Exclusif. Arts et Métiers : une société des anciens trop puissante

Céline Authemayou Publié le
Exclusif. Arts et Métiers : une société des anciens trop puissante
Le ministère a décidé de “modifier le décret statutaire de l’Ensam pour permettre un rééquilibrage des pouvoirs au sein de son conseil d’administration.” // ©  Arts et Métiers
Dans un rapport daté de janvier 2016, l'IGAENR dresse un bilan des actions menées par Arts et Métiers pour encadrer la “période de transmission des valeurs”. Si l’Inspection se satisfait des efforts faits par la direction, elle critique l’influence “excessive” de l’association des anciens élèves sur la vie de l’école.

C'est un texte d'une vingtaine de pages qui risque de dynamiter tout l'écosystème des Arts et Métiers. Dans un court rapport rendu au ministère fin janvier 2016, qu'EducPros s'est procuré, l'Inspection générale de l'administration de l'Education nationale et de la Recherche (IGAENR) fait le bilan des efforts entrepris depuis un an par la direction de l'école d'ingénieurs pour mieux encadrer la "période de transmission des valeurs". 

La PTV, rite initiatique d'intégration imposé aux élèves de première année et parfois théâtre d'actes de bizutage, fait l'objet depuis plusieurs années d'une attention particulière du ministère. En février 2015, un premier rapport de l'IGAENR transmettait à l'école six recommandations, pour limiter les dérives.

des négociations houleuses

Ces recommandations ont été appliquées en grande partie par l'école, reconnaît l'Inspection. Et ce, au prix de lourds efforts et de fortes négociations avec l'association des diplômés de l'école, la puissante "Soce" (Société des ingénieurs Arts et Métiers) . "Si dans la plupart des établissements d'enseignement supérieur la mise en œuvre des recommandations aurait concerné exclusivement la direction de l'école et les étudiants, voire éventuellement les personnels, l'influence des anciens élèves de l'Ensam est telle qu'aucune orientation, évolution ou réflexion concernant la vie de l'établissement n'échappe à la vigilance de leur association", constate l'IGAENR. 

Et cette dernière de rappeler le contexte des derniers mois, empreint de démissions d'élèves – "incontestablement liées à la PTV"–, de lettres d'avocats saisis par des parents d'étudiants, d'un côté, et de l'autre, de lettre recommandée adressée par la Soce au ministère contestant les actes de bizutage dénoncés dans le rapport de février 2015...

le poids hégémonique des anciens 

Au fil des pages, le texte dérive de son sujet initial pour se consacrer au poids hégémonique de la société des anciens dans la gouvernance même de l'établissement. À plusieurs reprises, l'IGAENR s'étonne du pouvoir de décision dont dispose l'association des diplômés. Au sujet de la PTV, plusieurs exemples sont frappants. Lorsque la direction établit une charte de bonne conduite visant à organiser la PTV, les anciens exigent de contrôler la durée même de la PTV. 

Un séminaire de réflexion dédié à cette transmission des valeurs est organisé par l'école. "Le séminaire a été l'occasion pour les anciens élèves d'effectuer une opération massive de récupération et de promotion de la PTV, comme en atteste le film de trente-cinq minutes que la société des anciens élèves a fait réaliser à cette occasion et dont la projection a été imposée dans tous les centres", regrette l'IGAENR.

régulariser la gouvernance de l'école

Les exemples de ce genre se multiplient. Au point d'avoir poussé l'Inspection à réaliser un comparatif entre plusieurs écoles d'ingénieurs, pour observer le poids des anciens élèves dans les instances décisionnaires. Huit établissements y sont analysés (Arts et Métiers, UTC, IMT, ENAC, CentraleSupélec, INP Toulouse, ESPCI et l'École polytechnique). Les écoles qui ont le plus fort taux de représentation d'élèves et d'anciens – appelé "taux d'endogamie" par l'IGAENR – sont Arts et Métiers (55%), Polytechnique (52%) et CentraleSupélec (50%). Une situation qui n'est "à l'évidence pas de nature à permettre le recul et la vision critique nécessaires sur le fonctionnement [de ces écoles], et favorise le sentiment de ‘propriété’ manifesté par nombre d'anciens élèves", relève l'Inspection.

Et cette dernière d'émettre de nouveau plusieurs recommandations, d'abord pour accroître encore un peu plus l'encadrement de la PTV, mais aussi et surtout pour "régulariser la gouvernance de l'école". Parmi les pistes évoquées : la suppression du statut d'administrateur de droit des présidents des huit campus de l'école, tous membres de la Soce. Une décision qui ferait passer de 18 à 10 le nombre de "Gadzarts" au sein du CA et porterait à 30% le taux d'endogamie.

Une prise de position du ministère attendue

Contactée par EducPros, la direction de l'école ne souhaite pas commenter ce rapport. Le conseil d'administration de l'établissement, qui doit se tenir ce mercredi 24 février s'annonce particulièrement houleux tant les relations entre l'exécutif et la société des anciens se sont détériorées au fil des derniers mois. Dernier exemple en date de cette mésentente, l'annonce de la nouvelle identité visuelle de l'école. En janvier 2016, l'association des diplômés révélait avant l'école d'ingénieurs la nouvelle marque de l'établissement et déposait par la même occasion les nouveaux logos à l'Inpi (Institut national de la propriété intellectuelle).

Interrogée par Libération dans son édition du 24 février, Najat Vallaud-Belkacem annonce que le ministère a décidé de "modifier le décret statutaire de l’Ensam pour permettre un rééquilibrage des pouvoirs au sein de son conseil d’administration." Le passage à l’acte devrait être rapide, le prochain comité technique d’Arts et Métiers est prévu le 15 mars 2016.

Céline Authemayou | Publié le