Enseignement supérieur et recherche : que reste-t-il … de Claude Allègre

Camille Stromboni (avec Mathieu Oui) Publié le
Enseignement supérieur et recherche : que reste-t-il … de Claude Allègre
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La rumeur court et se propage depuis plusieurs semaines. Signe d’ouverture à gauche pour Nicolas Sarkozy, Claude Allègre pourrait se voir offrir un ministère de la Recherche et de l’Industrie, lors du prochain remaniement gouvernemental. Son passage fracassant au ministère de l’Education nationale, de la Recherche et de la Technologie en 1997 aux côtés de Lionel Jospin, avec le fameux « dégraissage de mammouth », mais aussi ses prises de positions iconoclastes sur le réchauffement climatique, tendent à faire oublier la mise en place d’une vaste politique dans l’enseignement supérieur et de la recherche. Quel bilan reste-t-il de ces trois années au gouvernement, précédées d’un mandat de conseiller spécial, en charge des universités, auprès de Lionel Jospin au ministère de l’Education de 1988 à 1992 ? Educpros revient sur les grandes réformes signées Allègre, avec le point de vue des acteurs de l’époque.

Bruyamment contesté aujourd’hui par certains chercheurs en raison de ses prises de positions sur le réchauffement climatique, Claude Allègre a mis en place dans ce domaine une politique dont le mot d’ordre est double : « Si la recherche ne se transfère pas à l’enseignement supérieur et à l’industrie, elle ne sert à rien », déclarait-il en 1998.

La loi sur l’innovation : rapprocher la recherche du monde de l’entreprise

À son actif ainsi, la loi sur l’innovation, saluée comme la première dans ce domaine, qui visait à  favoriser la diffusion de l’innovation du monde de la recherche vers celui de l’entreprise, en levant certains obstacles juridiques. Elle donnait notamment la possibilité aux chercheurs de participer à la création d’une entreprise qui valorise leurs travaux, avec diverses mesures sur les incubateurs ou le concours sur les entreprises innovantes (les fameuses start-up).

« C’était le début d’une prise de conscience de l’importance de la recherche dans la croissance économique »

« Cette loi n’a pas fondamentalement bouleversé les choses, certes, mais c’était le début d’une prise de conscience de l’importance de la recherche dans la croissance économique », estime l’un de ses anciens proches collaborateurs. Beaucoup plus critique, Maurice Hérin, secrétaire national du Snesup (syndicat de l’enseignement supérieur) de l’époque, y voit quant à lui le début d’une période libérale où « la recherche devait être étroitement associé à l’activité économique, pour ne pas dire dépendre d’elle. »

Mettre l’université au cœur de la recherche

Issu du monde de la recherche, docteur ès sciences physiques et ancien directeur de l’Institut de physique du globe (IPGP), Claude Allègre a également essayé de faire évoluer les organismes de recherche. Avec un point noir : le CNRS, où il s’est heurté à la fronde des chercheurs.

Il l’évoque après coup (1) avec ironie, « J’ai appris récemment que la proportion des chercheurs du CNRS qui sont mariés avec des enseignants du secondaire dépasse les 50 %. […] Si j’avais connu ce détail, j’aurais évité d’engager la réforme du CNRS et celle du lycée en même temps ! ».

L’échec du CNRS

Ses projets étaient en effet nombreux pour le mastodonte français de la recherche publique : mettre l’université au centre, faire évoluer les champs disciplinaires, renforcer la mobilité des chercheurs, afin qu’ils transfèrent leurs connaissances vers l’université et l’industrie, ouvrir l’établissement sur l’Europe, débureaucratiser, etc. « Il avait cette idée qu’un grand organisme comme le CNRS devait se diluer dans les universités, estime pour sa part Maurice Hérin. Dire que l’université doit piloter la recherche, c’est brader un acquis considérable que les autres pays nous envient : l’indépendance ».

« Il n’y a pas eu de grands changements au CNRS, mais plutôt des effets d’annonces »

Au final, après le rapport remis par la mission Cohen / Le Déaut et des négociations, une réforme plus light est signée, notamment sur la gouvernance (rôle du président et du directeur général), la composition du conseil scientifique ou encore du conseil d’administration. « Il n’y a pas eu de grands changements au CNRS, mais plutôt des effets d’annonces », estime Jean-Yves Le Déaut, député PS de Meurthe et Moselle et président alors de l'Office Parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

L’harmonisation européenne avec le LMD

Un domaine où les effets d’annonce ont été suivis de changements concrets – avec une réforme « copernicienne » selon Francine Demichel, ancienne directrice de l'enseignement supérieur au ministère de l'Education nationale (1998 – 2002) - c’est l’Europe, avec l’harmonisation des systèmes de l’enseignement supérieur, lancée à la Sorbonne, en mai 1998. « Il a pressenti l’importance de la compétition internationale », estime un proche collaborateur.

