Cinéma : l’enseignement supérieur veut faire partie du décor

Aurélie Djavadi Publié le
Cinéma : l’enseignement supérieur veut faire partie du décor
L'université Paris 1 a hébergé une partie du tournage de Tamara 2, d'Alexandre Castagnetti, qui sortira dans les salles en juillet 2018. // ©  Pascal Levy / Panthéon-Sorbonne
D’un côté, des équipes de cinéma en perpétuelle quête de décors. De l’autre, des campus qui souhaitent valoriser leur patrimoine. Et si les deux parties faisaient plus souvent affaire ? C’est ce qu’espèrent la dizaine d’établissements présents, pour la première fois, au Salon des lieux de tournage, qui se tient à Paris les 22 et 23 janvier 2018.

Le synopsis du prochain film de Gilles Lellouche et les photos de son casting ont déjà circulé dans les médias. Mais à Grenoble, des étudiants peuvent se targuer d’en avoir déjà aperçu quelques scènes. Et pour cause, le tournage du "Grand Bain" – l’histoire de quadragénaires rejoignant une équipe masculine de natation synchronisée pour lutter contre la dépression – est passé par leur campus. "Quand nous avons été sollicités par l’équipe du film, la visibilité qu’un tel long-métrage pouvait donner à Grenoble-Alpes nous a intéressés, confie-t-on à la communication de la Comue. De plus, nous avons obtenu que des étudiants en cinéma aient un accès privilégié au plateau. Et d’autres ont pu être figurants."

Des atouts à valoriser

Jusqu’à renouveler l’expérience ? "Pourquoi pas, dans la mesure où cela ne perturbe pas l’enseignement. Avec un campus à l’américaine comme le nôtre, au cœur des montagnes, ce serait tout à fait possible." De là à démarcher les sociétés de production et bâtir une stratégie autour de la location de patrimoine, il y a un pas que certaines universités sont en train de franchir. En témoigne la présence d’établissements d’enseignement supérieur sur le Salon des lieux de tournage, organisé à Paris les 22 et 23 janvier 2018.

À la grande Halle de La Villette, où se tient le salon, la CPU a réservé un stand pour permettre à une dizaine d’établissements d’y présenter leurs atouts, rappelant que l’enseignement supérieur représente "18 millions de mètres carrés", soit "30 % des bâtiments publics" en France, dont certains très prestigieux.

Parmi les universités représentées : Paris-Nanterre. "L’accueil d’équipes de cinéma n’est pas nouveau. Cela remonte quasiment à la création de l’université, raconte Alexane Riou, cheffe de cabinet du président de Paris-Nanterre. En 2000, nous avons notamment prêté nos décors à 'L’Auberge espagnole' de Cédric Klapisch. Mais au-delà des questions d’image, nous avons pris conscience, depuis le tournage du 'Brio' d’Yvan Attal en 2016, que cela permettait de valoriser des amphithéâtres ou d’autres espaces dans les périodes où ils sont inoccupés. Auparavant, nous rebondissions sur les opportunités qui se présentaient. Désormais, nous envisageons une stratégie plus structurée."

Un apport financier non négligeable

Outre les cadres emblématiques des universités, notamment des amphithéâtres historiques situés dans le Quartier latin, le septième art est à l’affût de bien d’autres décors. “Beaucoup de sociétés nous contactent pour notre patrimoine historique, mais on s’aperçoit vite qu’une multitude d’autres espaces peuvent les intéresser, comme les jardins de l’Institut de géographie, ou même des couloirs”, note Franck Paquiet, directeur de la communication de Paris-1 Panthéon-Sorbonne. "Halls, parkings, bibliothèques ou infrastructures sportives, voilà autant de lieux que les sociétés trouveront dans une université sans avoir à multiplier les interlocuteurs", renchérit Stéphane Villain, directeur de la vie de campus de l’université Paris-Diderot.

Beaucoup de sociétés nous contactent pour notre patrimoine historique, mais on s’aperçoit vite qu’une multitude d’autres espaces peuvent les intéresser (F. Paquiet)

Pour les équipes de films, les négociations sont facilitées. Quant aux établissements, cela leur ouvre la perspective de nouvelles recettes financières. "Les dotations de l’État augmentent bien moins vite que les charges qui pèsent sur nous. Si l’on inclut tous les types de location – pour le cinéma mais aussi la publicité, l’accueil de colloques, de séminaires d’entreprise, etc. – cela nous rapporte actuellement 100.000 euros par an. Le résultat peut sembler faible comparé aux 300 millions d’euros de budget de l’université, admet Stéphane Villain. Cependant, une fois défalqués les postes incompressibles comme les salaires ou les charges d’entretien, on s’aperçoit que la part sur laquelle on peut fonder une politique et espérer des bénéfices est bien moindre. La location peut donc devenir une variable intéressante."

Entrer dans l’imaginaire collectif

Du côté de Paris-Nanterre, le temps total de tournage pour le cinéma s’est élevé à une semaine en 2017, avec un chèque de 10.000 euros à la clé. "C’est une somme qui peut vite augmenter, l’université n’étant pas très occupée durant certaines périodes, comme l’été, explique Alexane Riou. La condition, c’est de s’investir en amont. Car avant d’attirer des équipes de films, il faut assurer les visites avec des repéreurs et se faire connaître des agences spécialisées."

À Paris-1 Panthéon-Sorbonne, un effort de professionnalisation a été entamé en 2017. "Nous ne sommes pas des agences d’événementiel et ne pouvons par exemple pas nous engager pour des échéances très lointaines. Mais c’est une question que nous prenons au sérieux, assure Franck Paquiet. Avec le service du patrimoine, une vingtaine de lieux pouvant intéresser les cinéastes ont été recensés sur le campus. Un dépliant et un site web spécifique ont ainsi été créés pour les présenter. Par ailleurs, un assistant du service de communication, référent sur la question, est chargé de traiter les demandes et de coordonner le dialogue entre les parties."

De quoi être paré pour promouvoir l’identité de l’établissement. Et pourquoi pas celle de l’enseignement supérieur en général ? Si les campus sont le cadre de nombreux films outre-Atlantique, c’est loin d’être le cas en France. "Pourtant, ils auraient tout à fait les moyens de l’être, juge Johanne Ferry-Dély, directrice de la communication de la CPU. Quand nous nous mobilisons pour ce Salon des tournages, la motivation est la même que lorsque nous participons aux Journées du Patrimoine. Il s’agit d’inscrire l’enseignement supérieur dans la culture et l’imaginaire collectif."

Aurélie Djavadi | Publié le