Paye ta fac, lumière crue sur le sexisme ordinaire à l'université

Mathilde Saliou - Mis à jour le
Paye ta fac, lumière crue sur le sexisme ordinaire à l'université
Pour lutter contre le sexisme et le harcèlement, des établissements proposent, en plus des campagnes de communication, un accompagnement de leurs étudiants. // ©  Marta Nascimento - REA
Créé par des étudiants de l'université d'Avignon, le blog Paye ta fac dénonce le sexisme sévissant dans l'enseignement supérieur. Pour lutter contre ces dérives et promouvoir l'égalité femmes-hommes, les établissements se mobilisent, sensibilisent leur public et accompagnent les victimes.

"Vous, les filles, ce n'est pas la peine de lever la main, je ne répondrai pas à vos questions. Je considère que, de toute façon, vous n'avez rien à faire là." Selon l'une des contributions au blog Paye ta fac, voilà ce qu'un enseignant-chercheur en école d'ingénieurs déclare à ses deux étudiantes lors d'un cours de génie mécanique et productique. Ailleurs, c'est un chargé de TD qui propose un rendez-vous à son étudiante en précisant : "Pensez bien que je serai votre prof l'an prochain avant de refuser l'invitation." Difficile de tracer la ligne entre les réflexions qui minimisent les capacités intellectuelles des femmes et celles qui répondent déjà à la définition du harcèlement sexuel, entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.

Le blog est le résultat du travail de six étudiantes et d'un étudiant de l'université d'Avignon. Dans le cadre d'un cours dispensé par Marianne Alex, intervenante sur les questions d'égalité femmes-hommes, ils ont monté plusieurs projets visant à montrer les différentes facettes du sexisme dans la société. "Même si l'on voit les études supérieures comme un moment où l'on réfléchit, où ce genre de question devrait disparaître, le sexisme est bien présent sur les bancs de l'université", explique l'une des initiatrices de Paye ta fac.

"Nommer le harcèlement pour le combattre"

Élise Brunel, chargée de mission égalité des sexes et étude de genre au ministère de l'Éducation nationale, n'est quant à elle pas vraiment étonnée par la teneur de ces contributions. En réalité, mettre le sujet en lumière est ce qui lui paraît le plus neuf.

"C'est notamment sous la pression d'associations comme Clasches, le Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur, puis avec la création du ministère des Droits de la femme et la publication de la première circulaire contre le harcèlement sexuel, en 2012, que la question du harcèlement sexuel a commencé à être abordée dans les universités, explique-t-elle. Avant, on ne parlait que de gauloiseries, de blagues. Étudiants comme personnels pouvaient expliquer que c'était de l'humour. Notre premier combat est de nommer le harcèlement, car c'est seulement de cette façon que l'on parviendra à faire prendre conscience du problème."

À la suite de la circulaire de 2012, plusieurs initiatives ont vu le jour. Parmi elles, la création d'un vade-mecum à l'usage des établissements, élaboré en 2015 par l'Anef (Association nationale des études féministes), la CPED (Conférence permanente des chargé-e-s de mission égalité, diversité, ou mission assimilée, des établissements d'enseignement supérieur et de recherche) et Clasches, avec le soutien du ministère de l'Éducation nationale.

Le 20 décembre 2016, avant l'emballement médiatique autour de Paye ta fac, Najat Vallaud-Belkacem, Thierry Mandon et les présidents de la CPU, de la CGE et de la Cdefi envoyaient une lettre aux responsables d'établissement. Le message est clair : il faut adopter une politique de tolérance zéro.

Notre premier combat est de nommer le harcèlement, car c'est seulement de cette façon que l'on parviendra à faire prendre conscience du problème.
(É. Brunel) 

Un phénomène difficilement quantifiable

L'une des particularités du sexisme et du harcèlement sexuel à l'université, c'est l'environnement dans lequel ils se manifestent. "Aux rapports hiérarchiques s'ajoutent des rapports de pouvoir, liés au prestige et à l'autorité. La relation entre doctorants ou étudiants et directeurs de thèse, par exemple, est particulièrement complexe. Elle est faite à la fois d'estime, d'admiration, voire de séduction intellectuelle, ce qui peut encourager des comportements pouvant relever de la discrimination ou de l'agression sexuelle", expliquait Sylvie Cromer, chercheure à l'Ined (Institut national d’études démographiques), à EducPros en mai 2016.

