Fusions des écoles de commerce : les recruteurs dans l’expectative

Cécile Peltier Publié le
Fusions des écoles de commerce : les recruteurs dans l’expectative
Le campus d'Amiens de France Business School // DR // © 
Si les recruteurs s’intéressent aux fusions des écoles de commerce, ils estiment qu’elles ne bouleverseront pas leur politique de recrutement… au moins à court terme.

Les cabinets de recrutement et les entreprises observent avec une curiosité prudente les diverses fusions des écoles de commerce françaises : Skema d'abord, née en 2009 du mariage entre l'ESC Lille et le Ceram, et plus récemment FBS (France Business School qui regroupe l'ESCEM et les ESC d'Amiens, de Brest, de Clermont-Ferrand) puis Kedge Business School (Euromed et Bordeaux Ecole de management) et maintenant Reims Management School et Rouen Business School qui devraient former une grande entité.

"Sur les CV que nous recevons, les étudiants et les candidats commencent à parler de Kedge Business School", souligne Frédéric Huynh, responsable du service recrutement pour la France, au sein du cabinet d'audit Ernst & Young. Mais même dans ce secteur de l'audit, où beaucoup de jeunes diplômés recrutés chaque année sortent d'écoles de commerce, si les recruteurs restent attentifs à ces fusions, elles sont loin d'être une obsession : "Je me tiens au courant de ces fusions car cela m'intéresse, mais dire en tant que chargé de recrutement que c'est dans mon radar ? La réponse est non", confie Jean-Marc Mickeler, associé responsable de la marque Employeur de Deloitte France.

"Les écoles devront rester sélectives"

Dans l'ensemble, la démarche de rapprochement des écoles est perçue de manière "assez positive" par les acteurs économiques. Ils se disent conscients, dans un contexte de raréfaction des deniers publics et de difficultés pour certaines écoles à faire le plein d'élèves, de la nécessité pour les business schools hexagonales "de taille moyenne", de s'allier, si elles veulent survivre et tirer leur épingle du jeu sur un marché des talents devenu mondial.

Pour Jean-Marc Mickeler, le succès de ces fusions tiendra à la volonté des établissements de travailler ensemble dans l'intérêt des étudiants : "C'est un peu comme dans une fusion d'entreprises, si on est d'accord sur les objectifs et qu'on réussit les 100 premiers jours, cela peut être très rapidement un grand succès. Au contraire, si les intérêts divergent, cela peut prendre beaucoup de temps...". "Certaines écoles réussiront à mutualiser des programmes de recherche, à attirer les meilleurs professeurs, et à conserver un suivi pédagogique de qualité malgré le passage de 2.000 à 10.000 élèves", souligne quant à lui Denis Lesigne, directeur conseil rémunération et avantages sociaux chez Deloitte. 

Mais l'image de ces nouveaux établissements auprès des recruteurs dépendra également "de leur capacité à rester sélectives et pas seulement sur la base du montant des frais de scolarité, mais de concours exigeants, insiste Jean-Marc Mickeler. Et de leur capacité à développer un label cohérent."

Ces écoles ne sortent pas de nulle part, et ont toutes fait leurs preuves individuellement (D. Crequer)

Des effets à long terme

Mais quel impact pour le recrutement des jeunes diplômés ? Pour Philippe Vidal, fondateur du cabinet de recrutement Vidal Associates, "on s'inscrit sur du très long terme. Ce qui fait la principale notoriété d'une école, c'est son réseau d'anciens." Or, les écoles en cours de fusion n'ont pas, à l'heure actuelle, de réseaux d'anciens assez puissants ou assez structurés, pour peser sur le marché du travail en dehors de leurs zones réservées, croient savoir les recruteurs interrogés. "A court terme, on joue d'abord sur un accroissement d'échelle", prévient François-Marie Delétoille, chez Michael Page.

Un scepticisme dynamité par Damien Crequer, associé au cabinet Taste : "Ces écoles ne sortent pas de nulle part, et ont toutes fait leurs preuves individuellement." Lui est d'avis que les fusions ne devraient pas changer grand-chose au recrutement, sauf si leurs marques s'apprécient fortement, pour la bonne raison notamment que les entreprises disposent de leur propre classement interne. "Les écoles qui fusionnent, fusionnent dans la même catégorie. Rouen et Reims en cours de rapprochement sont par exemple deux belles écoles dans lesquelles nous recrutons beaucoup et il n'y a pas de raison que ça change. Idem pour Kedge", corrobore Frédéric Huynh.

Un impact modéré sur les salaires

A long terme, de l'avis général, une meilleure visibilité de l'école pourrait signifier des salaires d'embauche revus à la hausse. "Il faudra voir sur le long terme, mais nous continuerons à appliquer les salaires de marché", commente Frédéric Huynh. Denis Lesigne mise lui sur un abandon progressif d'une échelle des salaires d'embauche fondée sur un classement des écoles : "Le message que nous faisons passer dans nos missions de conseil auprès des entreprises est que : 'Si deux étudiants sont différents, deux salariés seront les mêmes !' Sans compter que les jeunes diplômés issus des business schools françaises sont en moyenne bien mieux payés (entre 35.000 et 40.000 euros annuels) que la plupart de leurs camarades étrangers" : "Payer un jeune diplômé deux fois plus que le salaire moyen des Français est un sacré pari ! Avec la crise, les entreprises auront-elles les moyens de continuer dans cette voie ? Ce n'est pas sûr..."

Skema, un exemple réussi ?

Skema, née en 2009 de la fusion de l'ESC Lille et le Ceram fait figure de pionnière dans le domaine des fusions. Et pour certains des recruteurs interrogés, presque "d'exemple", même si elle n'a pas encore réussi à se hisser au sommet des rankings. Les signes de cette réussite : "Le nom commence peu à peu à exister sur le marché français", remarque François-Marie Delétoille.

Nuance : "Sa visibilité internationale s'améliore par le jeu des effets de taille, mais la notoriété et la réputation ne sont que peu liées à ces facteurs et s'inscrivent nécessairement dans la durée." Par ailleurs, il s'opère un nivellement progressif entre les campus de Lille et de Nice : "C'est gagné quand il n'y a plus de différence de perception chez les étudiants", confirme Jean-Marc Mickeler.
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