Fondations : l'IAE de Rennes joue les pionniers

Propos recueillis par Céline Manceau Publié le
 Fondations : l'IAE de Rennes joue les pionniers
D. Alis, DG IAE de Rennes // © 
Le décret sur les fondations universitaires est paru au JO du 8 avril 2008. L'occasion pour Educpros de revenir sur l’expérience de l’IAE de Rennes – qui sans attendre la loi LRU – a créé en mars 2007 sa fondation sous l’égide de la Fondation de France. David Alis, directeur général de l'IAE de Rennes, et Patrick Reffait, délégué général de la fondation, ont pris leur bâton de pèlerin pour convaincre les entrepreneurs bretons de financer leur établissement. Les deux hommes se sont passés des services d’un cabinet-conseil. Ils délivrent quelques conseils sur l’art et la manière de séduire les patrons.

De quelle manière avez-vous procédé pour rencontrer les chefs d’entreprises ?
Davis Alis : il était nécessaire de faire équipe avec Patrick Reffait car son expérience du secteur privé s’est révélée fort utile (NDLR : il est également maître de conférences en marketing des services à l'IAE). Nous avons ensuite pris le parti de contacter nos anciens les plus « célèbres ». Certains sont sénateurs et députés, mais nous avons aussi des patrons, comme le président-fondateur de la Brioche dorée. D’autres sont cadres dans des entreprises bretonnes et recrutent massivement des diplômés de l’IAE. Nous avons choisi de construire un réseau de petits donateurs avec des PME locales.
Patrick Reffait : les universitaires sont timides par rapport aux dirigeants d’entreprises. Quand on les connaît de l’intérieur, ce qui est mon cas, le contact est plus franc. David a été un peu surpris par mon style direct, mais il faut laisser tomber le discours universitaire. Ce n’est pas la peine de parler des heures, il faut entrer dans le vif du sujet, expliquer quel est l’intérêt intellectuel pour le donateur et ne pas donner celui de l’université. Inutile d’envoyer une note de dix pages, un simple courrier suffit pour prendre rendez-vous. Autre principe de base : on négocie toujours mieux à deux que tout seul car les arguments s’enchaînent.

Quelles ont été les réactions des dirigeants ?
David Alis : avant de solliciter de l’argent, nous avons été à l’écoute des patrons. Pour l’organisation des colloques, par exemple, les entreprises ont demandé à ce que la fondation rayonne sur toute la Bretagne et pas seulement sur Rennes. Autre exemple : le DRH de Lactalys dont le siège est en Mayenne nous a expliqué qu’il rencontrait des difficultés pour recruter des jeunes qui avaient envie de partir à l’international. J’ai donc souhaité réduire la fracture linguistique en rendant notamment le TOEIC obligatoire et en renforçant l’enseignement en ligne des langues vivantes. Même si c’est un terme galvaudé, je voulais instaurer une logique gagnant-gagnant.
Patrick Reffait
 : le premier problème a été de trouver les poissons pilotes car on nous demande toujours de donner les noms des premiers donateurs. En aparté, avant les contacts officiels, j’ai aussi discuté avec certains chefs d’entreprises du montant des contributions. J’avoue avoir été surpris par les réactions mais il est vrai que nous ne sommes pas HEC.

Quels sont les principaux arguments qui ont su convaincre les patrons ?
David Alis : Pour récolter des fonds, nous avons présenté l’IAE comme une grande école au sein de l’université. Nous avons ensuite joué sur différents registres affectifs, en mettant en avant l’appartenance au réseau des anciens et la fibre bretonne. Celle-ci est très sensible au rôle de l’ascenseur social et à l’action collective. Les patrons d’aujourd’hui, a fortiori ceux d’origine modeste qui ont réussi, se soucient des générations futures.
Patrick Reffait : Nous sommes dans le cadre du mécénat bien sûr. Il ne s’agit donc pas de vendre des prestations mais d’expliquer aux entreprises que nos chercheurs vont venir parler avec leurs cadres, qu’elles vont participer à des forums de recrutement, qu’elles vont aider à former des étudiants à l’international. Les donateurs sont comme des clients et au-delà du feeling, adopter ce type de discours donne une autre allure à la conversation. Même si on connaît les donateurs et l’on peut penser qu’ils vont donner de l’argent par amitié.

Les personnels de l’IAE ont-ils adhéré à votre démarche ?
David Alis : La recherche expérimentale est parfois en avance sur la pratique et nous souhaitons mettre en valeur les travaux de nos chercheurs, ce qui est plutôt bien perçu, même s’ils doivent faire l’effort de « traduire » pour l’entreprise. Une démarche qui leur demande souvent de produire un résumé ou de répondre à des sollicitations. Nous avons été au cœur de l’actualité, en organisant, un colloque sur les subprimes en octobre 2007, alors que depuis longtemps les chercheurs de l’IAE réfléchissent à la gestion des risques financiers. Bien sûr, il est possible d’organiser ce type de colloque sans une fondation mais l’existence de celle-ci permet de créer l’événement.
Patrick Reffait : C’est plus facile dans le domaine scientifique. Dans le secteur tertiaire, les entreprises ne peuvent pas chercher les tubes à essais. Il y a un donc tout un travail à faire pour vulgariser - au sens le plus noble du terme - les travaux de recherche en cours.

Quel est l’avenir de votre fondation ?
David Alis : La fondation est un instrument qui va permettre de créer un annuaire de la recherche, remettre des bourses ou encore des prix aux majors. L’étape suivante sera la création de chaires pour attirer nos doctorants et leur donner les moyens de faire de la qualité. D’autres fondations devraient voir le jour prochainement dans les IAE d’Aix, Paris ou Toulouse. Ceux de Lille et de Lyon ont également sollicité des informations sur notre expérience.
Patrick Reffait : Le modèle de fondation mis en place par l’IAE de Rennes est reconductible pour tous les autres IAE. Ce qui est intéressant dans la fondation, aujourd’hui, c’est l’effet de groupe. Après trois ou quatre réunions, les donateurs ont appris à se connaître et nous avons créé une dynamique, une sorte de club de dirigeants. Le fait qu’ils soient les premiers fait partie du jeu. L’innovation les inquiète toujours mais une fois qu’ils sont rassurés, l’effet réseau fonctionne et ils recommandent leurs pairs.

Propos recueillis par Céline Manceau | Publié le