Laurent Batsch (université Dauphine) : "Il n’est pas acceptable que les étudiants de Dauphine soient comptés comme des demi-portions par rapport à ceux de Sciences po Paris"

Propos recueillis par Camille Stromboni Publié le
Laurent Batsch, président de l'université Paris Dauphine, hausse le ton. Après sa tribune dans le Monde, dénonçant les privilèges de Sciences Po Paris par rapport à  son établissement, il explique sa démarche à EducPros, et réagit aux propos de Richard Descoings, directeur de l'institut parisien.

Vous avez publié dans Le Monde une tribune dénonçant le traitement financier très avantageux que l’Etat réserve à l’IEP parisien. Pourquoi vous attaquez-vous à Sciences po ?

Ma démarche est sans ambiguïté : je respecte les institutions et les personnes et je salue volontiers l'excellent bilan du directeur de l'IEP de Paris. Mais je pose la question : à quel prix public ? Et je revendique un principe simple : l’équité. Comment est-il possible que l’Etat accorde, chaque année, 25 millions d’euros de plus à l'IEP de Paris qu’à Dauphine pour son budget de fonctionnement , sachant que nos deux établissements sont tout à fait comparables ?

Il s’agit en effet de deux "grands établissements" publics, avec un nombre d’étudiants similaire - environ 9.000 - travaillant dans les mêmes champs disciplinaires, et disposant d’une part importante de ressources propres. Et si l’on intègre d’autres types de soutiens financiers, notamment immobiliers, cela dépasse largement les 25 millions. Ce n'est pas une paille ! Je demande pourquoi l'IEP détient ce privilège considérable.

Suite à la tribune de deux dirigeants de Sciences po , qui détaillaient cette croissance spectaculaire des moyens de l’institut - sans équivalent dans le secteur universitaire – j’ai le devoir de prendre la parole. Il s’agit d’une question que j’évoque déjà depuis plusieurs années devant mon conseil d’administration  et devant tous mes interlocuteurs. Simplement, le sujet est maintenant public.

Comment est-il possible que l’Etat accorde, chaque année, 25 millions d’euros de plus à l'IEP Paris qu’à Dauphine ?

Comment expliquez-vous cette différence de traitement ?

Je pense que les processus de décision budgétaire dépendent d’un certain nombre d’acteurs, qui ont pour l'IEP une préférence marquée. Ces décideurs opèreraient-ils un renvoi d’ascenseur à leur école de formation, toutes sensibilités politiques confondues ?

Je réitère ma proposition qu'un commissaire aux comptes fasse un audit complet des financements des deux établissements, et le rende public.

Dauphine n’est-elle pas, elle aussi, une université favorisée, avec son statut de grand établissement et la possibilité de sélectionner à l’entrée ?

Au contraire. Notre budget annuel est de 83 millions d’euros, dont 26 % de ressources propres. Concernant la dépense par étudiant, nous sommes exactement dans la moyenne nationale des universités, mais nous n'y parvenons que grâce à cet effort important pour lever des fonds complémentaires.

Notre sélectivité implique quant à elle un effectif d’étudiants réellement présents à l’université : nous n’avons pas d’étudiants fantômes. Nos formations ont en outre des volumes horaires importants : souvent plus de 450 heures en master pro. Enfin, nous sommes une université de petite taille, pénalisée en ce sens par une sous-dotation historique, dans la mesure où le financement a longtemps reposé sur le nombre d’étudiants.

Quelle solution préconisez-vous pour que justice soit rétablie ?

Il revient à l’Etat de rendre compte du traitement d’exception réservé à l'IEP et d'engager un rééquilibrage. Il n’est pas acceptable que les étudiants de Dauphine soient comptés comme des demi-portions par rapport à ceux de l'IEP. Sont-ils moins méritants ? Contribuent-ils moins à la compétitivité du pays ?

Dans l’univers compétitif de l’enseignement supérieur, on ne peut pas lutter contre une captation de financements publics de cette ampleur. Sachant que l’argent public est aussi un levier important pour lever des fonds privés ! C’est un principe républicain qui est en cause.

Et cela deviendra un jour ou l'autre un sujet de droit : les mêmes principes qui ont conduit le droit européen à prohiber la "distorsion de concurrence" pour les entreprises, trouveront à s'appliquer dans l'enseignement supérieur. Cela adviendra inéluctablement.

Je propose que l'on soumette l'affectation du chèque-cadeau de l'IEP à la même procédure publique et transparente que celle qui a prévalu pour l'Idex

Richard Descoings répond, dans Libération , à votre tribune, indiquant qu’il s’agit d’une différence entre vous quant à "la capacité d’avoir un projet et de convaincre les autorités publiques à le financer" ? N’est-ce donc pas aussi un échec de performance de la part de Dauphine ?

Il rappelle aussi que Dauphine a remporté avec ses 15 partenaires la sélection des Initiatives d'excellence . Précisément, ce succès intervient au terme d'un concours public et transparent arbitré par un jury international. Quand les règles sont publiques et transparentes, Dauphine (avec ses partenaires) s'en sort bien.

Je propose que l'on soumette l'affectation du chèque-cadeau de l'IEP à la même procédure publique et transparente que celle qui a prévalu pour l'Idex. Et l'on pourra juger alors des projets des uns et des autres et de leur capacité à convaincre. Chiche, Richard !

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