Fondations et enseignement supérieur : l'époque où les Américains misaient sur les universités françaises

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
Fondations et enseignement supérieur : l'époque où les Américains misaient sur les universités françaises
Le chercheur Ludovic Tournès // © 
La V sup>e édition de la conférence de l'AFF « Fundraising pour l'enseignement supérieur et de la recherche », dont Educpros est le partenaire media, devrait réunir, les 10 et 11 février 2010, quelque trois cents participants. Si les créations de fondations se multiplient depuis la loi sur l'autonomie des universités, le financement de l'enseignement supérieur et de la recherche par des fonds privés n'est pas une nouveauté en France. L'historien Ludovic Tournès revient sur une relation ancienne. Ce spécialiste des fondations américaines coordonne un ouvrage collectif, à paraître à la rentrée 2010 aux éditions Autrement, intitulé Les Fondations américaines et leurs réseaux en Europe.

La Fondation Rockefeller a financé la recherche française dans les sciences sociales avant la Seconde Guerre mondiale, alors que les financements publics étaient notoirement insuffisants. Quelles sont les principales périodes pendant lesquelles l'université française a eu recours aux financements privés ?

Dans le débat public, on découvre le financement privé, mais c'est un fonctionnement très ancien. Avant la Seconde Guerre mondiale, l'université est assez peu financée par les pouvoirs publics pour mener des travaux de recherche. Dès avant la Première Guerre mondiale, des mécènes privés financent la recherche comme le banquier Albert Kahn, également trésorier de la Société des amis de l'Université de Paris. Dans les années 20, le gouvernement était concentré sur les reconstructions et les pensions plutôt que sur l'université... Parmi les mécènes français, on peut citer Édmond de Rothschild avec sa fondation en biologie, physique, chimie.

Les fondations américaines comme Rockefeller et Carnegie sont très présentes dans les universités françaises, notamment dans la biomédecine et les sciences sociales. Après 1945, les prérogatives et les engagements de l'État se sont renforcés dans les universités et, dans les années 60, les financements privés se sont réduits. Les fondations Rockefeller et Ford ont aussi été des mécènes très présents dans les années 50-60 dans le développement de Sciences po et de la Maison des sciences de l'homme.

Qu'en est-il aujourd'hui ?

Les dispositions techniques et fiscales avec la loi de 2003 [loi Aillagon, NDLR] sur le mécénat et les lois de 2007-2008 sur les fondations ouvrent une nouvelle période de financements privés dans les universités. Le mécénat privé dans les universités est une longue tradition, mais c'est devenu un chiffon rouge agité pour dénoncer l'entrée des capitalistes dans l'université. Ce que nous apprend l'histoire sur ce sujet, c'est que l'argent des fondations ne s'est pas traduit par une mainmise des bailleurs de fonds sur les recherches menées. Dans l'entre-deux-guerres et dans les années 50-60, l'autonomie des chercheurs est restée intacte. Dans la recherche biomédicale, Lyon 1 a par exemple été construite avec les fonds de Rockefeller et de la famille Gillet (soierie, pétrochimie). Son pôle santé porte d'ailleurs le nom de Rockefeller tout comme l'avenue où il est installé.

Le fundraising et le travail avec des fondations privées sont très complexes, les négociations sont longues et il faut des acteurs réceptifs des deux côtés. Le passé de certaines universités leur permet d'accueillir le fundraising de façon plus sereine que d'autres. Et certaines ont aussi pu avoir des expériences malheureuses avec un bailleur de fonds qui voulait imposer son point de vue, notamment lorsqu'un donateur est en situation de monopole. Le financement privé n'est pas un problème en soi à partir du moment où l'équilibre entre financement privé et public est maintenu. Et il ne faut pas oublié que l'Etat peut être aussi, voire plus, directif que des bailleurs de fonds privés.

Les fondations européennes peuvent-elles imiter les fondations américaines ?

C'est un débat faussé car il est impossible d'importer le modèle américain tel quel. Aux États-Unis, le principe de la non-intervention de l'État s'impose à de nombreux secteurs. La philanthropie américaine est bâtie sur cette non-intervention. Les fondations privées se définissent comme des organisations privées prenant en charge des missions d'intérêt public. Et, historiquement, le système universitaire américain est financé par ce secteur privé, émanation des grands groupes industriels américains, mais qui développe une politique indépendante. Contrairement aux fondations Carnegie, Gates, Ford, les fondations d'entreprises françaises restent organiquement liées aux entreprises. Par ailleurs, les dotations en capital des fondations américaines [30 milliards de dollars pour la plus importante, celle de Bill-et-Melinda-Gates, NDLR] n'ont rien à voir avec leurs homologues européennes. La fondation d'Albert Kahn fonctionnait comme les fondations américaines, mais avec beaucoup moins de moyens. Par ailleurs, les fondations de ce type sont beaucoup moins nombreuses en France. Les fondations universitaires sont très différentes de Ford ou Carnegie qui, elles, n'ont de comptes à rendre à personne. La culture du don est beaucoup plus développée aux États-Unis, avec le protestantisme, l'État peu présent et l'organisation des communautés pour financer certains services, contrairement à la France, plus colbertiste.

Aujourd'hui, quel est l'intérêt pour les fondations américaines de financer des projets en France ?

Historiquement, ces organisations américaines se veulent internationales et internationalistes. Le financement de projet contribue à renforcer le prestige symbolique du donateur, avec l'idée d'ouvrir ultérieurement des marchés. En France aujourd'hui, les fondations ont moins d'intérêt à intervenir. Par contre, dans d'autres pays d'Europe, leur intervention contribue à réorienter des flux intellectuels en direction des Etats-Unis, comme le montre l'action des fondations Soros en Europe de l'Est depuis la chute du mur de Berlin.

Un guide des bonnes pratiques en matière de fondations partenariales et universitaires
La CPU (Conférence des présidents d'université) publie en partenariat avec KPMG et le Crédit Coopératif le résultat d'une vaste enquête au sein des universités françaises. Ce guide est publié à l’occasion de la 5ème Conférence de fundraising pour l’enseignement supérieur et de la recherche organisé par l’AFF. Vous pouvez le consulter en ligne .

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le