Donata Marra : "Il faut agir vite pour améliorer la qualité de vie des étudiants en santé"

Martin Rhodes Publié le
Donata Marra : "Il faut agir vite pour améliorer la qualité de vie des étudiants en santé"
Les étudiants en santé sont particulièrement soumis au stress. // ©  université Paris Descartes-Paris 5 Huguette & Prosper
Il y a urgence à s'occuper du bien-être des étudiants en santé, particulièrement soumis au stress. La présidente du Bipe (Bureau interface professeurs étudiants) de Sorbonne Université, Donata Marra, fait le point pour EducPros sur les principales préconisations de son rapport rendu au gouvernement début avril 2018.

Pensez-vous que les étudiants en santé soient plus exposés aux risques psychosociaux que les autres, et si oui pourquoi ?

Il est difficile de répondre avec précision, car les études globales et comparatives sont trop peu nombreuses. Toutefois, si l’on se fie aux données internationales, le taux de burn-out dans les études de médecine compte parmi le plus élevés.

Donata Marra
Donata Marra © Pierre Sivisay / Sorbonne université

Les étudiants en santé ont la particularité d’être confrontés à la souffrance et à la mort, et ce dans un milieu professionnel – je pense notamment à l’hôpital – frappé par de grandes difficultés. Dans les facultés, la densité des programmes et les modes de sélection (première année commune aux études de santé et épreuves classantes nationales, pour médecine) sont eux aussi vecteurs de stress.

En tant que présidente du Bipe (Bureau interface professeurs étudiants), vous rencontrez beaucoup d’étudiants en difficulté. C'est pourquoi vous avez été missionnée sur la qualité de vie des étudiants en santé. Qu’est-ce qui vous a surpris, dans le cadre de ce rapport ?

J’ai tout d’abord été surprise par la multiplicité des facteurs qui sont à l’origine du mal-être des étudiants : sociétaux, économiques, individuels, etc. Les causes sont à la fois plurielles et imbriquées. Au cours des auditions, j’ai aussi pu constater que le ratio enseignants/étudiants avait fortement baissé. De plus en plus d’étudiants font le choix des études de santé, alors que le contingent d’enseignants stagne. Dans les services hospitaliers, le problème est similaire. Débordés, les soignants n’ont plus beaucoup de temps à consacrer à la formation et au soutien moral des étudiants, ce qu’on appelle couramment le compagnonnage. Ce tutorat plus ou moins informel joue pourtant un rôle déterminant dans la qualité de vie des étudiants.

J’ai également pu mesurer l’omniprésence du numérique dans les formations. Cet outil pédagogique est ambivalent. Il présente des avantages indéniables à l’heure où le nombre d’étudiants en santé explose, mais il favorise aussi fortement l’isolement. En Paces, par exemple, les étudiants ont la possibilité de rester chez eux pour suivre les cours à distance. Le lien social est rompu, et personne, pas même le tutorat étudiant, ne peut dire s’ils vont bien ou non. Le numérique nécessite un accompagnement enseignant, aujourd’hui insuffisant.

Débordés, les soignants n’ont plus beaucoup de temps à consacrer à la formation et au soutien moral des étudiants, ce qu’on appelle couramment le compagnonnage.

Votre rapport comprend 12 recommandations, sur lesquelles s’appuient les 15 engagements du gouvernement. Quelle est la mesure la plus urgente ?

Tout d'abord, il faudrait davantage renseigner les encadrants et les étudiants sur les dispositifs d’accompagnement et les parcours de soins existants. L’information pourrait être transmise par les représentants étudiants, les responsables de formation et les structures de soutien et d’accompagnement. Les IEE (interfaces enseignants-étudiants, comme le Bipe), les commissions pour les étudiants en difficulté, ainsi que les tutorats individuels sont aujourd’hui les trois modèles de soutien qui prévalent. Dans les universités, les services de médecine préventive proposent des consultations avec des psychologues, et parfois des psychiatres. Le Bipe, que je dirige, vise à favoriser la réussite et le bien-être des étudiants. De l’entretien d’orientation au début du suivi psychiatrique, en passant par les ateliers de gestion du stress et les formations pour apprendre à apprendre, ce dispositif propose une large palette d’outils.

Après avoir communiqué sur les dispositifs existants, il serait ensuite possible de les compléter. Beaucoup de facultés ont commencé par mettre en place un dispositif de prévention tertiaire [s'adressant aux étudiants en grande difficulté]. Il faudrait aller plus loin, en mettant en place des actions complémentaires. Les préventions primaire [à destination de l'ensemble des étudiants] et secondaire [pour les étudiants identifiés comme étant à risque] sont elles aussi indispensables à la qualité de vie des étudiants.

Vous préconisez également la création d’un "centre national d’appui" visant à "promouvoir la qualité de vie des étudiants et professionnels de santé". Une sorte d'observatoire des risques psychosociaux dans les études de santé ?

Le centre national d'appui ne serait pas un énième observatoire. Un nombre important d'études et d'enquêtes sur le bien-être des étudiants sont publiées [l’Association nationale des étudiants sages-femmes a lancé la sienne en mars dernier]. Nous savons désormais qu'il faut agir, et vite. Le centre national d'appui serait plutôt un centre de ressources. Il réunirait notamment les représentants étudiants, les conférences des doyens en santé, ainsi que les conseils de l’ordre des professions de santé.

Le centre national d'appui aurait pour principales missions de former les enseignants et les représentants étudiants à la prévention et à la détection des étudiants en difficulté [« dès 2018 », selon la ministre de la Santé Agnès Buzyn], d'identifier les facteurs de risques psychosociaux, mais aussi de répertorier, d'informer et d'engager des discussions sur les dispositifs nationaux et les expériences locales. À mon sens, ce centre ne peut être que national, car les difficultés rencontrées par les étudiants sont souvent les mêmes.

Dans votre rapport, vous écrivez : "Les internes sont à court terme une des urgences identifiées dans les recommandations." Pourquoi cette priorité ?

En médecine, la difficulté augmente à mesure que l'on progresse dans le cursus. Les internes, qui sont en bout de course, se voient confier de nouvelles responsabilités dès la première année [la prescription, notamment]. Le rythme et le temps de travail [souvent supérieur à 48 h par semaine], mais aussi la charge émotionnelle, sont particulièrement éprouvants. Pour bon nombre d’étudiants, la première annonce d’un décès est une épreuve à la fois redoutée et particulièrement difficile.

Au vu des spécificités de l’internat et du stress qu’il peut générer, je suis donc pour la mise en place de dispositifs d’accompagnement exclusivement dédiés aux internes. Ces centres régionaux pourraient prendre différentes formes, afin de tenir compte des particularités locales. Comme pour les autres recommandations, la forme compte moins que l’objectif.


Consulter le rapport de Donata Marra sur la qualité de vie des étudiants en santé

Martin Rhodes | Publié le