Financement des universités américaines : des moyens concentrés sur une poignée d'institutions de recherche

Sophie Blitman Publié le
« Financement de l’enseignement supérieur : quelle place pour les entreprises ? » Telle est la question que pose un rapport commandé par l’Institut de l’entreprise à Pierre-André Chiappori, chercheur français installé aux Etats-Unis depuis une quinzaine d’années.Partant du constat du « sous-financement considérable [du] système d’enseignement supérieur » français, le professeur d’économie à l’université de Columbia analyse la manière dont s’organise le financement outre-Atlantique. Son rapport met l’accent sur la concentration des moyens de la recherche américaine sur quelques universités et la diversification des ressources, notamment privées, des établissements.

Concentration de la recherche et des moyens

« Le budget par an et par étudiant atteint 210.000 $ dans les très grandes universités privées de recherche »


Soulignant le sous-financement de l’enseignement supérieur français, le rapport rappelle l’écart existant avec le système américain, mais montre surtout que celui-ci se caractérise par une dichotomie très marquée entre les différents types d’établissements d’enseignement supérieur.
« Aux Etats-Unis, la recherche se concentre dans un très petit nombre d’établissements », souligne Pierre-André Chiappori. En effet, les grandes universités de recherche – publiques pour les deux tiers d’entre elles – représentent moins de 3 % du nombre total d’universités, même si elles accueillent près de 14 % des étudiants.
Autre particularité du système américain, la grande disparité des moyens : si le budget moyen par an et par étudiant se monte à 37.000 $ pour les universités publiques et 62.000 $ pour les universités privées, il « atteint 210.000 $ pour les universités privées à très haut niveau de recherche – soit cinq à sept fois les établissements français les plus riches, et plus de dix fois la moyenne des universités françaises, même si les comparaisons sont quelque peu délicates ».

Des ressources diversifiées


Enfin, la structure des revenus des établissements américains est encore plus contrastée. On sait que la part publique y est globalement beaucoup moins importante qu’en France. Le rapport Chiappori précise que dans les universités publiques, elle ne dépasse pas 45 % du budget total (25 % de financements directs auxquels s’ajoutent les ressources issues des contrats de recherche passés avec les grands organismes fédéraux). Les autres revenus découlant des droits d’inscription, du rendement du capital, ou d’activités annexes des établissements.

« La concurrence entre financeurs est une raison majeure
de la vitalité de la recherche
américaine »

Dans les universités privées, les frais de scolarité représentent une large part des revenus : 36 % en moyenne, soit deux fois plus que dans les universités publiques. Cependant, ils n’atteignent en proportion que 16 % du budget des grandes universités de recherche en raison de montants globaux beaucoup plus élevés. Les contrats de recherche avec des fondations privées, eux, assurent un quart de leurs ressources.

Pour Pierre-André Chiappori, le rôle de ces fondations privées est essentiel, non seulement pour les ressources supplémentaires qu’elles apportent, mais aussi en raison de l’émulation induite : alors que seules deux agences nationales spécialisées financent la recherche américaine, « la concurrence entre financeurs est une raison majeure de la vitalité de la recherche américaine ».

Pour une différenciation des rôles des universités

« Les entreprises sont là pour accompagner le mouvement de différenciation initié par la loi LRU et le Grand emprunt »


S’il n’est pas question de transposer directement le modèle américain, en raison notamment de « différences culturelles évidentes », souligne Pierre-André Chiappori, celui-ci souhaiterait que certaines particularités soient prises en compte. « Nous vivons encore dans le mythe de "l’Université française" homogène : aujourd’hui, toutes les universités françaises ont vocation à faire de la recherche et de l’enseignement dans les mêmes proportions », regrette-t-il, plaidant pour une différenciation des rôles des établissements. Le rapport rappelle ainsi qu’aux Etats-Unis, « la plupart se concentrent largement ou exclusivement sur l’enseignement ».

Contre un saupoudrage des moyens à ses yeux inefficace, le chercheur estime que les réformes récentes vont dans le bon sens et que « les entreprises sont là pour accompagner le mouvement de différenciation initié par la loi LRU et le Grand emprunt ». Si ces pistes de réflexion rejoignent la vision portée par Bernard Belloc , conseiller au cabinet du président de la République pour l’enseignement supérieur et la recherche et auteur d’une étude sur le système universitaire californien, elles risquent aussi d’alimenter les craintes récurrentes de voir se profiler une université à deux vitesses.

Sophie Blitman | Publié le