De l’auberge espagnole à l’université européenne : rêve ou réalité ?

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De l’auberge espagnole à l’université européenne : rêve ou réalité ?
En 2024, au moins vingt universités européennes devraient exister. C'est l'objectif visé par Emmanuel Macron. // ©  Teun VOETEN/PANOS-REA
Sur « The Conversation France », Andrea Kaplan, recteur de l’ESCP Berlin, analyse le projet d’université européenne voulu par le président de la République, Emmanuel Macron, une idée pas totalement nouvelle, mais qui nécessite des harmonisations.

Le programme Erasmus, qui fête ses 30 ans en 2017 et est connu du grand public depuis le film “L’auberge espagnole”, arrive en tête quand on demande aux Français des réussites de l’Union européenne, selon un sondage réalisé récemment. L’Europe traversant une crise existentielle, aller plus loin dans la promotion d’un enseignement supérieur européen est fort propice. Ainsi, Emmanuel Macron voit le futur de l’UE en partie dans l’éducation avec la création des universités européennes. Rêve ou réalité ?

L’éducation comme premier pilier du renouvellement de l’UE

Le président de la République a proclamé pendant son discours au forum économique mondial à Davos que le renouvellement de l’UE passera par l’éducation. Emmanuel Macron continue ainsi ce qu’il a commencé pendant son discours à la Sorbonne où il présentait sa vision de l’Europe de demain.

Selon ses plans, en 2024, devraient exister au moins vingt universités européennes, constituées chaque fois d’un réseau de quatre à six institutions dans au moins trois États-membres de l’UE. Ces clusters devraient développer conjointement des programmes d’études basés sur un curriculum intégré dans plusieurs pays et langues, tant pour assurer un changement de pays chaque année, qu’une formation tout au long de la vie, ainsi que des projets de recherche et d’innovation.

Malgré ses nombreux avantages, Erasmus souffre encore de quelques lacunes.

Ces universités ont comme objectif de créer un sens d’appartenance fort à l’Europe, en enseignant également les particularités de la culture européenne et vont donc plus loin que le programme Erasmus, implanté en 1987, et que le processus de Bologne, allant de la convention de Lisbonne en 1997 à la création de l’Espace européen de l’Enseignement supérieur en 2010.

Malgré ses nombreux avantages, Erasmus souffre encore de quelques lacunes telles que le manque de cohérence de certains programmes d’un établissement à l’autre ou l’intégration imparfaite des étudiants en échange avec ceux de l’institution hôte, qui restent souvent entre eux. L’université européenne doit pouvoir surmonter ces défis.

Investir dans le neuf ou l’ancien ? Réponse pragmatique

L’idée des universités européennes n’est pas totalement nouvelle, aussi est-il possible de s’inspirer d’initiatives existantes. Une université européenne pourrait recouvrir deux formes : soit celle de réseaux d’institutions existantes tels que proposés par Emmanuel Macron, soit celle d’un seul et même établissement, implanté dans plusieurs pays en Europe.

Le Campus européen offre un bel exemple de réseau universitaire nourri par la collaboration entre les universités de Bâle, Freiburg, Haute-Alsace, Strasbourg et l’Institut de technologie de Karlsruhe. Les étudiants circulent en effet librement entre ces établissements, rassemblés en GECT (groupement européen de coopération territoriale), dont la forme juridique reconnue par l’UE permet aux autorités publiques de différents États-membres de fournir des services conjointement.

La grande école ESCP Europe, établie dans six pays différents avec ses campus à Berlin, Londres, Madrid, Paris, Turin, et Varsovie, peut servir de modèle alternatif à un réseau d’établissements. Les étudiants sont incités à étudier sur plusieurs campus pendant leurs études et les curricula sont intégrés et coordonnés. ESCP Europe n’a pas une forme juridique unique, mais sa propre entité nationale dans chaque pays.

L’avantage des réseaux universitaires est que ces institutions existent déjà et jouissent pour certaines d’une marque reconnue alors que l’implantation de la même université dans plusieurs pays demandera beaucoup de ressources et de temps. Le bémol des universités existantes est dans leurs structures souvent figées dans des contextes locaux.

Ainsi Janosch Nieden, directeur du Campus européen explique que les universités allemandes planifient les salles et créneaux des cours des mois en avance, quand les universités françaises le font beaucoup plus tardivement. De plus, il faudrait harmoniser des services supports vitaux tels que les systèmes informatiques, enfin les difficultés observées chez certaines Comue au plan national seraient certainement exacerbées dans un contexte de cultures différentes.

Pourquoi ne pas entreprendre une synthèse pragmatique de ces modèles où une université prendrait le lead dans un domaine académique enseigné dans plusieurs pays et s’appuierait sur des universités qui y trouveraient leur compte dans un autre domaine d’étude ? […]

Chaque fois, l’université lead désignerait le curriculum et aurait accès aux corps professoraux et aux infrastructures des deux autres universités. Il s’agirait donc d’un échange de ressources entre structures bien ancrées et dont les marques sont fortes, en conservant l’avantage d’une organisation où les décisions sont faites par une seule entité.

Pour bâtir haut, il faut creuser profond : des questions à clarifier

La création des universités européennes ne sera pas chose simple. Quel diplôme une université européenne peut délivrer alors que le diplôme européen n’existe pas ? L’étudiant en philosophie de l’exemple précédent aura probablement une licence française ; ou tout au plus un diplôme de chaque pays. Symboliquement, la création d’un tel grade est pourtant un passage obligé si l’identité européenne doit être développée. Reste à décider qui va délivrer un tel diplôme ? Qui définira ses exigences et qui contrôlera qu’elles sont atteintes ?

La langue d’enseignement est une deuxième question cruciale. Offrir les cours seulement en langue locale pourrait diminuer le brassage des cultures en salles de cours. À l’inverse, la possibilité d’étudier entièrement en anglais pourrait être conditionnée à des cours de langues intensifs et à l’obligation d’atteindre un certain niveau dans la langue locale à la fin du parcours. Cependant, est-ce que les étudiants à la sortie du lycée auront le niveau nécessaire pour suivre les cours, ne serait-ce qu’en anglais ? Quid des professeurs d’université et de leur capacité à enseigner en langue anglaise ?

Le souhait d’Emmanuel Macron que chaque étudiant en Europe passe au moins un an à l’étranger est encore une réalité distante.

Quant au financement du projet, un tel réseau d’établissements devrait se voir doté par l’UE de 5 à 6 millions d’euros pour une durée de cinq ans, soit un total de 100 millions. La question de l’allocation de ces ressources entre États-membres sera épineuse dès lors que les étudiants plébisciteront un pays plutôt qu’un autre et seront plus motivés d’apprendre l’espagnol que le luxembourgeois.

Finalement, il faudrait aussi réfléchir à la magnitude d’un tel projet. Le souhait d’Emmanuel Macron que chaque étudiant en Europe passe au moins un an à l’étranger est encore une réalité distante car en trente ans, 3,3 millions d’étudiants ont participé à un séjour Erasmus.

L’objectif ne pourrait être atteint que si d’autres universités – non-participantes aux réseaux universitaires européens et à son financement – commençaient à collaborer entre elles indépendamment du projet européen. Cette émulation pourrait intervenir si les diplômés des réseaux universitaires européens démontraient une forte employabilité grâce à leur multilinguisme, leur intelligence culturelle, et leur plus grande flexibilité, ayant déménagé trois fois en trois ans.

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