Un nouvel élargissement du vivier de recrutement des recteurs en vue 

Laura Taillandier Publié le
Un nouvel élargissement du vivier de recrutement des recteurs en vue 
Ce nouveau projet de décret sur le recrutement des recteurs sera examiné en Conseil supérieur de l'éducation le 20 septembre 2018. // ©  ©Nicolas TAVERNIER/REA
Recherche recteurs désespérément ? Un nouveau projet de décret propose d'élargir encore davantage le vivier de recrutement de ces hauts fonctionnaires. Désormais, 40 % d'entre eux n'auraient plus l'obligation d'être titulaire d'une HDR (habilitation à diriger des recherches), ni de justifier d'expérience dans l'éducation.

Recrutement des recteurs, round 2. Un nouveau projet de décret élargit le vivier de recrutement des recteurs. Présenté demain jeudi 20 septembre 2018 en CSE (Conseil supérieur de l'éducation), ce texte dont EducPros a eu copie, porte de 20 % à 40 % le pourcentage de l’effectif des emplois de recteurs pouvant être occupés par des personnes non titulaires d'une HDR (habilitation à diriger des recherches).

Une commission pour évaluer les candidatures

Cet examen intervient six mois après le vote d'un précédent projet de décret, jamais publié. "Le Conseil des ministres a été consulté le 11 avril 2018 et le précédent texte, qui portait le pourcentage à 30 %, a été retoqué car jugé insuffisant", décrypte Bernard Toulemonde, ancien recteur et inspecteur général honoraire de l'Éducation nationale.

Voilà donc un nouveau texte sur la table du CSE. Comme le précédent, il supprime la nécessité pour le recteur de justifier d'une expérience professionnelle de dix ans au moins dans les domaines de l'éducation, de l'enseignement, de la formation ou de la recherche.

Une nouveauté, cependant : les recteurs nommés dans ce cadre n'auraient pas besoin non plus d'avoir exercé les fonctions de secrétaire général de ministère ou de directeur d'administration centrale pendant au moins trois ans. C'est une commission qui sera chargée de donner son avis – qui ne sera pas rendu public – sur l’aptitude des intéressés à exercer cette fonction, après les avoir auditionnés.

Pour les ministères de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, ce texte est ainsi l'occasion de revoir le champ d’intervention de cette commission, "devenu, au fil du temps, illisible". Présidée par l'ancien recteur de Paris François Weil, celle-ci examinait jusqu'alors uniquement les candidatures des postulants non titulaires d'un doctorat.

"Un candidat ayant un parcours d'excellence sur des fonctions administratives à très haut niveau de responsabilité devait passer devant la commission alors qu’un titulaire d'un doctorat n’ayant exercé aucune responsabilité particulière, n'y était pas soumis", détaille-t-on Rue de Grenelle, tout en concédant qu'il s'agit là, "d'un sujet sensible", suscitant certaines crispations dans le lanterneau éducatif.

"La fin du recteur, professeur des universités"

Ce projet de décret répond-il à la difficulté de trouver des volontaires ? "Ce mouvement s'inscrit un processus engagé depuis plusieurs années, qui suit la volonté présidentielle de décloisonner le vivier des dirigeants de l'État, de croiser les cultures", souligne-t-on Rue de Grenelle. Il s'agit également de répondre à l'"enjeu de féminisation" de la fonction de recteur.

Pour Bernard Toulemonde, ce texte marque symboliquement "la fin d'une espèce en voie de disparition", "celle des recteurs, professeurs des universités". "Le rôle des présidents d'université a tellement évolué que certains ne voient plus grand intérêt à devenir recteur. Celui-ci a de moins en moins de relations avec les universités. Il devient de fait l'homme de l'enseignement scolaire, et est de plus en plus absorbé par des tâches administratives", souligne l'ancien recteur.

Une analyse "infondée", pour le ministère de l'Éducation nationale : "Au moins 60 % des recteurs seront toujours choisis parmi les détenteurs d'une HDR et, d’autre part, le recteur, chancelier des universités, a plus que jamais un rôle à jouer dans l'enseignement supérieur, que ce soit sur des sujets comme Parcoursup, l'accès en master ou bien encore la politique de site."

Pourquoi ne pas attendre de définir le profil des nouveaux recteurs des académies fusionnées et celui de leur futur adjoint en charge de l'enseignement supérieur avant de modifier les conditions de recrutement ?
(A. Torchet)

Un projet de décret en lien avec la réforme territoriale ?

Alors qu'une réorganisation de grande ampleur de l'organisation académique est en cours, les syndicats s'interrogent sur l’opportunité de cet élargissement. "Pourquoi ne pas attendre de définir le profil des nouveaux recteurs des académies fusionnées et celui de leur futur adjoint en charge de l'enseignement supérieur, qui auront rang de recteur, avant de modifier les conditions de recrutement ? Pourquoi procéder à cet élargissement maintenant et dans de telles proportions ?" demande Alexis Torchet, secrétaire national du Sgen-CFDT.

"Nous sommes dans une période importante de réformes, et la transformation du profil de recteur pose question. Qui recherche-t-on ?" abonde Frédéric Marchand, le secrétaire général d'Unsa Éducation. Et d'ajouter : "40 %, ça commence à faire beaucoup... La nomination de certains recteurs non détenteurs du doctorat crée déjà certaines tensions du côté de l'enseignement supérieur. Ça va devenir compliqué..."

Et Bernard Toulemonde de soulever un dernier lièvre : "Les recteurs conserveront-ils leur spécificité de ne pas être rattachés à l'autorité du préfet comme les autres directeurs régionaux des administrations de l'Etat ?" La fin d'une exception qui n'est pas du tout à l'ordre du jour, assure le ministère de l'Éducation nationale.

Laura Taillandier | Publié le