Les Mooc, entre révolution et désillusion : les bonnes feuilles du rapport de l'Institut de l'entreprise

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Les Mooc, entre révolution et désillusion : les bonnes feuilles du rapport de l'Institut de l'entreprise
Étudiant suivant un Mooc © J.Gourdon - janvier 2014 // ©  J. Gourdon
Si les Mooc constituent une réelle innovation, les défis restent nombreux, tant sur le plan économique qu'au niveau politique voire géopolitique. C'est le constat que dresse Lucien Rapp, professeur à la faculté de droit de l'université Toulouse 1-Capitole, dans un rapport rédigé pour l'Institut de l'entreprise. EducPros vous livre en avant-première les bonnes feuilles de ce texte, intitulé "Les Mooc, révolution ou désillusion".

Les MOOC, innovation de rupture

"En France, les universités devenues autonomes ont souvent mis en œuvre des politiques de marques commerciales, mettant en avant leurs spécialités, leurs diplômes et leur attractivité comme autant d’atouts sur un marché concurrentiel. Et si des efforts importants ont été accomplis en faveur de la lutte contre l’échec en licence, celui-ci reste encore important, tandis que les universités concernées ne savent rien des étudiants qui ne peuvent s’inscrire à leurs formations ou les abandonnent.

La préférence qui s’exprime aujourd’hui aux États-Unis pour des formations courtes, donnant accès au bout d’un an à une qualification et, par conséquent, à un emploi, se manifeste également en Europe, où il serait, par exemple, intéressant de connaître le taux de candidature aux diplômes d’université (DU). Les universités européennes échapperaient-elles à ce constat inquiétant que l’on fait aujourd’hui aux États-Unis, où ce sont les formations les plus coûteuses qui font l’objet des taux d’échec les plus importants ? Assurément non. Bien au contraire ; la tendance est la même.

Dans ce contexte, le professeur Christensen [Clayton M. Christensen, de la Harvard Business School, ndlr] avertit tous les établissements d’enseignement supérieur : les Mooc sont l’innovation de rupture qui, comme dans le schéma précédemment décrit, permet à des entrants de s’introduire sur le 'marché' de la formation des élites, de bouleverser les établissements en place, surtout les établissements les plus prestigieux, et de les repousser vers les extrémités, en écrémant le marché très lucratif des formations courtes et peu dispendieuses et en les condamnant à ne plus servir que des produits de luxe, très coûteux, qui n’intéresseront qu’une clientèle de plus en plus réduite, même internationale. […]

"Is Technology the Answer ?"

Les Mooc offriraient ainsi aux systèmes de diffusion des savoirs et d’acquisition des compétences l’opportunité unique d’une réflexion sur leurs modes d’organisation et leurs méthodes. Ils ne les condamneraient pas, ils les inviteraient à revenir sur leurs fondements et les pousseraient à s’y adapter.

S’ils ne le font pas, ces systèmes prennent le risque de révisions déchirantes de la pertinence de leurs positions et de leurs stratégies, pouvant aller jusqu’à leur disparition, sous les coups de boutoirs d’entrants venus d’horizons très divers qui rallieront, au moyen de Mooc judicieusement agencés, les délaissés des méthodes et des cursus traditionnels.

Ils seront d’autant plus vulnérables que le secteur de l’enseignement est traditionnellement perçu comme un poste de dépenses, un coût, qui ne peut être compensé par des gains de productivité. […]

L’Europe ne saisit pas sa chance

"Que retenir de l’ensemble des développements qui précèdent ?

Comme souvent : une grande timidité collective des États européens sur un sujet majeur. Il appelle une réflexion urgente sur l’avenir de nos systèmes de diffusion des savoirs et d’acquisition des compétences et, au-delà d’eux, sur les modes de formation des futurs dirigeants mondiaux et nos politiques d’influence dans le monde.

Sur ce dernier terrain, l’Europe possède encore quelques atouts qu’il lui faut conserver dans le glissement général du pouvoir d’ouest en est, du nord au sud et des pays industrialisés vers les pays émergents.

Son système d’enseignement supérieur reste, pour ces derniers, une référence et les noms de la Sorbonne, d’Oxford et de Cambridge, pour n’évoquer que ces établissements prestigieux, y suscitent encore un vif intérêt. Il lui faut saisir cette chance.

Or, l’Europe ne la saisit pas, du moins pas encore.

En l’absence d’initiative européenne, nos établissements d’enseignement supérieur agissent en ordre dispersé, le plus souvent dans la division et parfois l’affrontement, qui tiennent lieu dans cette partie du monde de (mauvaise) compétition.

Dispersions

"En l’absence d’initiative européenne, nos établissements d’enseignement supérieur agissent en ordre dispersé, le plus souvent dans la division et parfois l’affrontement, qui tiennent lieu dans cette partie du monde de (mauvaise) compétition. […]

En adhérant sans arrière-pensée au système américain GPS (Global Positioning System) dont tant d’automobilistes européens sont aujourd’hui les usagers, les Européens ont découvert trop tard qu’ils s’étaient mis dans une situation de dépendance insupportable, non seulement vis-à-vis du département de la Défense américain, qui sait et observe tout, mais de manière plus sournoise, vis-à-vis du gouvernement américain. Comment aurions-nous pu lui donner tort lorsqu’il a exigé que les Européens contribuent financièrement à l’extension du système de positionnement par satellite américain ?

L’Histoire se répétera et l’on verra les établissements d’enseignement supérieur européens mis en demeure de contribuer au développement des plateformes américaines qui les auront accueillies et dont ils seront en réalité les prisonniers. Ils le sont déjà sur la plateforme edX, comme on le rappelait plus haut, s’ils veulent s’y associer.

Il faut prendre garde que, dans la partie difficile qui se joue entre pays industrialisés et pays émergents et dont l’enjeu n’est rien moins que le leadership mondial, les Mooc, loin de constituer un sujet de convergence et pour tout dire d’alliance objective des deux bords de l’Atlantique, n’en soient un nouvel objet de division.

Une solution européenne ?

Il faut favoriser une solution européenne en coordonnant à ce niveau, qui est le seul pertinent, les initiatives des établissements nationaux désireux de constituer entre eux des consortiums européens. Ces consortiums utiliseront les moyens techniques de plateformes d’initiative communautaire, construites en partenariat avec l’industrie européenne.

Dans ce domaine comme dans d’autres, il pourrait y avoir place pour une politique ambitieuse et efficace de partenariats public-privé, dont l’Europe possède l’expérience."

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Télécharger le rapport complet "Les Mooc, révolution ou désillusion".
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