Méditation : à l'école du management bienveillant

Cécile Peltier Publié le
Méditation : à l'école du management bienveillant
Le centre de développement personnel et managérial de GEM propose à l’ensemble de ses étudiants des ateliers de "pleine conscience". // ©  GEM
Courantes dans les universités anglo-saxonnes, ces pratiques gagnent la France et en particulier les écoles de commerce, qui placent le développement personnel au cœur de leur formation. Meilleure concentration, écoute, bienveillance... les bénéfices attendus doivent aider l'étudiant à court terme mais également dans sa future vie professionnelle.

Des étudiants assis bien droit sur leur chaise, les yeux mi-clos, les bras le long du corps, concentrés sur leur respiration, en pleine méditation… Vous n'êtes ni dans un monastère ni dans un ashram, mais à Angers, dans un cours de macroéconomie de master 1 du programme grande école de l’Essca, une école de management postbac.

Lassé de voir ses étudiants déconcentrés par les alertes de leur smartphone ou par l’arrivée, sur leur écran d'ordinateur, d’une nouvelle notification Facebook, Stéphane Justeau, professeur d'économie et directeur de l'Institut de pédagogie avancée, a eu l’idée de proposer à ses élèves de master 1, de septembre à décembre 2017, des exercices de "pleine conscience" ("mindfulness" en anglais). Une pratique méditative laïque héritée du bouddhisme qui aide à accueillir la réalité dans ce qu’elle a d’agréable et de désagréable, et dont les vertus sont reconnues scientifiquement.

"À la fin des années 1970, Jon Kabat-Zinn, médecin et professeur à l’université du Massachusetts, a montré l’impact de la méditation de pleine conscience telle qu'il la pratiquait sur les processus mentaux, l’attention, la régulation des émotions. Aujourd’hui, pas moins de 450 articles ont été publiés sur ce sujet", détaille Stéphane Justeau.

Harvard, Stanford, MIT, université de Warwick… De nombreuses universités anglo-saxonnes ont intégré la pleine conscience ou des techniques de méditation à leurs enseignements. En France, la pratique est émergente. Les facultés et les établissements de formation de santé commencent aussi à proposer des ateliers à leurs étudiants et leurs personnels. Les écoles de management, à l’affût des innovations pédagogiques et qui font du développement personnel partie intégrante de la formation du futur manager, se lancent aussi.

Muscler son attention

Pour autant, la méditation conserve une image un peu ésotérique, et pour éviter de braquer les étudiants, le professeur de l'Essca a d’abord placé l’exercice – appelé pudiquement "entraînement attentionnel" – en fin de cours, de manière à permettre à ceux qui le souhaitent de quitter la salle. Surprise : "Non seulement, les élèves sont restés mais, lors de la troisième séance, ils ont demandé à faire l’exercice en début de cours", s'amuse-t-il.

Au programme : sept à huit minutes d'exercices de respiration, utilisés en "pleine conscience". "La respiration peut être rapide, lente, profonde, superficielle… On va se contenter de constater son existence, et observer l'impact qu’elle a sur nous, la valeur de cet air qui ressort de nos narines, gonfle notre thorax, et c’est tout… Quand une pensée va émerger, on va l'accueillir avec ce qu'elle a d'agréable ou de moins agréable et la laisser passer comme une coquille de noix sur un cours d'eau pour revenir à notre respiration…", explique-t-il.

Un petit travail tout simple en apparence qui, à raison d’une pratique régulière, contribue à "muscler" "l’attention décisionnelle" des élèves et, en cas de distraction, permet de revenir rapidement à son objet premier, en l’occurrence le cours.

Réalisée à titre purement expérimental, cette première tentative a été jugée "extrêmement satisfaisante" : "En début de séance, elle a l'énorme mérite de poser les étudiants, de les mettre dans le contexte de l'enseignement qu’on va leur dispenser et de les rendre plus attentifs", assure l’enseignant, qui rêve de faire des émules.

S'offrir une vraie pause et se reconnecter avec son corps

À Kedge BS, la méditation, pratiquée ici selon l’école du Centre Art de Vivre, est presque de l’histoire ancienne. Elle a fait son entrée à l’école en 2014 à l’occasion de la "quinzaine du bien-être". "Nous avions le programme 'wellness', dédié à l'accompagnement des étudiants en difficulté, et nous nous sommes dit que c’était bien d’avoir un volet prévention axé sur quelque chose de plus positif", relate la responsable du programme, Alexandra Montaleytang.

