Thierry Mandon, un secrétaire d'État tant attendu

Camille Stromboni Publié le
Thierry Mandon, un secrétaire d'État tant attendu
Thierry Mandon a été nommé secrétaire d'Etat à l'Enseignement supérieur et à la Recherche mercredi 17 juin 2015 // ©  Hamilton / R.E.A
Thierry Mandon a été nommé secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, mercredi 17 juin 2015. Budget, Idex, sélection, Comue... Une pile de dossiers l'attend rue Descartes, sans locataire depuis plus de trois mois, alors que le moral de la communauté universitaire est au plus bas.

Un secrétaire tant attendu. Thierry Mandon reprend le portefeuille de Geneviève Fioraso à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, inoccupé depuis le départ de cette dernière pour raisons de santé en mars 2015. L'Elysée l'a annoncé le 17 juin 2015.

Secrétaire d'Etat chargé de la Réforme de l'Etat et de la simplification depuis avril 2014, le député de l'Essonne connait déjà bien ce nouveau périmètre. Il a notamment présidé le groupement d'intérêt public Genopole (Evry) et a été rapporteur spécial du budget de l'enseignement supérieur et de la vie étudiante.

une communauté fatiguée

Il aura cependant fort à faire pour reconquérir les universitaires. Le moral des professionnels de l’enseignement supérieur et de la recherche est en effet au plus bas : 70% des 2.200 répondants au baromètre EducPros 2015 ont confié leur manque d’enthousiasme pour l’avenir de leur établissement. Absence de reconnaissance, démotivation... C'est un malaise persistant qui se dessine. 

"Le gouvernement doit enfin montrer aux universitaires qu’ils sont l’avenir de la France, qu’on a besoin d’eux, et les aider à accomplir leurs missions d’enseignement et de recherche", assure le président de la CPU (Conférence des présidents d’université), Jean-Loup Salzmann.

"Cela fait plus d’un an que nous n’avons plus de feuille de route pour la jeunesse", renchérit William Martinet, président de l’Unef. Le nouveau secrétaire d’État sera-t-il celui du statu quo et de l’austérité ou prendra-t-il des mesures fortes pour la démocratisation de l’enseignement supérieur ?" Pour le représentant étudiant, il s’agit de tenir la promesse de François Hollande de refonte du système des bourses avec l’allocation autonomie, mais aussi de sortir les universités de cette "situation de pénurie".

Budget, budget, budget

Car la confiance pourra difficilement revenir sans des preuves d’amour… budgétaires. Avec un budget de l’enseignement supérieur et de la recherche stable mais des charges, comme le GVT (Glissement-vieillesse-technicité), qui augmentent et un apport financier des CPER (Contrats de projets État-région) qui chute fortement, les difficultés croissantes des établissements à joindre les deux bouts créent un décalage par rapport aux promesses de campagne de François Hollande.

Les nombreuses péripéties budgétaires qui ont émaillé l’année universitaire ont, elles aussi, provoqué l’incompréhension. Après la menace sur le versement des budgets des établissements au dernier trimestre 2014, les 70 millions coupés aux universités pour 2015, puis rétablis, ce sont plusieurs mois de tergiversations qui ont agité la communauté début 2015 autour de la ponction de 100 millions d’euros sur les fonds de roulement des universités et écoles d’ingénieurs.

Pour Thierry Mandon, le budget 2016 sera l’épreuve du feu. Avec de nouvelles économies à l’horizon : les universités et les écoles d’ingénieurs font partie des 14 postes de dépenses que Bercy examine actuellement. Une nouvelle ponction sur les fonds de roulement, fortement contestée par les établissements, a toutes les chances d’être d’actualité en 2016.

"Le nouveau secrétaire d’État devra se battre becs et ongles pour que le budget de l’ESR progresse, insiste Jean-Loup Salzmann. Concernant ces ponctions, j’espère qu’il réussira à les contrecarrer avec plus de succès que cette année, car c’est une ineptie." Une mission périlleuse face à Bercy, dont plusieurs dénoncent déjà la mainmise sur l’enseignement supérieur et la recherche.

Le gouvernement doit enfin montrer aux universitaires qu’ils sont l’avenir de la France.
(J-L. Salzmann)

Une réorganisation du paysage qui doit faire ses preuves

C’est aussi un paysage de l’enseignement supérieur en pleine recomposition dans lequel arrive ce nouveau secrétaire d’État. La mise en place des regroupements institués par la loi de l’été 2013 – fusion, association ou Comue (Communauté d’universités et établissements) – entre dans sa dernière phase pour une majorité d’entre eux : l’élection et l’installation des conseils centraux et des présidences.

Une mutation institutionnelle qui s’achève mais demeure rejetée par une partie importante des personnels. Seul un tiers des répondants au baromètre EducPros 2015 estime que les regroupements universitaires en cours sont une bonne chose. Pire : 80% y voient une source de stress.

Certains acteurs s’estiment en outre peu considérés dans ces jeux d’alliance : les grandes écoles répètent depuis plusieurs mois qu’elles doivent avoir leur mot à dire et une véritable place – quand elles le souhaitent – au sein de ces pôles.

