Exclusif. HEC se lance dans un diplôme... 100 % en ligne

Cécile Peltier Publié le
Exclusif. HEC se lance dans un diplôme... 100 % en ligne
Une vingtaine de professeurs volontaires participent à la production du nouveau cursus 100 % en ligne de HEC. // ©  Cécile Peltier
Dès la rentrée 2017, il sera possible d'être diplômé de la première école de commerce française sans jamais avoir mis les pieds sur le campus de Jouy-en-Josas... Une révolution dans le paysage des business schools européennes. Et un investissement coûteux pour HEC, qui souhaite l'utiliser pour consolider sa marque à l'international.

On peut refaire la prise, s’il vous plaît ?" En plateau, Tomasz Obloj se concentre et, au clap, reprend avec conviction le script qui défile sur le prompteur placé au-dessus de lui. Derrière la caméra, le monteur-cadreur lève le pouce en signe de satisfaction. Contrairement aux apparences, cette scène n’a pas lieu sur un plateau de cinéma mais... dans le studio d’enregistrement de HEC.

Tomasz Obloj n’est pas une nouvelle star montante du septième art, mais un professeur associé de stratégie au sein de la prestigieuse business school. Il fait partie de la vingtaine d'enseignants-chercheurs de l’école participant à la production d'un nouveau cursus, nommé Omie, pour "online Master's in innovation and entrepreneurship" (diplôme en ligne en innovation et entrepreneuriat).

Ce programme en anglais, 100 % en ligne, lancé officiellement mercredi 29 mars 2017, recrute actuellement ses candidats pour une ouverture en septembre 2017 sur la plate-forme américaine de cours en ligne Coursera. La cible ? Des entrepreneurs ou des intrapreneurs du monde entier, n'ayant pas la possibilité de venir se former à plein-temps à Paris.

UNE PREMIèRE en EUROPE

En 2013, HEC était déjà la première école de management française à proposer un Mooc sur Coursera. Après s'être engagée dans la délivrance de certificats en 2015, elle franchit une nouvelle étape, avec la mise en place de ce parcours diplômant online. 

À la clé ? Un "Master's", un diplôme "maison" de niveau bac + 5, qui joue sur l'ambiguïté du terme master, "indispensable pour exister à l'international", sans enfreindre la réglementation. L'idée étant de le faire labelliser dès que possible par la CGE (Conférence des grandes écoles).

Inédite en France, au niveau international, la démarche reste rare pour les business schools du calibre de HEC. "Il existe déjà des formations en ligne diplômantes sur le marché, notamment des MBA, mais c’est la première fois qu’une business school européenne ouvre une formation 100 % online débouchant sur un diplôme", se félicite le directeur délégué de HEC, Marc Vanhuele, qui a piloté le projet.

Un projet porté par le directeur général de l'école lui-même, Peter Todd. Depuis son arrivée, il y a un an et demi, le Canadien a fait de la digitalisation et de l’entrepreneuriat deux de ses trois priorités pour hisser HEC dans le top 10 mondial. "Aujourd'hui, la création d'entreprise concerne environ un quart de nos étudiants, soit une centaine de start-up par an. Il est temps de passer au digital pour projeter cette expertise à travers le monde", insiste-t-il.

un diplôme à 20.000 euros

Contrairement à un Mooc, le Master's Omie n'offre pas de cours en accès libre. Une "formule découverte", pour un prix modique, qui devrait permettre à l’internaute de découvrir la formation, en piochant quelques cours… Et lui donner envie de payer pour continuer.

Au total, le cursus comprend trois spécialisations, composées chacune de quatre cours. Les apprenants qui auront validé la totalité des crédits de ces trois spécialisations, sanctionnées par des tests surveillés à distance, pourront, pour 5.000 euros, se faire délivrer un certificat de HEC. De quoi apporter de la crédibilité à leur CV.

La création d'entreprise concerne environ un quart de nos étudiants. Il est temps de passer au digital pour projeter cette expertise à travers le monde.
(P. Todd) 

Quant aux plus motivés, ils pourront, moyennant 20.000 euros – contre 22.000 euros pour un MSc en entrepreneuriat en présentiel délivré par HEC en formation initiale – tenter d’intégrer le "parcours diplômant", dont une nouvelle session démarrera tous les six mois. Sélectif, il est aussi plus exigeant et plus cadré que le certificat.

