Cours et examens en ligne : le numérique s'invite dans la mobilisation

Morgane Taquet Publié le
Cours et examens en ligne : le numérique s'invite dans la mobilisation
Pour les établissements, le déroulement des examens en ligne soulève encore de nombreuses questions. // ©  Plainpicture / BY
Après plusieurs semaines de blocages, certaines universités ont pris le parti de multiplier les cours en ligne, ainsi que d'organiser des examens à distance, comme souhaitait le faire l'université Montpellier 3 avant que ses serveurs ne soient détruits. Une décision qui relance la question de la faisabilité et de la sécurisation du processus.

"Le fonctionnement informatique de l’université est désormais à l’arrêt et la connexion Internet est suspendue. Des dégâts importants sont malheureusement à déplorer." Ces mots sont ceux de Frédérique Vidal, dans un communiqué du 11 avril 2018, publié suite à la destruction des serveurs informatiques de l’université Montpellier 3-Paul-Valéry, intervenue durant le blocage de l’université.

Exit la plate-forme Moodle, accessible aux étudiants pour les cours en ligne et pour les examens que l’université souhaitait organiser à distance. Quelques jours plus tôt, le président de l'établissement, Philippe Gilli, détaillait auprès de nos confrères du "Midi Libre" les modalités d'organisation des examens à distance choisies pour contourner le blocage de l'université. Sur 800 examens, 780 devaient être dématérialisés et auraient concerné 15.000 étudiants.

Relocalisation et cours à distance

Comme à Paul-Valéry, après plusieurs semaines de blocage, certaines universités ont pris le parti de recourir au numérique pour assurer la continuité pédagogique. À Paris 1-Panthéon-Sorbonne, dont le site de Tolbiac a été bloqué durant plusieurs semaines, les cours en ligne ont pris une dimension nouvelle avec une diffusion, pour certains d'entre eux, sur Facebook Live. Cette voie avait été initiée dès l'automne 2016 par Bruno Dondero, professeur de droit et directeur du CAVEJ (Centre audiovisuel d'études juridiques des universités de Paris).

À Toulouse 2-Jean-Jaurès ou encore à l'université de Bordeaux, où le site de la Victoire est bloqué depuis début mars, la majorité des enseignements ont été relocalisés sur les autres sites ou organisés à distance via les plates-formes numériques d’enseignement. Au-delà des cours en ligne, que les universités pratiquent déjà à grande échelle, c'est la question des examens à distance qui interroge les universités, alors que l'année universitaire touche à sa fin.

Sécuriser les examens

Et la question des examens à distance n'est pas simple, et soulève de nombreuses interrogations quant à sa faisabilité. Pour Stéphane Amiard, vice-président chargé du numérique et du patrimoine à l'université d'Angers et ancien président des VPNum (association des Vice-Présidents en charge du numérique dans l'enseignement supérieur), la question de la connectivité, "souvent prise comme argument" pour ceux qui s'opposent aux examens à distance, est un faux débat.

"Il y a suffisamment de lieux en France avec des accès à Internet, même via la 3G, pour qu'on se réfléchisse sérieusement au sujet, dit-il. En revanche, la question de la vérification de l'identité à distance est centrale. Au Canada, les établissements utilisent la webcam. En France, cela n'a pas encore été fait sur de gros effectifs."

Excepté pour les ECNi (épreuves classantes nationales informatisées, qui concernent les étudiants en fin de sixième année de médecine), qui ont été dématérialisés depuis 2015. En 2017, près de 9.000 étudiants ont passé des ECNi dans 34 facultés sur des tablettes numériques labellisées, fournies par leur université.

"Il s'agit d'une procédure et d'un cadre technologique très contraints, explique Stéphane Amiard. Il y a des gardes-fous : une équipe informatique surveille le réseau en cas de coupure et une procédure de labellisation nationale a été instaurée pour vérifier que cela se passe dans le meilleur des cadres possibles." Ce qui n'a pas empêché qu'il y ait des bugs lors des premières sessions.

Alors, comment sécuriser l'examen et éviter la fraude ? "Il faut d'abord avoir à l'esprit que, bien souvent, l'examen à distance n'est pas la seule évaluation. Il y a plusieurs notes en contrôle continu permettant de voir qui travaille et qui ne travaille pas." Autres méthodes de vérification : "Le taux de connexion à la plate-forme Moodle, le QCM en temps limité, le temps passé par l'étudiant à lire les documents dont nous pouvons avoir connaissance, ainsi que les logiciels anti-plagiat dont disposent les plates-formes sont autant d'indices, énumère Stéphane Amiard. De nombreux critères permettent d'identifier des étudiants qui fraudent... Qui sont tout de même potentiellement minoritaires."

Comment massifier les dispositifs ?

Sur le volet juridique, un décret d'application de la loi pour une République numérique, en date du 24 avril 2017, a fait évoluer le Code de l'éducation, expliquait dans une interview à EducPros Pierre Beust, directeur du centre d’enseignement multimédia universitaire de l'université de Caen et expert au sein du ministère de l'Enseignement supérieur. L'université normande expérimente depuis plus de deux ans la télésurveillance à domicile d'examens.

Le décret indique que les enseignements peuvent être dispensés "soit en présence des usagers, soit à distance, le cas échéant, sous forme numérique, soit selon des dispositifs associant les deux formes". "Quant aux examens en ligne, ils sont autorisés, dès lors que la vérification de l'identité des candidats et des conditions de déroulement de l'épreuve a été effectuée", précise le texte.

Si les verrous ne sont pas d'ordre juridiques, l'enjeu, pour Stéphane Amiard, réside dans la massification de ces dispositifs. "Un grand nombre d’universités font déjà des tests de positionnement pour accompagner la réussite des étudiants en ligne. Sur 1.000 étudiants, on sait faire. Mais pour 20. 000 étudiants, cela nécessite un grand nombre de ressources techniques et humaines." Une piste pour amplifier le recours aux examens dématérialisés ? La mise en place de lieux dédiés aux examens sur machine avec des connexions stables, qui faciliterait la vérification des identités. Une démarche difficilement réalisable avant la fin de l'année universitaire.


Vers une externalisation des serveurs ?

Pour Stéphane Amiard, l’événement intervenu à Montpellier 3 pose à nouveau la question de l'externalisation des serveurs. "Beaucoup d'écoles le font déjà. Les universités, elles, ont l'habitude d'héberger dans leurs locaux les plates-formes", assure Stéphane Amiard. "Si Montpellier 3 avait eu ses serveurs externalisés, le saccage n'aurait pas eu lieu. Les universités n'ont généralement pas de data center sécurisé, équipé de sas blindés, d'une vidéosurveillance, d'une double induction électrique et d'une sécurité incendie", ajoute-t-il.

Pour le vice-président numérique, "la question de l'externalisation se pose déjà depuis un moment pour les universités, mais coinçait sur la question du financement, les coûts de fonctionnement pouvant aller jusqu'à 80.000 ou 100.000 euros. La question se pose désormais en termes de sécurité".

Morgane Taquet | Publié le