Formation civique des imams à l’université : le serpent de mer

Sophie Blitman Publié le
Formation civique des imams à l’université : le serpent de mer
Mosquée de Paris // © 
La formation des imams à l’université verra-t-elle le jour ? Maintes fois annoncée, maintes fois reportée… La formation civique des imams au sein d’une université publique est remise sur le devant de la scène par les responsables politiques – de droite comme de gauche –, puis oubliée, au gré de l’actualité. Les établissements se montrent, eux aussi, frileux sur ce sujet sensible. Pour l’heure, la Catho de Paris est la seule université (privée) à avoir créé un cursus, sous la forme d’un DU ( diplôme universitaire) intitulé « Religions, interculturalité, laïcité » . Alors que s’ouvre, le 5 avril 2011, le débat sur la laïcité, retour sur quinze ans d’atermoiements.

Construire « un Islam de France »

Former des imams au sein d’universités publiques n’est pas une idée nouvelle : à diverses reprises, les gouvernements, par la voix généralement de leur ministre de l’Intérieur, ont envisagé de dispenser aux futurs imams des cours de français, d’histoire (de France, des religions, des institutions…), de culture générale ou encore de droit.

À l’origine de ces annonces, une même volonté : celle de construire « un Islam de France » et d’éviter les dérives fondamentalistes. Mais ces tentatives ont rencontré les mêmes difficultés, à commencer par le financement de la formation. En effet, certains défenseurs de la laïcité refusent de dépenser des deniers publics pour former des cadres religieux, même si les enseignements restent profanes. Cependant, cela n’a pas empêché de multiples déclarations d’intentions sur cette question régulièrement présentée comme prioritaire par les responsables politiques.

De l’institut chevènementiste au DU villepiniste

En 1997, Jean-Pierre Chevènement lance l’idée d’un « institut universitaire des hautes études de l’islam » ou des « études supérieures islamiques ». À défaut de parler directement de formation d’imams, l’objectif affiché consiste à « former des cadres musulmans modernistes » (1). Cependant, le projet fait long feu et disparaît du débat public pendant plusieurs années.

En 2003, arrivé à son tour à l’Intérieur, Nicolas Sarkozy relance le sujet, dans le contexte de la guerre en Irak et alors qu’il engage la réflexion sur la création d’un organisme représentatif de la communauté musulmane. Il déclare alors vouloir ouvrir un « DEUG sur les sciences de l’Islam ». Un rapport commandé à l’historien spécialiste du Maghreb Daniel Rivet arrive au cabinet de Luc Ferry, ministre de l’Éducation nationale, rapport qui préconise de distinguer les enseignements religieux et profanes, mais n’aboutit pas à une formation sous le ministère Sarkozy. Le CFCM (Conseil français du culte musulman), lui, voit le jour en mai 2003.

L’année suivante, Dominique de Villepin, le nouveau locataire de la Place Beauvau, reprend à son compte cette idée, considérée – une nouvelle fois – comme prioritaire, alors que vient d’être votée la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes religieux « ostensibles » dans les établissements d’enseignement publics. Pour Dominique de Villepin, il s’agit tout d’abord de dispenser des cours de français et d’instruction civique aux quelque 1.200 imams de France, dont un tiers, estime-t-il à l’époque, ne parlent pas français. Aix-en-Provence est d’abord évoquée pour mettre en œuvre ce module universitaire, avant que, plus concrètement, des universités parisiennes ne soient concernées.

Échec dans les universités publiques

Paris 4-Sorbonne travaille sur la maquette du DU « Société et civilisation de la France contemporaine », annoncé pour la rentrée 2005. Mais le Conseil des études et de la vie universitaire de l’université s’oppose au projet au nom du respect de la laïcité .

Reprenant le flambeau, le président de Paris 8-Saint-Denis, Pierre Lunel, espère ouvrir une formation à la rentrée 2006. Sans qu’il y ait là non plus de suite. C’est finalement la Catho de Paris qui lance un DU « Interculturalité, laïcité, religions » (voir encadré).

Et aujourd’hui ?

En 2010, le débat resurgit avec les déclarations d’Éric Besson : le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale dit soutenir deux nouvelles formations en préparation . Simple effet d’annonce en plein vote, à l’Assemblée nationale, du projet de loi interdisant le port de la burqa ? En tout cas, alors qu’elle avait été pressentie pour accueillir cette formation, Aix-Marseille 3-Paul-Cézanne affirme ne pas travailler pour l’instant sur une quelconque maquette. Et aucune université ne s’est manifestée auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en ce sens.

