Etudiants chinois : l’IAE de Toulon accuse son université de rattachement

Géraldine Dauvergne Publié le
Etudiants chinois : l’IAE de Toulon accuse son université de rattachement
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Il n’y aurait pas de « réseau organisé » à l’IAE de Toulon visant à vendre des diplômes aux étudiants chinois. Selon nos informations, les premiers éléments de la mission d’inspection confiée par Valérie Pécresse à l’IGAENR (Inspection Générale de l'Administration de l'Education Nationale et de la Recherche) montrent, en revanche, qu’il y a une forte suspicion de corruption locale ... Au-delà de la dimension judiciaire, l’affaire révélée le 16 avril 2009 par le journal Le Monde interroge sur les procédures de recrutements d’étudiants étrangers au sein des universités. L’IAE de Toulon n’aurait pas eu la maîtrise de la sélection des étudiants chinois inscrits dans ses rangs. C’est ce qu’affirme et regrette son directeur, Pierre Gensse …

Dans un communiqué adressé à ses étudiants , Pierre Gensse, directeur de l’IAE de Toulon implique la responsabilité des services centraux de l’université dans l’affaire, dévoilée par Le Monde le 16 avril 2009 , d’une possible fraude aux diplômes destinés aux étudiants chinois inscrits dans son établissement.

D'un côté, une université soucieuse d'augmenter les effectifs...

« Vous avez pu constater, au cours de l’année, qu’un certain nombre d’étudiants chinois s’exprimaient difficilement, voire pas du tout, en français. Ces étudiants n’ont pas été recrutés par les commissions de l’IAE (qui auditionnent les candidats), mais par une « commission centralisée de l’USTV (Université du Sud Toulon Var) » (à laquelle ne participent pas les enseignants de l’IAE), assure le directeur de l’IAE. Cent trente huit étudiants chinois ont ainsi été intégrés par cette commission centralisée soucieuse d’augmenter les effectifs de l’USTV ; les autres composantes de l’université ont aussi connu les effets de cette politique de croissance, mais dans des proportions moindres. »

Le laxisme de ces recrutements aurait fait le terreau des soupçons de corruption qui pèsent désormais sur son établissement, estime Pierre Gensse. « Les résultats scolaires de ces étudiants sont catastrophiques. C’est dans ce contexte qu’une enseignante et moi-même avons été l’objet d’une tentative de corruption. Le président de l’université en a été immédiatement informé ainsi que la police judiciaire. »

... De l'autre, un IAE qui trie les candidatures

La direction de l’IAE de Toulon dément ensuite l’information, qui a beaucoup circulé, selon laquelle la totalité de ses étudiants chinois obtenaient leur diplôme. Selon Pierre Gensse, en 2007-2008, le taux de réussite des étudiants chinois était, tous diplômes confondus, de 60% au lieu de 86% pour les Français. Seul le master entrepreneuriat, qui comptait 14 Chinois, aurait obtenu un taux de réussite de 100%. « Pour être juste, précise Pierre Gensse dans sa lettre, il faut préciser que depuis des années, les étudiants chinois qui maîtrisent notre langue sont de bons, et parfois de très bons, étudiants. »

L’USTV a-t-elle pu imposer à l’IAE de Toulon des étudiants étrangers que son équipe pédagogique n’aurait pas sélectionnés par elle-même ? Le réseau des IAE , qui compte 31 établissements, avait pourtant rappelé, par le biais d’un communiqué, que « les IAE contrôlent strictement leurs flux d’étudiants », chaque IAE mettant en œuvre ses propres dispositifs. « Chaque candidat (français ou étranger) passe un entretien devant un jury qui comprend plusieurs représentants (enseignants et cadres d’entreprises) (…). Des jurys collégiaux, dont la composition est soumise au Président de l’université, valident l’admission des étudiants et la délivrance des diplômes. »

Pierre Louart, président des IAE, veut voir dans ces événements une affaire strictement toulonnaise. « S’il y a eu des pressions de l’université sur ses composantes pour que les étudiants chinois qu’elle a sélectionnés de son côté y soient inscrits, c’est le problème de l’université de Toulon. Il y a surtout le risque de l’inadéquation du profil des étudiants, et un taux de réussite faible. »

Un système de sélection "sans base réglementaire" ...

Or la présidence de l'USTV confirme qu'elle entend bien mener la politique d'admission des étudiants étrangers à son échelle, pour toutes ses composantes. Et dénonce au passage l'attitude individualiste de son IAE. "L'IAE a mis en place un système de sélection parallèle des candidatures des étudiants étrangers. Or ce système n'a pas de base réglementaire", assure Danièle Sevin-Duret, directrice du service pédagogique de l'université. "Par ailleurs, l'IAE exige pour les étudiants étrangers un entretien sur place. Cette procédure d'admission est coûteuse et inadaptée aux étudiants étrangers, qui peinent à obtenir de la préfecture un visa pour passer cet entretien."

