La mauvaise gestion des Beaux-arts de Paris pointée du doigt

Sophie de Tarlé Publié le
L’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris a été épinglée par la Cour des comptes. Les rapporteurs reprochent à l'établissement le manque de diversité de son enseignement, l’absence de synergie avec les autres écoles d’art et la mauvaise valorisation de son patrimoine.

La Cour des comptes a rendu public, lundi 3 février 2014, un rapport sévère sur l’ENSBA (École nationale supérieure des beaux-arts) de Paris. Les Sages ont procédé au contrôle des comptes entre 2001 et 2011, soit juste avant la nomination de Nicolas Bourriaud, l'actuel directeur.

Héritière des académies royales de peinture instituées par Louis XIV, l'ENSBA est un établissement public placé sous la tutelle du ministre de la Culture. Elle est la plus ancienne école d’art en France et la plus prestigieuse aussi. C'est l’une des seules à abriter à la fois une école et un musée, constitué d'œuvres léguées par ses étudiants au fil des siècles. Située dans un quartier historique de Paris, entre le quai Malaquais et la rue Bonaparte, elle occupe des bâtiments d'une valeur historique exceptionnelle, à un jet de pierre de Saint-Germain-des-Prés.
Or, la gouvernance et la gestion de l'école n'apparaissent pas à la hauteur de ce patrimoine.

une école isolée

Premier reproche fait par la Cour des comptes :  l’ENSBA est la seule parmi les écoles étrangères comparables à ne former qu’aux beaux-arts. "Ce choix a pour conséquence de cloisonner l'enseignement à une époque où toutes les formes d'expression s'interpénètrent. Enfin, il limite très fortement les débouchés à la sortie de l'École, réduit l'empreinte de l'ENSBA au plan international et l'isole du réseau des écoles d'art en France avec lesquelles les coopérations et les échanges sont quasiment inexistants."
Et d'ajouter  : "l'ENSBA peine à affronter des concurrents étrangers plus riches, plus puissants, aux formations souvent plus diversifiées et qui sont surtout nettement plus internationalisés qu'elle, donc davantage en prise avec un monde de l'art de plus en plus globalisé. Le prestige indéniable dont elle jouit encore n'est désormais plus incontesté."

Deuxième reproche, son isolement au sein des 35 autres écoles d’art du ministère de la Culture qui scolarisent 35.000 étudiants. "L'ENSBA apparaît comme un îlot détaché d'un vaste archipel. Elle ne partage aucune fonction support (médiathèque, gestion, organisation des échanges d'étudiants, cartographie des débouchés, moyens administratifs et logistiques, etc.) avec les deux écoles nationales supérieures parisiennes, l'ENSAD et l'ENSCI."

mauvaise gestion budgétaire

Le rapport pointe aussi le coût par étudiant, jugé élevé, évalué à 19.000€ par an.

Enfin, le patrimoine exceptionnel de l’école (50.000 objets dont beaucoup datant du XVIIe siècle) est particulièrement mal conservé et mis en valeur. Les rapporteurs préconisent des mesures radicales avec un adossement à d'autres grandes institutions pour la conservation, le catalogage, la numérisation et la restauration de ses collections. D'autant que ces œuvres ne servent plus aux étudiants, l'apprentissage par copie ayant été abandonné par l'établissement.

Par ailleurs, les expositions accueillent peu de visiteurs : 30.000 seulement par an. Les recettes de la billetterie ne couvrent que faiblement les coûts directs de production. Le rapport donne plusieurs raisons dont, entre autres, "les choix de programmation des expositions qui ne rencontrent que fortuitement ceux d'un public assez mal identifié" et un accueil de mauvaise qualité.
Enfin, constate le rapport, l'activité éditoriale de l'ENSBA est toujours aussi déficitaire que lors du précédent contrôle de la Cour, il y a dix ans.

La politique de site contre l'isolement

A ces nombreuses  critiques, les ministères de la Culture et de l'Enseignement supérieur et la Recherche ont répondu par une lettre co-signée qui affirme le haut niveau de formation dispensé par l'établissement et souligne que le taux d'insertion professionnelle des diplômés est "conforme à la moyenne des écoles supérieures d'art, soit environ 74% de diplômés en activité trois ans après l'obtention du diplôme, et 62% insérés dans le champ même de leur diplôme".

Aurélie Filipetti et Geneviève Fioraso mettent aussi en avant la volonté de l'intégrer, comme toutes les écoles d'art, dans la politique de site prônée par la loi ESR de juillet 2013. L'ENSBA faisant partie de la communauté PSL.
Plus largement, "la direction générale de la création artistique du ministère chargé de la culture va lancer une étude visant à rationaliser le réseau des écoles nationales supérieures d'art, en envisageant différents scénarios en fonction des contextes régionaux et notamment des rapprochements avec des établissements d'enseignement supérieur du spectacle vivant, voire de l'architecture".

vers une Reprise en main budgétaire ?

Quant à la gestion de l'école, une "baisse importante" du budget des expositions est prévue et le "contrat de performance va être largement remanié", incluant notamment "la mise en œuvre des outils de gestion des ressources humaines".

Enfin, les ministres s'accordent avec la Cour sur "l'urgente nécessité d'engager un programme de sauvegarde" du patrimoine de l'ENSBA. Une inspection va être chargée de faire des propositions sur le sujet.

Sophie de Tarlé | Publié le