L’actuel ministère de l’Intérieur avance néanmoins que « d’autres projets sont en cours à l'initiative d’universités » – tout en restant vague sur l’identité des établissements concernés, au nom, dit-il, de leur autonomie. La Conférence des présidents d’université n’a, quant à elle, entendu parler que de Strasbourg.

Un projet à l’UdS

C’est en effet loin des tumultes politiques que l’Université de Strasbourg (UdS) prépare la maquette d’un diplôme universitaire « Droit, société et pluralité des religions », qui devrait ouvrir à la rentrée 2011 – sans besoin d’habilitation puisqu’il s’agit d’un DU. Une « formation civile et civique des ministres du culte », indique Francis Messner, directeur de recherche qui dirige l’unité mixte de recherche PRISME (Politique, religion, institutions et sociétés : mutations européennes), rattachée à l’UdS. Spécialiste du droit des religions, il mentionne que ce DU ne sera « pas uniquement réservé aux imams », mais « ouvert aux ministres du culte d’autres religions désireux de mieux s’intégrer dans la société française ».

En outre, la formation a vocation à s’inscrire dans un ensemble plus large : « Il s’agit d’un projet scientifique articulé autour de l’étude scientifique des religions qui existe à l’université », précise Francis Messner. En effet, l’UdS possède historiquement deux facultés de théologie, l'une protestante (créée en même temps que l’université) et l'autre catholique (ouverte en 1902).

Fort de cette tradition universitaire, l’établissement alsacien souhaite « créer un pôle autour de l’Islam associant recherche et enseignement », explique Francis Messner. La formation des imams ne constituerait qu’un volet particulier de ce pôle, à côté d’autres cursus non destinés aux imams, comme le master d’islamologie ouvert entre 2009 et 2010. Le nouveau contrat quinquennal devrait lui adjoindre une L3 en 2013.

(1) Le Monde, 28 et 29 novembre 2004.

À La Catho, une formation séculière des imams

Ouvert en janvier 2008, le DU « Interculturalité, laïcité, religions » de l’Institut catholique de Paris est une formation « pensée et construite comme une formation séculière et complémentaire aux sciences islamiques enseignées dans différents instituts confessionnels », expose le responsable du DU, Olivier Bobineau, dans le livre qu’il a dirigé : Former des imams pour la République. L’exemple français (CNRS éditions, 2010).

Il s’agit d’une part de délivrer des fondamentaux historiques et juridiques, à travers des cours d’histoire, d’expression écrite et orale, et de droit. D’autre part, le DU vise à « promouvoir le vivre ensemble » dans la société laïque française, par des enseignements liés à la culture religieuse et à l’interculturalité. La formation accueille une trentaine d’imams par an et reçoit des financements du ministère de l'Intérieur et de l'Immigration. SB

Le CFCM contre l’instrumentalisation

« Nous sommes favorables à une formation complémentaire des imams, mais qui pourrait aussi être destinée à d’autres ministres du culte. » Vice-président du CFCM (Conseil français du culte musulman), Haydar Demirurek refuse cependant que cette question soit instrumentalisée par les politiques et devienne un « argument électoral ». C’est aussi la raison pour laquelle le CFCM, créé par Nicolas Sarkozy, ne participera pas au débat sur la laïcité organisé par l’UMP le 5 avril 2011. « Nous préférons avoir le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche comme interlocuteur plutôt qu’un parti », soutient Haydar Demirurek, qui dit par ailleurs n’avoir pour l’instant « aucun contact » avec le ministère au sujet d’une formation universitaire des imams. SB

Quatre universités allemandes proposent déjà des formations aux imams


Dès la rentrée universitaire 2011, les universités de Francfort/Giessen, Erlangen/Nuremberg, Münster/Osnabrück et Tübingen dispenseront un cursus en études islamiques. Destinées en premier lieu à la formation d'enseignants en religion pour les quelque 700.000 élèves musulmans du pays (l'enseignement de la religion est obligatoire dans l'enseignement public), ces filières universitaires auront également pour vocation la formation d'imams. L'université d'Erlangen/Nuremberg et celle de Francfort se sont par ailleurs vu accorder chacune une dotation de l'État allemand pour la création d'un centre de recherche, de quatre millions d'euros sur cinq ans. À noter que l'université de Francfort a instauré à la rentrée 2010 un bachelor d'études islamiques auquel sont inscrits une centaine d'étudiants.
De notre correspondante en Allemagne, Marie Luginsland

Lire aussi le billet de Michel Abhervé, blogueur EducPros : Le diplôme règle tout, même le débat sur la laïcité

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