Masters internationaux : les écoles d'ingénieurs demandent des comptes au ministère

Céline Authemayou Publié le
Masters internationaux : les écoles d'ingénieurs demandent des comptes au ministère
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Depuis quelques semaines, l’inquiétude monte au sein des écoles d’ingénieurs, notamment celles sous statut privé. Elles craignent de ne plus pouvoir créer et donc délivrer de masters internationaux, suite aux orientations prises par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le cadre de la loi ESR.

Elles oscillent entre désappointement et inquiétude. Les écoles d'ingénieurs ne comprennent pas les directions prises par le MESR en matière de masters internationaux. Ces cursus, qui s'adressent avant tout aux étudiants étrangers, permettent aux établissements d'attirer un public international et prompt à payer cher sa formation – les frais de scolarité étant jusqu'à présent fixés librement.

Mais avec l'entrée en vigueur de la loi ESR et de ses décrets d'application, les écoles voient peu à peu leur liberté se réduire et craignent de ne plus pouvoir développer de telles filières. "Le discours politique est très paradoxal, s'étonne Frédéric Meunier, directeur de l'école d'ingénieurs privée Efrei. D'un côté, on nous dit qu'il faut amplifier notre stratégie internationale et de l'autre, on nous freine dans nos ambitions..." L'école, qui avait déposé un dossier pour la création d'un master international en ingénierie logicielle il y a plusieurs mois, attend toujours le retour du ministère.

L'épineux sujet des COMUE

L'un des points les plus sensibles du dossier concerne justement les écoles privées. "Ces dernières pourront bien créer des masters internationaux, assurait Jean-Michel Jolion, directeur de service à la DGESIP (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle), lors du colloque de la CTI, qui se tenait le 11 février 2014 à Grenoble. Mais elles devront le faire à travers une convention signée avec un établissement public, dans le cadre de la nouvelle politique de site."

Et c'est là tout le nœud du problème. "Nous ne sommes pas contre cette idée, explique Frédéric Meunier, mais cela pose la question fondamentale de la place des écoles privées au sein des futures Comue (Communautés d'universités et établissements). Aujourd'hui, nous avons une démarche volontaire en la matière, mais pour l'instant, toutes nos demandes auprès d'établissements publics ont reçu une fin de non-recevoir... Quel est alors notre avenir ?" Le cas de cette école francilienne n'est pas isolé. "Nous nous battrons, comme nous l'avons déjà fait dans certaines régions pour que les écoles d'ingénieurs, notamment privées, deviennent des membres à part entière des Comue", promet Christian Lerminiaux, président de la CDEFI.

Les écoles privées pourront créer des masters internationaux à condition qu'elles signent une convention avec un établissement public (Jean-Michel Jolion)

discours politique vs ligne administrative

Après avoir exprimé leur inquiétude dans un communiqué commun le 23 janvier 2014, les représentants de la CGE et de la CDEFI ont reçu une lettre de soutien de la ministre. Geneviève Fioraso reconnaît que les masters internationaux "participent de l'attractivité de notre système d'enseignement supérieur et de la richesse de l'offre de formation. Je partage tout à fait, écrit-elle, votre volonté de poursuivre et d'amplifier, à travers cette offre originale, le rayonnement de nos formations à l'international".

Le 13 février 2014, les deux conférences ont rencontré le directeur de cabinet de la ministre, Jacques Fontanille, pour faire le point sur le dossier. "Nous avons obtenu de sa part une position politique acceptable, même si la question des écoles privées est encore à débattre, reconnaît Christian Lerminiaux. Certes, nous avons eu des engagements oraux, mais nous n'avons aucune certitude quant à la nature des futurs décrets d'application..."

Si Jacques Fontanille a rassuré la CDEFI et la CGE sur plusieurs points – notamment des frais de formation laissés libres et la possibilité de lancer à tout moment les masters –, le discours est contradictoire avec celui tenu par la DGESIP. Lors du colloque de la CTI, Jean-Marc Jolion précisait, par exemple, que la création de cursus ne serait plus faite via un appel à projets annuel mais dans le cadre de l'habilitation périodique de la CTI, soit désormais tous les cinq ans. "Or la force de ces formations est justement de pouvoir s'adapter à un besoin très précis et immédiat", relève Christian Lerminiaux, qui affirme être prêt à se battre pour que "discours politique et position administrative se rejoignent".

S'il s'avère impossible pour nous de créer un master international, nous nous orienterons vers un mastère spécialisé (Frédéric Meunier)

réunion attendue entre le cabinet et la DGESIP

Du côté des écoles, on réfléchit déjà à d'autres solutions. "Depuis deux ans, des établissements indiens attendent de pied ferme notre master international pour nouer des partenariats, constate Frédéric Meunier. S'il s'avère impossible pour nous de créer un tel diplôme, nous nous orienterons vers un mastère spécialisé. Un cursus qui n'a cependant pas du tout la même aura auprès de notre public cible..."

Alors que les premiers décrets dédiés aux masters sont déjà parus, le cabinet du MESR devrait échanger avec la DGESIP sur le sujet au cours des prochaines semaines.

Masters internationaux : les points détaillés par Jean-Michel Jolion au colloque de la CTI
- Les écoles privées devront s’associer à un établissement public pour pouvoir proposer un master international, dans le cadre d’une politique de site. 
- La liberté du coût de ces formations, fixée par un décret de 2002, restera effective, à condition que les frais correspondent bien à un service fourni.
- La dérogation aujourd’hui en vigueur, permettant aux masters internationaux de ne pas proposer quatre semestres mais trois, reste effective. 
- La nomenclature des intitulés, fixée par décret début février 2014, s’applique aux masters internationaux.
- La création des masters internationaux s’inscrira dans le cadre des habilitations périodiques de la CTI. Des demandes hors vague resteront possibles.
- Dans le cadre de la politique de site, la cohérence de l’offre sera observée, pour éviter toute concurrence entre établissements.

Céline Authemayou | Publié le