La filière santé dans la loi ESR : "L’expérimentation nécessite des cadrages"

Propos recueillis par Céline Authemayou Publié le
La  filière santé dans la loi ESR : "L’expérimentation  nécessite des cadrages"
Pierre Catoire et Loic Vaillant // © 
Le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche propose divers changements pour les formations de la filière santé. Pierre Catoire, président de l’ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine de France) et Loïc Vaillant, président de l’université de Tours et de la commission des questions de santé à la CPU, font le point sur ces propositions.

L'avant-projet de loi propose un concept nouveau pour les études de santé : la mise en place d'expérimentations. Durant plusieurs années – de deux à cinq ans selon le texte -, les établissements pourront tester diverses initiatives en matière de formation et de recrutement. Est-ce pour vous un point positif ?

Loïc Vaillant : Sans aucun doute ! Au cours des dernières années, de nombreuses réformes ont été menées. Le but était de les appliquer à tout le monde, en même temps. Or, c'est à la fois difficile à imaginer et à réussir. Cette expérimentation permettra d'essayer des choses, de tester puis d'en tirer un bilan général : petit à petit, les bons modèles émergeront. Certes, il faudra certainement "essuyer les plâtres" mais au moins, on ne se bride pas !

Pierre Catoire : Pour notre part, nous sommes ouverts aux expérimentations, mais nous demandons un cadrage très clair de ces initiatives. Des éléments indispensables doivent être pris en compte, tels que l'égalité des chances au concours, le refus de la sélection à l'entrée des études et le non allongement de la durée de la formation.

Avec l'article 22, le texte évoque aussi la possibilité de créer des passerelles, pour permettre aux étudiants de différentes filières d'intégrer les études de santé.

P.C. : L'idée est bonne car elle permet de diversifier le profil des étudiants. Mais à l'heure actuelle, il y a un point qui est rédhibitoire : aucun cadrage ne définit clairement la manière d'intégrer ces étudiants. Nous craignons que cela soit confié à un jury. Or, on sait que des erreurs de jugements existent. C'est finalement revenir à une sélection. Ce que nous refusons.

L.V. : Mais le jury ne fait jamais d'erreur ! La réponse juridique est claire : il est souverain... Plus sérieusement, je vois aussi dans ces passerelles la possibilité de diversifier l'origine des étudiants, en terme d'origine sociale mais aussi de formation. Pour un médecin, un bagage de philosophie n'est pas plus aberrant qu'un cursus en mathématiques. De façon très concrète, je souhaite que l'intégration de ces étudiants ne venant pas de PACES (Première année des études de santé) passe par un entretien. Car dans les métiers de la santé, le contact humain est essentiel.

Concrètement, quels étudiants pourraient bénéficier de cette passerelle ?

P.C. : La mise en place d'une option médecine pour diverses licences est évoquée, ce qui permettrait aux diplômés de L3 d'intégrer le deuxième cycle des études de médecine. Mais l'égalité dans la préparation au cursus sera-t-elle respectée ? Ne risque-t-on pas de voir certaines filières prises d'assaut si les étudiants jugent qu'elles offrent plus de chances d'intégrer la filière santé ?

L.V. : Plusieurs idées sont évoquées. Parmi elles, la création d'une licence de santé, que j'ai défendue, en parallèle de la PACES. Tous les étudiants souhaitant travailler dans ce secteur s'y inscrivent. Au fil des années, les cours se spécialisent en fonction du métier choisi. L'idée est de créer une culture commune à tous les professionnels du secteur, pour préparer le futur travail d'équipes.

Autre hypothèse évoquée, elle concerne la PACES. Pourquoi ne pas créer une année 0, pour les étudiants les plus faibles ? Une année de préparation à la PACES qui, en cas d'échec, permettrait une réorientation vers d'autres cursus.

Nous avons bien conscience qu'une réforme est nécessaire, mais nous ne voulons pas d'une énième réformette ! (Pierre Catoire)


A quelques jours du passage du texte en conseil des ministres, dans quel état d'esprit êtes-vous ?

P.C. : Nous restons très vigilants. Les étudiants de la filière ont subi beaucoup de réformes au cours des dernières années, dont celle de la Paces. Nous avons bien conscience qu'une réforme est nécessaire, mais nous ne voulons pas d'une énième réformette ! Il faut donc que de vraies évaluations des besoins soient menées, que les objectifs soient clairement énoncés et que ces changements s'accompagnent d'un calage pédagogique.

L.V. : Je suis tout à fait d'accord avec le fait que de grandes réformes ont été entreprises et qu'elles n'ont pas changé grand-chose. Mais l'attitude du ministère qui dit : « vous pouvez expérimenter » me plaît. Le seul point de vigilance que je vois concerne le fait que nous sommes très attachés au caractère national des diplômes. L'expérimentation ne doit pas aboutir à un cursus à la carte. D'où la nécessité d'un cadrage. Depuis plusieurs années, la CPU (Conférence des présidents d'universités) a pris position pour rappeler que c'est l'organisation du système de soin qui pilote l'offre de formation. Il est donc hors de question de former autant de médecins qu'on veut. Nous ne souhaitons pas remettre en cause le numerus clausus. Sinon, ce sera la dérive.

Propos recueillis par Céline Authemayou | Publié le