Depuis, les étudiants se pressent chaque année, en novembre, à l’atelier de respiration et de méditation d'une dizaine d'heures, dispensé par Amanda Schmitt, la responsable du Centre Art de Vivre. Depuis quelques mois, une nouvelle séance, tous les jeudis midi sur le campus marseillais, rencontre un certain succès auprès des étudiants et des personnels. "On leur offre une vraie pause et l’occasion de reprendre contact avec leur corps et avec l'instant présent, à une époque où l’on est submergé d’informations", analyse l’intervenante. "Cela permet de prendre du recul avec ses émotions, et la vie en général, témoigne Léa, étudiante de master 2, devenue adepte. La colère, par exemple, passe plus vite…"

GEM est l'une des seules écoles à proposer un enseignement autour de la pratique de pleine-conscience. Ici des étudiants expriment leur ressenti, à travers l'expression corporelle.
GEM est l'une des seules écoles à proposer un enseignement autour de la pratique de pleine-conscience. Ici des étudiants expriment leur ressenti, à travers l'expression corporelle. © GEM

Former des managers à l'écoute de soi

Une préparation très utile pour aider les étudiants à prendre du champ et faire des choix éclairés dans la construction de leur projet professionnel et personnel. Pour les établissements, c'est aussi un moyen de mélanger les étudiants, de développer une plus grande bienveillance aussi à l'école. Mais surtout de les préparer à leur futur métier de manager.

"Un des principaux maux de l’entreprise est lié au fait que les collaborateurs ont du mal à entendre les signaux envoyés par leur corps. Bien souvent, iIs ne sont pas capables de faire la différence entre émotions, pensées, sensations, observe Christelle Tornikoski, professeure de management à GEM. En cela, la mindfulness peut les aider à prendre du recul par rapport à ce qu'ils vivent."

L'ESC grenobloise a été l'une des premières écoles à intégrer la pleine conscience à sa réflexion il y a vingt ans, sous l'impulsion de Dominique Steiler.

Et la seule sans doute à proposer aujourd'hui aux élèves du programme grande école dans le cadre de la chaire "Mindfulness, bien-être au travail et paix économique", née en 2012, une spécialisation de 27 heures alliant des connaissances du domaine de la santé et du monde de l’entreprise et la pratique de la pleine conscience et de l’intelligence collective. Nom de code : "La force du manager de demain : réflexivité et cœur à l’œuvre."

Ni tables ni chaises, même à roulettes, pas plus que de portables et d'ordinateurs. Les étudiants, armés d’un crayon et d’un bloc, sont assis en cercle à même le sol aux côtés de Christelle Tornikoski et de Sébastien Didelot, kinésithérapeute de formation, avec qui elle dispense le cours à "90 % expérientiel".

... et des autres

Au programme : une heure trente centrée sur le "rapport à soi" à travers une pratique de pleine conscience suivie d’un approfondissement philosophique ou scientifique, puis une heure trente au cours de laquelle les participants sont invités à "entrer en dialogue". Parmi les exercices proposés : la présentation à tour de rôle de son œuvre préférée, le tout encadré par des règles très précises afin d'éviter que celui qui parle ne soit interrompu.

Chacun exprime ensuite ce qu’il a ressenti. "Un étudiant international, les larmes aux yeux, nous a dit qu’il avait le sentiment d’avoir été écouté pour la première fois", se souvient Christelle Tornikoski avec émotion. Des situations d'écoute et de partage précieuses.

"L’idée est de faire comprendre [aux étudiants] que dans le monde du travail, l’essentiel, ce n’est pas seulement la tâche à accomplir, mais aussi le fait d’être capable d’y associer l’écoute de soi, de l’autre, le ressenti du contexte, afin de construire une relation de qualité avec l’autre, qu’il s’agisse d’un collègue, d’un sous-traitant, d’un client", conclut l'enseignante-chercheuse. Mais aussi de faire preuve de tolérance et de bienveillance. Ou, au moins, de philosophie.

Cécile Peltier | Publié le