Sélectionné sur dossier, l’apprenant devra valider une série de cours supplémentaires en version synchrone et réaliser un projet entrepreneurial de groupe. Pour éviter que le prix ne soit un obstacle, l'école envisage des solutions, parmi lesquelles un système de bourses gérées par des fondations locales, en Afrique.

Pour recruter ces étudiants d'un nouveau genre, la business school a revu ses critères de sélection. "Aujourd'hui, tout est basé sur le parcours académique à la française. On cherche des hauts potentiels, moins classiques dans leur parcours mais avec un projet crédible", appuie Marc Vanhuele. Toutefois, le "taux de sélection doit rester celui de HEC", ajoute-t-il. Pas question, en effet, de brader la marque.

UNE INFRASTRUCTURE PÉDAGOGIQUE COÛTEUSE

HEC qui promet un niveau de qualité comparable à celui de n'importe laquelle de ses formations en présentiel, a donc investi pour "rendre l’expérience la plus immersive possible". Cela passe notamment par le renforcement de la cellule digitale, qui compte désormais six personnes, chargées de plancher à plein-temps depuis fin 2016 sur la production du nouveau programme qui se poursuivra... jusqu’en juillet 2018.

Un nouveau programme qui suppose une infrastructure pédagogique complexe."Il ne s’agit pas d’adapter notre cours, mais de créer quelque chose de totalement nouveau", souligne Giada di Stefano. Cette professeure de stratégie et de politique d’entreprise a croisé son expertise avec celle de son collègue Tomasz Obloj afin de créer une série de modules sur le thème "s’organiser pour innover".

La question n’est pas de savoir s’il y a un marché, mais s’il y a un marché à ce prix et à ce niveau de sélectivité.
(M. Vanhuele) 

Outre les professeurs délivrant les cours, l'école met à la disposition des étudiants tout au long de leurs parcours un professeur référent, une batterie d’assistants pédagogiques, chargés de les aiguiller et faire remonter leurs questions aux enseignants. Et même des "coachs d'apprentissage", sortes de "papas et mamans", qui les relanceront lorsqu'ils n'auront pas fait leurs devoirs ou suivi les cours. Enfin, un mentor, entrepreneur expérimenté ou chef d'entreprise, accompagnera chaque projet de groupe.

Au total, entre 4 et 5 millions d’euros auront été investis rien que dans la construction du nouveau programme. En espérant que le succès sera au rendez-vous. "La question n’est pas de savoir s’il y a un marché, mais s’il y a un marché à ce prix et à ce niveau de sélectivité", confie Marc Vanhuele, qui vise 300 apprenants dans la partie Master's au bout d'un an, et bien davantage dans la partie certificat. De quoi, à terme,"générer une marge importante".

D'autant que la présence de la formation sur Coursera (25 millions d’utilisateurs), qui percevra une partie des frais de scolarité, lui offre une vraie visibilité, tout en lui permettant de contacter les potentiels clients, à savoir "les utilisateurs de la base qui ont déjà suivi des cours de gestion, payants, dans le domaine de l’entrepreneuriat", détaille le directeur délégué de HEC.

UNE VITRINE POUR LE CAMPUS

En fonction des résultats obtenus par ce premier programme, l’école pourrait lancer de nouvelles initiatives en ligne. Plusieurs projets sont en stock et des discussions entamées avec des partenaires potentiels, tant du côté académique que de celui des entreprises.

Mais avec quel objectif ? Transformer HEC en école virtuelle ? Certainement pas ! "L’enseignement à distance, aussi immersif soit-il, ne remplacera jamais l’expérience de la vie sur le campus", insiste Marc Vanhuele, pour qui une bonne part des échanges intellectuels et humains doivent encore passer par la rencontre. Pour preuve, HEC devrait proposer aux étudiants du parcours diplômant qui le souhaitent des rencontres physiques, notamment sur son campus, avec d’autres étudiants en entrepreneuriat.

Au-delà des recettes générées par les frais d'inscription, cette initiative est envisagée comme une vitrine pour le rayonnement de sa marque, et, comme les universités qui se sont lancées dans le online, attirer de nouveaux étudiants à Jouy-en-Josas. D'ici là, les travaux envisagés pour aligner les conditions d’accueil de son campus sur les standards internationaux devraient avoir débuté...

Cécile Peltier | Publié le