Côté étudiants, c’est la politique de formation de ces nouveaux mastodontes qui sera cruciale, souligne l’Unef. "Ces pôles développeront-ils toujours plus de filières sélectives, dénonce William Martinet, ou seront-ils des outils pour vraiment réfléchir à une plus grande démocratisation des territoires ?"

Le campus de l'université Lille 3

la compétition des Idex contestée

La course aux millions relancée par la saison 2 de la compétition des Investissements d’avenir aura aussi un impact sur le paysage de l'enseignement supérieur. En ces temps de budgets contraints, décrocher les intérêts d’une partie des 3,1 milliards d’euros prévus pour l’appel de l’Initiative d’excellence (Idex et Isite) est tout sauf négligeable.

20 pôles universitaires se sont mis sur la ligne de départ, 8 ont été présélectionnés, et les critiques contre des règles du jeu faussées se font désormais plus fortes. Un quart des présidents d’université ont signé une tribune dénonçant le soutien à un seul format de gouvernance : celui de la fusion et des grandes métropoles, excluant un grand nombre d’établissements.

Dans quel sens ira le nouveau secrétaire d’État ? Aura-t-il les moyens d’infléchir les règles du CGI (Commissariat général à l’investissement) ?

Le nouveau secrétaire d’État sera-t-il celui du statu quo et de l’austérité ou prendra-t-il des mesures fortes pour la démocratisation de l’enseignement supérieur ?
(W. Martinet)

Quelle sélection à l'université ?

Thierry Mandon aura une autre question très sensible à gérer à quelques mois de la rentrée universitaire : va-t-il s’attaquer au flou qui entoure la sélection à l’université ?

C’est en tous cas une demande de l’ensemble des acteurs, bien qu’ils ne soient pas sur la même ligne quant à la réponse à apporter. Particulièrement en master. Les présidents d’université prônent le maintien de la sélection à ce niveau d’études – qu’ils veulent voir déplacer à l’entrée du master 1 plutôt qu’en master 2 comme c’est le cas aujourd’hui. Ils demandent pour cela une clarification juridique, la règlementation actuelle ayant pour conséquences des condamnations des universités devant les tribunaux. "Nous espérons que cela va enfin déboucher. C’est urgent. Les inscriptions sont en cours", soutient Jean-Loup Salzmann.

Côté étudiants, l’Unef, opposée sur le principe à toute sélection, souhaite pour le moins que l’ensemble des étudiants de master 1 aient un accès assuré dans au moins un master 2 de leur université. Jusqu’ici, le ministère ne s’est pas emparé du sujet, si ce n’est pour rappeler l’opposition du gouvernement à toute sélection et pour ouvrir un groupe de travail sur la filière très spécifique de psychologie.

Quant à la question de l'entrée de la licence, pour laquelle les présidents demandent l'instauration de pré-requis, ce à quoi s'oppose l'Unef, la probabilité est encore plus forte qu'elle soit toujours évacuée. Le nouveau secrétaire se verra néanmoins remettre dans les mois qui viennent le rapport de Christian Lerminiaux sur une voie professionnelle à l'université, qui pourrait engendrer des mesures sur l'orientation des bacheliers professionnels dans l'enseignement supérieur.

Université Versailles Saint Quentin - UVSQ - Amphi Licence 1 Droit - Septembre 2014 ©Camille Stromboni

Les dossiers en stand-by : Aeres, Stranes, agenda social

Supprimer l’Aeres : c’était la mesure forte de la loi sur l’enseignement supérieur de l’été 2013, qui remplaçait cette structure d’évaluation par un haut conseil. Reste à ce que ce dernier devienne une réalité. Thierry Mandon arrive en effet au secrétariat d’État alors que la mise en place du HCERES n’a toujours pas eu lieu, faute de publication du texte règlementaire nommant la nouvelle gouvernance.

Les mandats du président, Didier Houssin, et des membres du conseil d’administration se sont achevés mi-mai 2015. Ils restent à leur fonction en attendant les nouvelles nominations, comme le prévoyait le décret du Hceres.

La stratégie nationale de l’enseignement supérieur, surnommée "Stranes", fait partie des autres nouveautés instituées par la loi. Si le rapport d’étape est sorti à l'été 2014, la publication finale de cette stratégie, pilotée par Bertrand Monthubert et Sophie Béjean, est toujours attendue.

Enfin, les négociations avec le ministère autour de l'agenda social sont au point mort, dénoncent les syndicats. "Alors qu'un protocole social a été signé en février 2014 [...], l'ouverture des discussions, plus d'un an après, n'est toujours pas programmée ! Elles devaient traiter de la mobilité des personnels, des régimes indemnitaires, des déroulements de carrières, de la résorption de la précarité... autant de sujets importants pour les personnels de l'ESR", s'inquiète le Sgen-CFDT.

Les autres chantiers du supérieur et de la recherche
- Quel arrêté sur le doctorat ? Le nouvel arrêté sur le doctorat a été remis sur le métier, après les contestations provoquées par la première version du texte, reportant la réforme à la rentrée 2016.

- Les conventions entre classes prépas et universités. Instituées par la loi ESR, les conventions entre les universités et les classes préparatoires doivent être généralisées à la rentrée 2015.

- 2016 : une année électorale dans les universités. L'année 2016 promet d'être mouvementée dans les facs : la majorité d'entre elles renouvelleront leurs instances de gouvernance.

Camille Stromboni | Publié le