référent est d’apporter des réponses sur les questions de laïcité et de faits religieux. L’idée est de permettre de régler le plus possible les problèmes localement. Et cela fonctionne. Au final, les affaires qui remontent à la CPU sont relativement peu nombreuses.

Pour l’heure, une trentaine d’établissements ont un référent. Leurs profils sont très variés, il y a des juristes bien sûr, mais aussi des mathématiciens, des informaticiens... À terme, nous souhaitons que chaque établissement en soit doté d'un, même si nous avons bien conscience que la question de la laïcité ne se pose pas dans les mêmes termes et avec la même intensité partout.

L’objectif est de créer un réseau susceptible d’échanger sur la meilleure réponse à apporter à une question donnée, et ainsi de tendre vers une plus grande cohérence.

En répertoriant les incidents, les correspondants permettent en outre à la CPU d’avoir une idée précise des questions qui se posent sur le terrain. Autant d’informations qui permettront d’enrichir la prochaine édition du guide.

Il n’y a qu’une laïcité, celle du droit.

Pensez-vous que le principe de laïcité doive faire l’objet d’un enseignement dans le premier cycle universitaire, à l’instar de l’éducation morale et civique dans le secondaire ?

J’y suis clairement favorable, à condition toutefois de donner à cet enseignement un périmètre assez large. Cela permettrait d’aborder des questions extrêmement importantes, comme le vivre-ensemble, l’égalité, la tolérance…

Les étudiants sont les premiers demandeurs. Pour preuve, à Strasbourg, à chaque fois que nous organisons des conférences et des débats sur ces questions, nous faisons salle pleine.

La recherche sur la laïcité vous semble-t-elle suffisante ?

Elle n’est clairement pas suffisante et souvent historicisée. Aujourd’hui, les choses changent, le spectre des champs disciplinaires en lien avec la laïcité s’est étendu. On assiste à des questionnements philosophiques, juridiques, sociologiques… Il faut encourager les travaux de recherche sur ces questions, et labelliser des laboratoires pluridisciplinaires.

Laïcité ou laïcités ?
Christian Mestre est intervenu lors du colloque de la CPU sur la laïcité jeudi 19 mai 2016.

Initialement, le colloque devait s’intituler : "Les laïcités, un combat de l’Université pour les valeurs de la République", il s’est finalement appelé : "La laïcité et ses débats". Jean-Loup Salzmann, le président de la CPU, a justifié ce changement en évoquant "l’émoi qui avait traversé la communauté universitaire face au pluriel".

Pour Christian Mestre, il n'y a pourtant aucun débat. "Personnellement, je ne suis pas réceptif à cette distinction entre singulier et pluriel. Le débat sur les différentes interprétations de la laïcité est avant tout un débat sociologique et politique. La polémique entre Manuel Valls et l’Observatoire de la laïcité en est l’illustration. Pour moi qui suis juriste, il n’y a qu’une laïcité, celle du droit."
Isabelle Dautresme | Publié le