La CDEFI veut revoir le modèle de financement des écoles d’ingénieurs

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier Publié le
La CDEFI veut revoir le modèle de financement des écoles d’ingénieurs
Christian Lerminiaux // ©  DR
Les écoles d’ingénieurs sont en plein « brainstorming ». L’enjeu : faire évoluer leur « business model » pour augmenter leurs effectifs et marquer des points dans la compétition mondiale. Telles sont les priorités de Christian Lerminiaux, nouveau président élu en mai 2011 à la tête de la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs). Interview.


Vous avez fait du financement des écoles d’ingénieurs l’une de vos priorités. Pourquoi ?

Les demandes des industriels nous poussent à former 10.000 ingénieurs de plus par an. Déjà aujourd’hui, certains enfants de familles très aisées vont faire leurs études à l’étranger. Il s’agit de les retenir sur le territoire français tout en améliorant leur exposition internationale. Mais on ne voit pas actuellement quel business model va nous permettre d’y parvenir. La formation d’un élève ingénieur coûte entre 7.000 et 9.000 € par an, contre 18.000 à 27.000 € à l’étranger. Il faudrait déjà arriver dans l’état actuel à doubler le budget de chaque école et l’augmenter encore pour assurer cette croissance des effectifs. Autre chantier crucial : la bataille qui s’engage pour recruter les meilleurs enseignants. Les écoles d’ingénieurs ont toujours joué un rôle de pionnier dans l’enseignement supérieur. Nous souhaitons être une sorte de poisson pilote, mettre en œuvre des expérimentations pour faire avancer le débat.


Cela signifie-t-il que le système actuel de répartition des moyens ne vous convient pas ?

Aujourd’hui, pour les écoles du ministère de l’Enseignement supérieur, le système Sympa, et San Remo avant lui, s’apparente à un système de répartition de la pénurie qui fige le paysage et empêche le développement des établissements les plus dynamiques. La CDEFI souhaite d’ailleurs contractualiser avec l’État afin de garantir une augmentation budgétaire proportionnelle aux évolutions d’effectifs. Mais notre réflexion doit aller bien au-delà des systèmes existants.


Quel scénario envisagez-vous pour accroître le financement des écoles ? Allez-vous toucher au tabou d’une augmentation des frais de scolarité ?

Nous ne résoudrons pas cette épineuse question qu’à partir des frais de scolarité. Chacun doit mettre la main à la poche : on pourrait imaginer qu’à un euro supplémentaire investi par un étudiant correspondraient également un euro des collectivités territoriales ou de l’État et un euro des entreprises.

L’augmentation des frais de scolarité ne doit pas devenir un point de blocage. Il faudrait proposer un système intelligent où l’école fait crédit des droits d’inscription à l’étudiant pendant ses études. À charge au diplômé de rembourser une fois installé dans sa vie professionnelle. Un coût qui représentera tout au plus quelques mois de salaires pour le jeune diplômé. Cette croissance devra s’accompagner d’une exigence de transparence de la part des écoles pour montrer à quoi sert cet argent supplémentaire.



À propos du financement qui provient des entreprises, vous vous méfiez du développement à tout crin des formations en alternance. Pourquoi ?

Le gouvernement est peut-être allé un peu vite dans sa volonté d’augmenter les quotas d’apprentis sans en voir toutes les conséquences. Quand nous évoquons le problème de business model des écoles d’ingénieurs, on nous rétorque « développez l’apprentissage ! ». Nous répondons : attention de ne pas flécher l’argent des entreprises uniquement vers les formations en alternance. Le coût de ce type de cursus n’est pas négligeable. Il est quasiment le double d’une formation classique, puisque l’entreprise paie la formation et l’étudiant. Cette addition n’est pas la meilleure façon d’optimiser les ressources financières apportées à une école.


Le développement international des écoles d’ingénieurs peut-il être un moyen d’augmenter leurs ressources ?

Les écoles d’ingénieurs devraient davantage faire payer les étudiants étrangers. C’est une certitude. Dans la logique anglo-saxonne – dominante de toute façon –, plus une formation est chère, plus elle est de qualité. Aujourd’hui, nous leur présentons les choses de la façon suivante : votre formation coûte 10.000 €, dont 9.500 € pris en charge par l’État. Je préférerais leur faire payer le coût réel.

Sur l’ouverture de formations d’ingénieurs à l’étranger, nous devons en revanche changer de discours. Nous sommes extrêmement sollicités pour ouvrir des écoles en Chine, en Inde… avec parfois une approche très coloniale de ces sujets. Il nous faut apprendre aux barbares comment on forme des ingénieurs. Une manière de voir complètement dépassée. Nous voulons bien construire des écoles d’ingénieurs à la française à travers le monde, mais nous ne sommes pas prêts à offrir nos services. Nous attendons un retour sur investissement et allons le faire savoir.
 

Une CDEFI plus politique

L’élection de Christian Lerminiaux à la tête de la CDEFI a conduit à un changement d’organisation de la Conférence. Celle-ci se dote d’un cabinet dirigé par Alexandre Rigal, jusqu’alors directeur exécutif de la structure. Une manière d’afficher des ambitions plus politiques. « Nous souhaitons avoir des prises de position plus fréquentes et davantage de relations avec les acteurs politiques, confie Christian Lerminiaux. Plus nous communiquerons, plus nous serons visibles aux yeux du ministère. Et plus nous pourrons faire passer nos idées. »

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier | Publié le