Écoles universitaires de recherche : des "graduate schools" à la française

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
Écoles universitaires de recherche : des "graduate schools" à la française
La Comue Paris-Seine et l'université de Strasbourg ont toutes deux obtenues des fincancements pour développer des écoles universitaires de recherche. // ©  U Cergy / catherine Schroeder - U Strasbourg
À partir de la rentrée 2018, 29 écoles universitaires de recherche verront le jour. Ces "graduate schools" à la française rassemblant universités, écoles et organismes de recherche doivent redessiner, par petites touches, l'enseignement supérieur et la recherche français.

Comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni, la France aura ses "graduate schools".  29 EUR (écoles universitaires de recherche) seront créées à partir de septembre 2018. Sélectionnées par un jury international parmi sur 191 dossiers dans le cadre du PIA 3 (programme d'investissements d'avenir), ces "écoles" bénéficieront de moyens supplémentaires loin d'être anecdotiques – 216 millions d'euros au total –, versés sur une période de dix ans.

Elles n'auront pas, néanmoins, d'existence physique. L'EUR ne sera pas "un lieu ou un bâtiment". Il ne s'agira pas non plus d'"une structure juridique nouvelle", s'ajoutant au mille-feuille administratif des UFR (unités de formation et de recherche), écoles doctorales et autres laboratoires de recherche, tient à préciser Olivier Guyot, directeur de la mission Investissement d'avenir de l'université de Strasbourg, qui se lance dans la création de quatre EUR.

Les futures graduate schools seront "des communautés"...

Pour comprendre ce que sera une graduate school à la française, il faut plutôt imaginer "une communauté de chercheurs, d'enseignants-chercheurs et d'étudiants travaillant ensemble sur une même thématique scientifique", décrit Catherine Florentz, vice-présidente recherche et formation doctorale de l'université alsacienne.

"C'est un regroupement virtuel, destiné à mettre du liant entre les structures et proposant des formations d'excellence, destinées aux meilleurs", abonde Olivier Guyot. Un label, apposé sur des projets de qualité, qui ne donnera donc pas nécessairement naissance à une nouvelle entité juridique.

...intégrant pleinement les organismes de recherche

De fait, selon l'appel à projet lui-même, le premier objectif de ces écoles est de "promouvoir en France le modèle reconnu internationalement des graduate schools". Ce label se veut ainsi un gage d'excellence scientifique, permettant de gagner en visibilité à l'international. Les acteurs l'ont d'ailleurs bien compris, eux qui ont tous donnés à leur EUR un nom anglais.

Deuxième objectif, découlant du premier, "rassembler dans une même dynamique d'excellence universités, écoles et organismes de recherche". Autrement dit, il s'agit de resserrer les liens entre masters, diplômes d'État, doctorats et laboratoires de recherche, afin que la multitude d'acteurs rattachés à des structures différentes puisse travailler ensemble de manière plus fluide.

Les porteurs de projets interrogés au Mans, à Strasbourg et à l'Université Paris-Seine insistent tous sur la collaboration renforcée avec les organismes de recherche : les chercheurs seront beaucoup plus présents dans les masters, ainsi que dans le pilotage des écoles ou encore dans la sélection des étudiants en master, énumèrent-ils.

"Le but est d'imprégner les étudiants d'une méthodologie propre à la recherche même si tous, bien sûr, ne se dirigeront pas vers cette voie", analyse Rachid El Guerjouma, président de l'université du Mans, où une graduate school en acoustique verra le jour.

Les EUR ne fonctionneront pas selon un modèle unique

Mais il n'existera pas de modèle unique d'école universitaire de recherche. En Île-de-France par exemple, la Comue Université Paris-Seine, qui compte parmi ses membres l'université de Cergy, mais également l'École nationale supérieure du paysage de Versailles et l'École nationale d'architecture de Versailles, souhaite jouer "un rôle pionnier" dans le développement d'une offre de doctorats – pour le moment, quasi inexistante en France – en architecture, paysagisme, écriture créative et art.

Pour cela, explique Isabelle Prat, vice-présidente de la politique de site et contractualisation de l'université de Cergy, la nouvelle EUR s'appuiera sur une école doctorale restructurée, entièrement dédiée aux humanités. Un master 2 spécifique et transversal, adossé à la nouvelle EUR, sera également créé. Outre cette formation ad hoc, tous les étudiants de l'université et des écoles de la Comue pourront suivre des mineures proposées par la graduate school.

Dans chaque université de taille moyenne,il existe des recherches de niche de grande qualité. Préservons-les en développant des réseaux régionaux et interrégionaux.
(R. El Guerjouma)

À l'université du Mans, l'école universitaire de recherche en acoustique – une niche dont l'excellence est déjà reconnue – "prolongera" un rapprochement déjà amorcé entre UFR et laboratoires. L'objectif pour Rachid El Guerjouma ? Aboutir, à terme, à "une structure juridique dont la gouvernance serait bien plus forte qu'une simple association".

À Strasbourg, enfin, chacun des quatre projets possède ses propres spécificités : la future école sur la physique quantique aura un périmètre très restreint quand celui de la future école en biologie moléculaire et cellulaire sera bien plus grand. "Nous verrons dans trois ou quatre ans lequel de ces modèles fonctionne le mieux et nous aviserons", indique Catherine Florentz.

"Les résultats de l'appel à projets sont symptomatiques"

Malgré ces différences, la création des graduate schools invite à se demander si le modèle anglo-saxon est le seul horizon envisageable. Pour Catherine Florentz, "le type de modèle importe peu, ce qui compte, c'est de former les meilleurs cerveaux." Dans le milieu très international de la recherche, "si parler de graduate schools nous donne une meilleure visibilité, faisons-le", plaide la responsable.

De son côté, Rachid El Guerjouma est plus nuancé, tant les résultats de l'appel à projets sont "symptomatiques", estime-t-il. À l'exception des universités du Mans et de Brest, "les lauréats sont tous issus des grandes métropoles", avec "une concentration particulièrement importante en Île-de-France", région regroupant 10 graduate schools sur 29.

Le risque, pour le président de l'université du Mans ? Celui d'une "désertification scientifique du territoire". Or, assure-t-il, une division du travail entre petites et grandes universités – les premières s'occupant du premier cycle tandis que les secondes se tourneraient vers les masters et la recherche – n'est pas inéluctable : "Dans chaque université de taille moyenne, il existe des recherches de niche de grande qualité. Préservons-les en développant des réseaux régionaux et interrégionaux."

Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le