« Il a pressenti l’importance de la compétition internationale »

L’ajout d’un grade supplémentaire : le "mastaire" (Bac+5), devenu depuis "master", aboutissant au fameux 3, 5, 8 (préconisé par le rapport Attali)- Licence, mastaire, doctorat (LMD) - visait à lever l’un des principaux obstacles à la mobilité en Europe : la reconnaissance et la validation des acquis. La licence professionnelle est également mise en place.

U2000 et U3M, les ancêtres du plan Campus

Sur le terrain français, Claude Allègre s’est illustré par un fort investissement dans la construction et la rénovation des universités, tout d’abord avec le plan U2000, lorsqu’il était conseiller, poursuivi par l’Université du troisième millénaire (U3M), lancée dès son arrivée au ministère, qui concerne également les logements étudiants, bibliothèques, restaurants universitaires, installations sportives, centres culturels…

Les régions prennent désormais leur place dans le financement de l’enseignement supérieur. Seul point noir : l’Ile-de-France, très en retard faute de participation au plan U2000.

Outre l’aspect construction, U3M impulsait également un rapprochement du monde de la recherche et de l’entreprise, avec la possibilité pour les laboratoires de s’allier avec des groupes privés, constituant des centres nationaux de recherche technologique. En février 2000, 18 pôles technologiques étaient ainsi en développement et 7 en projet. Ces derniers préfiguraient, dans une certaine mesure, les pôles de compétitivité, ou poursuivaient en tout cas les mêmes buts.

Vers l’autonomie des universités

Le renforcement de l’autonomie des universités se dessine également déjà en 1990, lorsque Claude Allègre est conseiller, avec le développement du processus de contractualisation, via les fameux contrats quadriennaux. Les établissements se fixaient ainsi une stratégie et des objectifs. « Cela obligeait les universités à définir une véritable politique de recherche », estime Jacques Descusse, alors conseiller pour la recherche et la technologie au ministère.

Autre signe de responsabilisation des établissements : « L’université intervient désormais en dernier lieu dans la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs et est responsable de la moitié des promotions des enseignants-chercheurs », note l’un de ses anciens collaborateurs.

Côté étudiants, deux plans sociaux sont à mettre à son actif, l’un en tant que conseiller, l’autre comme ministre. La revalorisation des bourses traditionnelles s’est alors accompagnée de la création des bourses au mérite.

La question – déjà – épineuse du budget et des postes

Toutes ces réformes de fond ne sauraient faire oublier le nerf de la guerre : l’argent. Outre les créations de postes, principalement de maîtres de conférences, la période Allègre est marquée par un relatif effort financier. « L’effort budgétaire dans la recherche, par rapport au PIB, a baissé depuis 1993, sauf sous la gauche », note ainsi Henri Audier, directeur de laboratoire au CNRS, membre du conseil d’administration à l’époque, « mais de manière très insuffisante, étant donné le retard à rattraper », précise-t-il.

« Claude Allègre a choisi de réformer d’abord, puis de s’occuper du budget. Cela  n’a pas marché »

Côté budget, le compte n’y est pas non plus pour Jean-Yves Le Déaut, député PS de Meurthe et Moselle. « Claude Allègre a choisi de réformer d’abord, puis de s’occuper du budget. Cela n’a pas marché, il n’a jamais eu les crédits parce que pendant ses deux premières années au ministère, il ne s’est pas battu pour les avoir. Il était persuadé d’obtenir tous les arbitrages budgétaires, notamment en raison de sa forte proximité avec Jospin. C’est une forme de naïveté politique et de méconnaissance du système parlementaire », affirme-t-il.

Une méthode et un ton, « allègrement » vôtre…

La méthode musclée et le ton provocateur n’ont pas non plus aidé le ministre. « Il serait arrivé à mettre les gens en grève même en leur donnant une augmentation de salaire », plaisantait déjà à l’époque Henri Audier. Plusieurs projets n’ont en effet pas abouti. Une tentative de réforme des IUFM, principalement au niveau du concours, la volonté de rapprocher les classes préparatoires de l’université, mais aussi celle de rapprocher les grandes écoles des universités - bien que le LMD l’ait, indirectement, favorisée.

« Il serait arrivé à mettre les gens en grève même en leur donnant une augmentation de salaire »

Autre explication de ces échecs : le ministre était pris sur tous les fronts. Jacques Descusse, alors conseiller pour la recherche et la technologie au ministère, regrette ainsi qu’Allègre ait été « monopolisé par le secondaire ». La question du périmètre du futur - possible - ministère est d’ailleurs au cœur des discussions actuelles. Pas sur le secondaire cette fois-ci, mais sur le découplage de l’enseignement supérieur et de la recherche. Claude Allègre pourrait en effet obtenir la recherche et l’industrie – tout court. Une éventualité catastrophique, selon un grand nombre d’acteurs du milieu.

« Ce serait même totalement contradictoire avec toute la politique qu’il a poursuivie, de conseiller à ministre », estime un ancien collaborateur. Reste à savoir si Nicolas Sarkozy en tiendra compte.

(1) Dans un livre d’entretiens avec Laurent Joffrin, « Toute vérité est bonne à dire » (R. Laffont/Fayard, 2000).

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