L'Institut Villebon-Charpak lance une licence scientifique expérimentale

Sophie Blitman Publié le
L'Institut Villebon-Charpak lance une licence scientifique expérimentale
L'entrée du campus d'Orsay de l'université Paris-Sud © S.Blitman mars 2013 // © 
Labellisé Idefi, l'Institut Villebon-Charpak accueillera ses premiers étudiants à la rentrée 2013, dans le cadre d'une nouvelle licence en sciences et ingénierie. Avec un cocktail d'ingrédients peu ordinaire, mêlant interdisciplinarité, pédagogie par projets et ouverture sociale. Et un niveau d'investissement financier qui suscite certaines réserves.

Donner des compétences interdisciplinaires en sciences et ingénierie à des d'étudiants de milieux sociaux et d'origine scolaire variés, et les inciter à poursuivre des études longues : tels sont les objectifs de l'Institut Villebon-Charpak, qui ouvre ses portes en septembre 2013.

Sélectionné comme Idefi (Initiatives d'excellence en formations innovantes) dans le cadre des Investissements d'avenir, le projet associe ParisTech et la fondation ParisTech, la FCS (Fondation de coopération scientifique) Paris-Saclay, ainsi que les deux universités Paris-Descartes et Paris-Sud, qui codélivreront un diplôme de licence "sciences et ingénierie".

Pédagogie inductive et interdisciplinarité

S'il s'agit d'une licence généraliste, la pédagogie est "inversée par rapport aux licences classiques, souligne Bénédicte Humbert, déléguée à la diversité de ParisTech : dans l'esprit du Nobel Georges Charpak, la maquette prévoit beaucoup d'expérimentations à partir de projets concrets".

Ainsi, pour fabriquer une biopile, les étudiants devront aller chercher les connaissances qui leur sont nécessaires en électricité, chimie ou ingénierie. Car l'idée est aussi de travailler sur des thématiques qui permettent de faire appel à différentes disciplines. La lumière, par exemple, sera abordée sous l'angle physique de l'optique et des ondes, tout en étant reliée à la photosynthèse en biologie, mais aussi à son utilisation dans la société pour la luminothérapie, ce qui ouvrira sur les sciences humaines.

Nous nous intéresserons plutôt aux profils de jeunes qui ont eu de petits accidents de parcours (Bénédicte Humbert)


Au total, la formation comptera une trentaine d'heures hebdomadaires, couplées à des stages obligatoires chaque année. Une demi-journée par semaine sera par ailleurs consacrée au sport, une autre à faire le point sur la formation et le projet professionnel des étudiants.

"Nous souhaitons leur apporter des compétences transverses utiles dans le monde professionnel, tout en les amenant à s'interroger sur la manière dont les sciences peuvent transformer la société", précise Jeanne Parmentier, responsable de la sélection et de l'innovation pédagogique pour l'Institut.

Ouverture sociale et mixité

À l'issue de leur licence, les étudiants seront encouragés à poursuivre vers des masters ou des écoles d'ingénieurs, alors même que "ces jeunes n'étaient pas dans cette perspective en sortant du bac", souligne Bénédicte Humbert.

En effet, l'ouverture sociale est une dimension importante de l'Institut Villebon-Charpak, qui entend accueillir dans cette licence 70% de boursiers, mêler des filles et des garçons ainsi que des bacheliers de séries scientifiques et technologiques (STI2D, STL et STAV). Sans fixer pour autant de quotas.

"Nous nous intéresserons plutôt aux profils de jeunes qui ont eu de petits accidents de parcours, ceux qui ne peuvent a priori pas aspirer aujourd'hui à des études longues, mais qui pourraient le faire avec un petit coup de pouce, annonce la responsable diversité de ParisTech. Une attention particulière devrait également être portée aux étudiants en situation de handicap."

Sur les 550 dossiers reçus à l'issue de la procédure Admission postbac, entre 150 et 200 vont être présélectionnés à partir d'une grille visant à "évaluer leur motivation et leur ténacité, leur créativité ainsi que leur souci des autres, énumère Jeanne Parmentier. Les bulletins scolaires vont être examinés pour nous assurer qu'ils ont un niveau suffisant, mais nous leur avons aussi demandé de réagir à des conférences scientifiques disponibles sur Internet de façon à mesurer leur goût pour les sciences", précise-t-elle.

Une rencontre d'une journée aura lieu fin avril 2013 pour sélectionner les 30 candidats finalement retenus, sur des critères avant tout liés à leur personnalité. À terme, les promotions devraient compter 90 étudiants.

Le coût total du projet est estimé à 14.000 € par étudiant par an. L'objectif étant de le réduire à 12.000 € (Bénédicte Humbert)



Particularité de l'Institut Villebon-Charpak, tous les élèves seront logés en internat, de manière à pouvoir être également encadrés le soir pendant l'étude. La première année, des chambres d'une école de ParisTech seront mises à disposition avant qu'ils n'intègrent en 2014 une ancienne école militaire réhabilitée, à laquelle s'ajoutera en 2015 un bâtiment supplémentaire.

Le coût de l'expérimentation

Aujourd'hui, "le coût total du projet est estimé à 14.000 € par étudiant par an, avance Bénédicte Humbert, l'objectif étant de le réduire à 12.000 €, grâce aux économies d'échelle qui devraient être réalisées quand la promotion sera au complet".

Au titre des Idefi, l'Institut Villebon-Charpak a reçu 2,5 millions d'euros sur cinq ans, "totalement consommables", précise Bénédicte Humbert. Une part de l'Idex Paris-Saclay sera également consacrée au projet, de telle sorte que le grand emprunt devrait représenter au total environ 40% du financement. Les établissements partenaires, eux, contribueront à hauteur de 50%, le reste étant apporté par des entreprises et mécènes.

Du côté des syndicats, ces investissements font grincer des dents. "C'est un coût énorme au vu du nombre d'étudiants concernés, dénonce Gilles Laschon, élu Snesup à Paris-Sud. On a créé un ovni, une vitrine, alors que le projet aurait pu être mené à l'intérieur d'une université, ce type de travail étant déjà amorcé dans certaines composantes. Et, pendant ce temps, on n'arrive pas à boucler nos fins de mois.”

Un laboratoire de recherche pédagogique

"C'est une expérience pédagogique dont le retour sur investissement n'est pas immédiat, comme c'est le cas pour la recherche", rétorque la vice-présidente du CEVU (Conseil des études et de la vie universitaire) Colette Voisin. Si elle reconnaît que "des pédagogies inductives de ce type existent déjà dans les IUT, elles n'ont pas la même ampleur : à l'Institut Villebon-Charpak, la totalité des cours peut être dispensée avec ce genre de méthodes ou d'autres véritablement novatrices. En outre, le mode de sélection est complètement innovant", fait-elle valoir.

"Au-delà de la chance que cela représentera pour une petite centaine de jeunes chaque année, l'Institut doit être considéré comme un laboratoire de recherche pédagogique. C'est la principale justification que l'on peut y trouver", conclut-elle. Reste à voir si, comme l'espèrent les partenaires du projet, le modèle sera transposable et si les pratiques expérimentées se diffuseront au-delà de la seule licence de sciences et ingénierie.

Sophie Blitman | Publié le