La commission centralisée de validation des études supérieures, cible des attaques de Pierre Gensse, a été mise en place l'année dernière. Une commission que Danièle Sevin-Duret présente comme légale et plus adaptée aux admissions d'étudiants étrangers que les précédents dispositifs. "Sur 18000 demandes d'inscription venant de Chine, au niveau de l'USTV, 5000 ont été considérés comme recevables par l'administration, et 1200 nouvelles demandes ont abouti. Les différentes composantes de l'université ont 15 jours pour se prononcer et pour donner un refus motivé avec proposition de réorientation, ce que n'a pas fait l'IAE ..." Or les dossiers refusés sont transmis à la commission centralisée pour être de nouveau étudiés "dans un cadre transdisciplinaire", et affectés en conséquence ...

La présidence compte mettre en place en septembre prochain un test d'évaluation linguistique supplémentaire, afin d'apporter une aide personnalisée aux étudiants dont le niveau en français se révélerait trop juste.

En cause, le manque de moyens ?

L’affaire de l’IAE de Toulon a le mérite, selon Pierre Louart, de soulever le vrai problème, celui du coût d’un recrutement de qualité des étudiants étrangers. « Certains IAE pratiquent des surcoûts pour leurs étudiants étrangers. Ces droits spécifiques sont légaux, mais décidés au niveau de chaque université. Dans la majorité des IAE, comme le nôtre, les étudiants étrangers paient les mêmes droits d’inscription que les Français. Or accueillir un étudiant chinois, le loger, lui trouver un stage, cela demande du temps. Nos personnels s’organisent et prennent sur eux pour rendre ces services auxquels ils ne sont pas affectés normalement. »

Stéphane Mounier, secrétaire de la section SNESUP à l'Université de Toulon, fait à peu près le même constat. "Le manque de moyens humains ne permet pas de gérer tous ces dossiers dans les temps, et le recours aux contractuels (souvent étudiants d'ailleurs) augmente les possibilités de pression et de corruption. Nombreux sont ceux qui, à Toulon, ont tenté d'alerter sur ces conditions de recrutement, mais la LRU augmentant le pouvoir des présidents, ces voix sont grandement sans effet."

Etudiants étrangers dans les IAE : un recrutement disparate

Les 31 IAE (Instituts d’administration des Entreprises) comptent dans leurs rangs 5642 étudiants étrangers (dont 1500 à 2000 dans le cadre d'échanges académiques avec des universités partenaires), auxquels il faut ajouter 4320 inscrits dans 106 campus délocalisés, en Europe, en Chine, en Inde, au Vietnam, au Cambodge, au Brésil, au Maghreb, etc.

« Ceux-ci sont attirés par le rapport qualité-prix des formations en IAE, ainsi que par certaines filières tout en anglais » explique Edwige Laforêt, directrice de l’IAE de Grenoble et chargée de la communication du réseau des IAE. Son établissement propose par ailleurs un pack de bienvenue spécialement concocté pour eux : journées d’accueil, assistance administrative (pour obtenir un visa, une carte de séjour), assistance pédagogique personnalisée, activités et excursions culturelles … le tout pour 950€.

Les IAE, bien que constitués en réseau, n’effectuent pas de campagne commune de promotion à l’étranger. Chacun définit et met en œuvre les procédures, d’avril à juin, visant à sélectionner les recrues de l’année suivante. Mais, indique Edwige Laforêt, « le site du réseau (en français) constitue un excellent portail d’entrée » pour les étudiants internationaux qui souhaitent se porter candidats en individuels, redirigés par ce biais vers les sites internet de chaque IAE – parfois bilingues. Mais ce sont les filières délocalisées qui drainent le plus grand nombre d’étudiants internationaux, en recrutant sur place.

Pas de concours international commun pour l’instant, comme il en existe par exemple dans les écoles de commerce (Universa, Passerelle World). « La mise en place d’un concours commun avec des centres à l’étranger serait extrêmement coûteuse pour nos établissements », rappelle Pierre Louart, président du réseau des IAE. A défaut, le réseau des IAE a élaboré un test francophone de sélection, le Score IAE-Message , qui sera utilisé à l’entrée de 190 formations universitaires de gestion, de la licence au master. Celui même que Pierre Gensse appelle de ses vœux à la fin de sa lettre, afin d’améliorer le niveau de ses étudiants, français et étrangers, qui tous devront passer le score avec succès pour être admis dans une filière francophone. A ce jour et selon le site internet consacré au test, onze centres de passage des épreuves sont prévus hors de France dont un à Taiwan.

Pour aller plus loin


Un billet sur les étudiants chinois sur le blog du sociologue Pierre Dubois

http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/2009/04/16/etudiants-chinois/

Géraldine Dauvergne | Publié le