Et si je devenais prof remplaçant ?

Olivia Marquis Publié le
Et si je devenais prof remplaçant ?
Devant le CIO (Paris 14) à 10 heures // © 
Jeudi 26 mai 2011, Pôle emploi vient, pour la première fois, en aide à l’académie de Paris pour sélectionner des enseignants vacataires. La journée est dédiée au recrutement. Il suffit d’avoir au minimum une licence et de se présenter. Je décide de postuler.

9h30. J’arrive devant le CIO (Centre d’information et d’orientation), boulevard Montparnasse dans le 14ème, avec une demi-heure d’avance. Une dizaine de personnes, de tous âges, attendent déjà. Majoritairement des femmes. Les visages sont crispés, les regards tendus. Une liste affichée, sur la vitrine du CIO, énumère les disciplines dans lesquelles on peut postuler : électrotechnique, économie-gestion, génie thermique, langues étrangères, éducation physique et sportive, philosophie, biotechnologie, mathématiques, musique, sciences de la vie et de la terre, histoire-géographie, lettres, etc. Au total, 25 disciplines dans lesquelles l’Education nationale aura besoin, l’an prochain, de remplaçants pour les lycées et collèges de Paris.

9h35. Nous sommes déjà une quarantaine. Les candidats se massent devant la porte. Malgré le froid, le bar juste à côté reste vide, personne ne veut laisser passer son tour. J’écoute les interrogations de mes compagnons d’infortune :

- "Et après, on peut avoir un poste fixe ?"

- "Est-ce qu’on est mieux payés que les vrais profs ?"

- "Mais dans les classes, quand même, il y a un suivi pédagogique, on ne va pas changer tout le temps ?"

Certains d’entre eux ont raté, cette année, le concours pour devenir prof. Is sont là sur les conseils de leur IUFM.

9h45. Dans un même élan, caméras et banderoles syndicales se mettent en place. Je me rends compte alors que près d’une centaine de personnes sont désormais sur le trottoir. A côté de moi, un cadre d’une cinquantaine d’années, en costume gris anthracite. On dirait qu’il sort d’un conseil d’administration. Il a été formateur en entreprise. Il a entendu parler du recrutement, hier, à la radio. Il pense que tout ça, c’est la faute du collège unique, de l’égalitarisme à tout prix et de l’absentéisme des profs. Le lycée, aujourd’hui, ne ressemble plus à celui dans lequel il a eu son bac. Un autre postulant, en costume lui aussi, rétorque, qu’aujourd’hui, les parents cherchent des profs pour donner des cours particuliers à leurs enfants.

9h50. Ma voisine s’énerve contre un photographe de presse : "vous faites des gros plans là, vous pourriez demander la permission, on a le droit de ne pas vouloir être prise en photo, allez voir ceux qui veulent !". Je récupère un tract syndical qui douche mon enthousiasme. Il est écrit que "les conditions d’emplois seront très difficiles". La plupart d’entre nous "seront amenés à effectuer des vacations de 200 heures au gré des besoins : 6, 12, 22 h… par semaine ; une seule certitude au bout de 200 h, le retour à Pôle emploi". Le SNES enfonce le clou : "sans réelle formation, [nous] seront affectés dans les établissements où les conditions d’exercice sont les plus difficiles. Sous payés et sans droits, [nous serons] les nouveaux soutiers de l’Education nationale".

9h58. Plus que deux minutes avant le rush. Derrière la vitre du CIO, on aperçoit le personnel de Pôle Emploi en rang de bataille. Sur le trottoir, de l’autre côté du rideau de fer de la porte d’entrée, se presse une armada de… futurs profs ? Une petite femme énergique serre nerveusement son cartable : "Ce n’est pas difficile d’enseigner dans beaucoup de matières. Le problème ce sont les critères de sélection, on ne les connaît pas. C’est la fonction publique".

10h. La porte s’ouvre et deux hommes font barrage, ne laissant passer que dix personnes à la fois. Je suis la onzième. Je ne patiente pas longtemps. Une minute plus tard, deux jeunes femmes ressortent : il fallait apporter CV, lettre de motivation ainsi que l’original + la photocopie du diplôme. Pas de documents, pas de sélection. Le cadre en costume gris est tout aussi penaud que moi : nous n’avons qu’un modeste CV. "Je ne sais même pas où peut se trouver mon diplôme", me glisse-t-il. Nous entrons quand même.

10h05. Inutile d’insister, sans les justificatifs nécessaires, nous ne pouvons pas postuler. On nous propose de revenir cet après-midi.

- "Impossible, dis-je, je peux quand même vous laisser mon CV ?".

Pour toute réponse, l’employée de Pôle emploi me remet un bout de papier pas plus grand que le plus petit des post-it avec une adresse postale et électronique.

- "Vous pouvez envoyer votre candidature par mail", m’indique-t-elle.

- "Mais je ne pourrai envoyer qu'un CV et une lettre, pas le diplôme".

- " Ce n’est pas grave".

- "Mais il ne sera pas trop tard, vous ne faites pas une sélection aujourd’hui ou passer des entretiens ?".

Visiblement, non. Son collègue me demande quand même dans quelle matière je postule, mais il ne note ni ma réponse, ni mon nom. Dépitée, je repars me demandant à quoi pouvait bien être utile cette journée. Devant la porte, la foule des candidats est compacte. Je joue des coudes pour sortir, mon confetti à la main. A suivre...

Olivia Marquis | Publié le