À l'heure actuelle, il est extrêmement difficile de quantifier l'ampleur des dérives. La France est en retard sur les États-Unis, par exemple : il n'existe pour le moment aucune possibilité d'estimer précisément le nombre de personnes victimes de harcèlement sexuel. Rozenn Texier, présidente de la CPED, compte énormément sur l'enquête Virage de l'Ined, menée à l'échelle nationale en 2015, pour avancer sur la question : ce tableau des viols et agressions sexuelles en France contiendra un volet université. Celui-ci devrait paraître dans quelques mois. En attendant, une édition actualisée du vade-mecum de la lutte contre le harcèlement sexuel sera publiée le 8 mars 2017.

Des initiatives multiples

Le manque de chiffres n'a pas empêché les établissements d'enseignement supérieur de s'atteler au problème. "L'université Lille 3, par exemple, est précurseur en la matière. Elle a mis en place une cellule de veille et d'information sur le harcèlement sexuel, la CEVIHS, dès 2006", note Rozenn Texier.

À Aix-Marseille Université, une vaste campagne d'affichage a été lancée le 9 décembre 2016, pour sensibiliser les étudiants à la question. À disposition : un numéro de téléphone et un e-mail vers le dispositif d'écoute, qui peuvent aussi bien servir aux victimes qu'aux témoins, aux étudiants qu'aux personnels. Une personne victime de harcèlement sexuel y trouvera soutien psychologique et accompagnement pour d'éventuelles démarches pénales. "Nous avons 76.000 élèves, nous sommes répartis sur cinq campus. Il en va de notre responsabilité sociétale que de lutter contre les discriminations et contre toute forme de violence", affirme Marie Masclet, vice-présidente du conseil d'administration d'Aix-Marseille Université.

À Sciences Po, la cellule égalité femmes-hommes a choisi, quant à elle, de mettre en place un dispositif d'accompagnement unique, accessible à tous. Régine Serra, sa référente, explique : "Je suis informée de cas de tout niveau de gravité, de l'agression au viol, et ce entre tous types de personnes. Mais l'on sait pertinemment qu'il se passe beaucoup de choses pour lesquelles les victimes ne viennent jamais nous voir..." Pour faciliter le dialogue, Régine Serra travaille donc avec des référents femmes et hommes présents dans tous les campus. Elle a également lancé la campagne "Non c'est non !" contre le harcèlement, et répond aux associations étudiantes qui la sollicitent pour mieux les sensibiliser.

Je suis informée de cas de tout niveau de gravité, et ce, entre tous types de personnes. Mais l'on sait pertinemment qu'il se passe beaucoup de choses pour lesquelles les victimes ne viennent jamais nous voir...
(R. Serra)

Former et communiquer pour alerter

Pour lutter efficacement contre le harcèlement, "chaque établissement du supérieur doit mettre en place son propre dispositif", préconise Élise Brunel. Selon les établissements et les moyens, ce sont des professeurs ou des cellules spécialisées qui se chargent de communiquer sur l'égalité femmes-hommes. Quant à la prise en charge des personnes victimes de sexisme ou de harcèlement sexuel, elle peut être interne à l'université comme externalisée. La Comue USPC (Université Sorbonne Paris Cité), par exemple, fournit l'accompagnement médical, psychologique et juridique dont pourraient avoir besoin ses membres via un partenariat avec l'Institut en santé génésique.

"Le sujet est sensible, complexe à aborder. Il y donc un véritable besoin de formation", reconnaît par ailleurs Élise Brunel. LA CPED planche déjà sur la question, en partenariat avec l'Amue (Agence de mutualisation des universités et établissements) pour proposer des formations aux personnels. "À terme, ce serait intéressant de pouvoir en offrir également aux étudiants", plaide Rozenn Texier. À Sciences Po, Régine Serra se félicite : "Nous organisons des modules de sensibilisation auprès des responsables d'association, qui vont devenir obligatoires."

Autant de moyens qui viennent s'ajouter aux traditionnelles campagnes de communication pour faire prendre conscience de la réalité du sexisme et du harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur.

Nos blogueurs en parlent :
–  "Viol d'étudiantes : où en est la France" ?, par Isabelle Barth (septembre 2016) 

Mathilde Saliou | - Mis à jour le