Claude Lelièvre : " En 1986, la réforme voulue par Devaquet ne fixait pas d'attendus"

Morgane Taquet Publié le
Claude Lelièvre : " En 1986, la réforme voulue par Devaquet ne fixait pas d'attendus"
En 1986, au plus fort de la mobilisation étudiante contre la loi Devaquet, 400.000 à un million de personnes manifestent en France. // ©  Didier MAILLAC/REA
Décédé le 19 janvier 2018, Alain Devaquet aura marqué l’enseignement supérieur en 1986, avec son projet avorté de réforme du premier cycle. Claude Lelièvre, historien de l’éducation et blogueur EducPros, compare le projet de loi de l’époque à la réforme actuelle. Si, sur la mise en œuvre, les projets se distinguent, la philosophie d'origine semble être partagée.

En 1986, sur quels aspects de la réforme s'est construite la très forte mobilisation lycéenne et étudiante ?

La mobilisation s'est plus bâtie sur les intentions qu’on prêtait à Alain Devaquet que sur le projet effectif. Cette période de cohabitation – François Mitterrand est alors président de la République et Jacques Chirac son Premier ministre – était dure et frontale, notamment en matière d'éducation. Il faut bien avoir en tête qu'en 1985, le mot d'ordre porté par la gauche était l'objectif d'amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du bac.

Claude Lelièvre
Claude Lelièvre © Photo fournie par le témoin

À son arrivée en mars 1986, le Premier ministre Jacques Chirac, conseillé par le vice-président du syndicat étudiant UNI, Yves Durand, et soutenu par la droite dure majoritaire, n'y est pas favorable, même s'il laisse son ministre de l'Éducation nationale, René Monory, le reprendre à hauteur de 75 %. Il assume clairement l’instauration de la sélection à l'entrée de l'université. Ce n'était pas la ligne d'Alain Devaquet. Devant le Conseil d'État, son projet "soft" avait été amendé et radicalisé, laissant place à des incertitudes sur l'accès de tous au premier cycle, sur le cadre national des diplômes. Le tout dans un contexte de rumeurs persistantes sur une forte augmentation des droits d'inscription.

Tant qu'il n'y avait pas eu de radicalisation du projet et ces rumeurs, la mobilisation lycéenne et étudiante était très faible. Les deux éléments conjugués ont abouti à une forte mobilisation fin octobre 1986. Cela dit, Alain Devaquet n'ayant pas (encore) démissionné et portant le texte, il s'agissait donc toujours de sa réforme.

L’introduction de la sélection à l’entrée de l’université : c’est ce que dénoncent les opposants à la réforme menée par Frédérique Vidal. Les textes de 2018 et de 1986 s'inspirent-ils de la même philosophie ?

La philosophie de la réforme actuelle est à peu près la même que la réforme voulue initialement par Alain Devaquet, oui. En ce qui concerne l'entrée en licence, elles sont semblables : elles confirment que le baccalauréat est le premier grade universitaire. En 1986, il était également dit que les recteurs devaient proposer aux étudiants une inscription dans leur académie et dans un domaine proche.

La philosophie de la réforme actuelle est à peu près la même que la réforme voulue initialement par Alain Devaquet.

Mais en 1986, le texte finalement présenté au Conseil d'État, puis au Parlement, amendé par les chiraquiens, laissait plus de place à l'incertitude : le premier cycle était alors "ouvert aux titulaires du baccalauréat" sans indiquer s'il était ouvert à tous les titulaires du baccalauréat. Autre changement : le recteur, qui, dans la précédente mouture, devait proposer une place à tous, ne proposait plus qu'"en cas de nécessité, aux candidats des possibilités d'inscription dans les formations post-secondaires". En ce sens, la réforme actuelle est une réforme d'orientation plus ou moins autoritaire, alors que le projet finalement présenté au Parlement en 1986 était une réforme instaurant tout bonnement la sélection.

Est-ce là la principale différence entre ces deux réformes ?

La grande différence est que dans la réforme actuelle, les universitaires peuvent avoir leurs propres exigences ou desiderata, à travers les attendus locaux. Elle marque donc le retour des universitaires dans l'orientation, la ministre ayant pu considérer qu'il était utile de leur redonner de la légitimité.

A contrario, la réforme voulue par Devaquet ne fixait pas d'attendus, tout reposait sur les capacités d'accueil des établissements, s'il y avait de la place ou pas. Le discours était le suivant : vous tentez votre chance, si vous ratez, les recteurs vous trouvent une place ailleurs. De fait, si la réforme Devaquet était passée, les prérequis se seraient aussi automatiquement construits au niveau local, puisqu'aucun prérequis nationaux n'étaient prévus.

Vous évoquiez la conjugaison de plusieurs facteurs expliquant la mobilisation en 1986. En 2017, la contestation a été faible, notamment chez les étudiants. Comment l'expliquez-vous ?

Je ne pense pas que l'opinion publique ait foncièrement changé, mais elle accepte certainement plus facilement de subir des choses, si tant est qu'elles ne sont pas dictées par le hasard, comme avec le tirage au sort. Dans cette conjoncture, le gouvernement a compris qu'il y avait un créneau possible pour cette réforme.


Aller plus loin

Le blog EducPros de Claude Lelièvre


1986 et le projet de loi Devaquet

Arrivé au gouvernement en mars 1986, Alain Devaquet est chargé de mener la réforme des universités. Le projet de loi, amendé et durci par le Parlement, suscite la colère des lycéens et des étudiants. Un large mouvement de contestation s'organise, partout en France, de novembre à décembre 1986. Les étudiants craignent une hausse drastique des droits d’inscription et la mise en place d'une sélection à l’entrée de l’université. La mort d’un étudiant, Malik Oussekine, lors d’une manifestation le 6 décembre à Paris, précipite les événements : Alain Devaquet démissionne et le projet de loi est retiré.

Morgane Taquet | Publié le