IUT de Saint-Denis : la lutte anti-corruption s'en mêle

Morgane Taquet Publié le
IUT de Saint-Denis : la lutte anti-corruption s'en mêle
La plainte déposée le 2 octobre 2015 par l'association Anticor doit faire l'objet d'une enquête de la police judiciaire, dans les trois mois. // ©  Nicolas Tavernier / R.E.A
L'association anti-corruption Anticor a déposé plainte pour détournement et tentative de détournement de fonds dans l'affaire de l'IUT de Saint Denis (université Paris 13). Une première dans le milieu de l'enseignement supérieur.

L'association de lutte contre la corruption, Anticor, a porté plainte le 2 octobre 2015, pour détournement et tentative de détournement de fonds, contre Rachid Zouhhad, l'ancien directeur du département Techniques de commercialisation de l'IUT de Saint-Denis.

Un nouvel épisode dans l'affaire de l'institut de l'université Paris 13, au cœur de la tourmente depuis plus d'un an, suite à de graves dysfonctionnements constatés notamment par l'inspection générale.

Un potentiel détournement d'heures complémentaires

La plainte, déposée auprès du tribunal de grande instance de Bobigny, porte sur un potentiel délit de détournement d'heures complémentaires – de l'ordre de 4.832 heures, soit l'équivalent de 196.000 euros – mis en lumière par l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche) dans un rapport rendu public en avril 2015.

C'est au printemps dernier que l'association déclare avoir été avertié par un "lanceur d'alerte" sur ce potentiel délit, en l'occurrence le directeur de l'IUT, Samuel Mayol. Pour juger de l'opportunité d'agir en justice, l'association dit avoir rencontré ce dernier et s'être appuyée sur le rapport de l'IGAENR. La plainte doit désormais faire l'objet d'une enquête de la police judiciaire, dans les trois mois.

Aucune heure payée indûment, souligne l'université

Dans un communiqué publié le 6 octobre 2015, la présidence de l'université Paris 13 indique qu'un audit interne a été mené sur cette question, depuis la remise du rapport de l'inspection. Cet audit "a permis de vérifier qu'une partie de ces heures (40%) a été validée par la direction de l'IUT. Le reste – soit 60% – n'a fait l'objet d'aucun paiement", expose Paris 13, qui souligne qu'aucune heure n'a donc été "payée indûment par l'université".

Un argumentaire qui ne suffit pas à  convaincre le président d'Anticor. "Si, au final, rien n'a été payé, tant mieux ! Mais si une tentative de détourner de l'argent est avérée, le délit est quand même caractérisé et puni de la même peine", souligne Jean-Christophe Picard, le président d'Anticor.

"La tentative, à elle seule, justifie le signalement au parquet, résume Éric Alt, vice-président de l'association. Il est en tout cas frappant de voir qu'aucune plainte n'a jusqu'ici été déposée sur cette question, alors même que le rapport évoque de fortes présomptions délictuelles."

Le monde universitaire jugé opaque

Tournée vers les questions d'éthique dans la sphère politique, c'est la première fois que l'association dépose une plainte dans une affaire impliquant des acteurs de l'enseignement supérieur, rapporte Jean-Christophe Picard.

"D'après nos échos, une certaine opacité règne dans le milieu universitaire, notamment sur la question du paiement d'heures indues mais aussi concernant les recrutements, qui peuvent faire l'objet d'un certain clientélisme, soutient-il. Et quand il y a une opacité dans l'utilisation de l'argent public, cela nous inquiète et donc nous intéresse."

Des sanctions disciplinaires au compte-gouttes
L'IUT de Saint-Denis est, depuis plus d'un an, le théâtre de dysfonctionnements graves au sein du département Techniques de commercialisation, relevés notamment dans un rapport de l'IGAENR.

Depuis la remise du rapport de l'Inspection, trois enseignants ont été convoqués devant la section disciplinaire de l'université. Si le premier enseignant a bénéficié d'un non-lieu, les deux autres cas sont toujours en cours d'instruction. Les sections disciplinaires devraient rendre leurs décisions d'ici fin octobre 2015.

Le ministère a demandé, en juillet 2015, à l’Inspection générale de mener une nouvelle enquête, sur les mesures mises en place pour mettre fin aux dysfonctionnements.

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Qu'est-ce qu'Anticor ?
"Contre la corruption, pour l'éthique en politique". C'est le slogan d'Anticor, association fondée en juin 2002 par Éric Halphen, juge anti-corruption, et Séverine Tessier. "Avec les lanceurs d'alertes, Anticor s'implique dans des affaires judiciaires importantes en signalant au parquet des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale", écrit l'association sur son site. Anticor est notamment à l'origine de la plainte dans l'affaire des sondages de l'Élysée en 2008. Gage de son indépendance, l'association dit n'être financée que par des dons et les cotisations de ses adhérents.

Morgane Taquet | Publié le