Parcoursup : des universités réfractaires au "oui, si" selon l'Inspection générale

Natacha Lefauconnier Publié le
Parcoursup : des universités réfractaires au "oui, si" selon l'Inspection générale
Selon Cécile Lecomte, président de la Courroie, "l’intérêt du 'oui si' est de cibler la population identifiée comme ayant besoin d’un tutorat". // ©  Frédéric Maigrot / REA
Certaines communautés universitaires seraient réfractaires au "oui si", selon une note confidentielle présentée aux recteurs le 6 mars 2018 et révélée par "Le Monde". En cause : le manque de moyens, des délais trop courts pour déployer les dispositifs de remédiation, ainsi qu'une "prudence" face à une possible "interprétation sélective de la réforme". Cécile Lecomte, présidente de la Courroie, tempère ces critiques.

Le 6 mars 2018, soit deux jours avant la promulgation de la loi ORE (relative à l'orientation et la réussite des étudiants), les inspecteurs généraux présentaient une note confidentielle aux recteurs d’académie. Ce document, que s’est procuré "Le Monde", pointe que "dans beaucoup d’établissements visités, les procédures d’examen des candidatures sont loin d’être formalisées" et que "certains établissements ou communautés universitaires affichent une opposition ou une réserve à l’idée d’examiner et de classer des candidatures".

Une formule qui ne séduit pas

Dans le viseur notamment, la réponse "oui, si" qui pourra être opposée aux candidats dont le profil ne correspond pas aux attendus de la licence demandée. L’IGAENR (Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche) rapporte "le peu d’intérêt qu’ils portent" à ce dispositif. Plusieurs raisons sont évoquées, dont "l’insuffisance de financement de la réforme et délais de mise en œuvre".

En effet, soumises à un calendrier contraint et à un manque de visibilité sur les moyens, beaucoup d'universités ne proposeront de "oui, si" que pour certaines de leurs formations, à Paris 13 ou à l'université de Bretagne occidentale. Voire aucune, comme à Poitiers, où le président, Yves Jean, affiche une position ferme : pas de parcours adaptés tant que des moyens suffisants ne seront pas alloués.

La rentrée 2018, un "galop d’essai"

Pour Cécile Lecomte, présidente de la Courroie (Conférence universitaire en réseau des responsables de l'orientation et de l'insertion professionnelle des étudiants), plusieurs types d’approches sont possibles : "Les établissements qui ont une antériorité sur ce type de dispositifs, comme une L1 en deux ans, réinvestiront cette expérience. D’autres font le choix de rendre obligatoires des tutorats qui existaient déjà sous forme de volontariat."

Si les formules de tutorat se sont développées depuis la mise en place du plan Réussite en licence, ils attirent souvent les étudiants qui ont besoin de se rassurer. "L’intérêt du 'oui si' est de cibler la population identifiée comme ayant besoin d’un tutorat", souligne Cécile Lecomte. "Encore faut-il avoir les moyens et le temps de le faire", tempère-t-elle, avant de rappeler que cette année sera un "galop d’essai", avant une généralisation à la rentrée 2019.

Autre raison de s’opposer au "oui si", selon l’enquête de l’inspection générale, "l’absence de véritable tension sur les filières". Les universités pourraient alors, en toute logique, répondre par "oui" à toutes les demandes, comme c’était le cas avec APB. "Ce n’est pas parce qu’une licence n’est pas sous tension qu’elle ne compte pas d’étudiants en difficulté, met en garde Cécile Lecomte. Le ‘oui si’ est une vraie opportunité pour améliorer la réussite en licence, en rendant obligatoire les dispositifs d’aide. Cela permet de conserver l’hétérogénéité du public."

Le "oui, si" pour changer l'image des filières non sélectives

La chargée de mission Réussite étudiante de l’université de Rennes 1 voit dans la loi ORE une possible évolution de l’image des filières non sélectives, qui sont aussi des filières exigeantes. "Il faut avoir des compétences au départ pour y réussir. Si le candidat ne les a pas, il pourra les acquérir. Le 'oui si' est un moyen de l’informer de ses lacunes – ce qui n'était pas possible jusque-là. Il faut le voir comme une chance à saisir. À Rennes 1, on a toujours accepté tous les candidats, et ce n’est pas cette année que cela changera."

Quid des universités en tension ? L’IGAENR mentionne du côté de certaines universités de la "prudence ou attentisme des équipes de direction" dans un contexte d’"interprétation sélective de la réforme", rapporte "Le Monde". "Classer les dossiers et choisir ceux qui ont le profil de plus adapté pour réussir est plus juste que le tirage au sort, pointe Cécile Lecomte. Mais même dans ce cas, les établissements pourront interclasser des 'oui' et des 'oui, si'. Notre intérêt n’est pas de former des étudiants ayant tous le même profil, ce serait alors difficile de tous les insérer sur le marché du travail. Leur parcours de vie et leur personnalité doivent aussi faire la différence."

Les attendus, dans le viseur de l’Inspection

Autre point de vigilance : les attendus. Si le plus souvent les attendus locaux reprennent les attendus nationaux sous une autre forme, "quelques-uns les durcissent, font référence à des filières du baccalauréat ou se confondent avec les éléments d’appréciation des dossiers", notent les inspecteurs généraux.

Parcoursup, qui se voulait moins injuste que APB, n’introduit-il pas là des traitements différents des candidats d’une université à l’autre ? "Toutes les universités suivent la charte de la plate-forme, rassure Cécile Lecomte. Si l’on indique qu’un bac S est recommandé pour une licence de mathématiques, cela ne veut pas dire que les autres candidats ne seront pas pris. On informe sur la continuité existant entre le contenu du lycée et la licence."

"Même s’il y a une grande diversité autour du 'oui, si' et que cette année expérimentale de Parcoursup est compliquée pour les jeunes, il faut faire confiance au professionnalisme des universitaires", conclut la présidente de la Courroie.

Natacha Lefauconnier | Publié le