Vers une timide révolution à Polytechnique

Céline Authemayou Publié le
Vers une timide révolution à Polytechnique
La préservation de l'X et le renforcement de son lien avec la Nation se traduiront par une subvention de 60 millions sur cinq ans et un lien renforcé avec son ministère de tutelle. // ©  Jérémy Barande - Ecole polytechnique
Jean-Yves Le Drian a dévoilé le 15 décembre 2015 les grandes orientations qu'il souhaite pour l'École polytechnique. Sans toucher à l'ADN de l'école, le ministre de la Défense prône la création d'un Bachelor et d'un internat d'excellence. Le devenir de l'X au sein de l'Université-Paris Saclay est, quant à lui, loin d'être clarifié.

Il n'y aura pas eu de scoop. Les annonces faites le 15 décembre 2015 par Jean-Yves Le Drian auront été fidèles aux informations qui filtraient depuis quelques semaines et dont EducPros dévoilait les détails le 30 novembre 2015.

Le ministre de la Défense a décidé de suivre les recommandations émises par les groupes de travail qui s'étaient constitués suite à la publication du rapport Attali, en juin 2015. "Un travail de réflexion très intense a été mené durant les derniers mois, a souligné le ministre. Les mesures que je souhaite voir mises en œuvre servent toutes la même cause : préserver l'excellence de l'X et renforcer son lien avec la Nation."

L’établissement a quelques semaines pour préparer son nouveau plan stratégique. Un plan, qui sera soumis à son conseil d’administration en mars 2016, pour une entrée en vigueur à la rentrée.

Une subvention supplémentaire de 60 millions d'euros

L'École polytechnique verra donc son lien avec la tutelle Défense renforcé. Développement de "wars studies" (cours de stratégie militaire), accueil d'élèves d'autres écoles militaires, maintien de la solde des élèves ingénieurs...

Cet attachement se traduit également de manière sonnante et trébuchante par une augmentation de la subvention allouée à l'école par l'État : l'X recevra, sur cinq ans, 60 millions d'euros supplémentaires pour couvrir les dépenses inhérentes à la mise en place du nouveau plan stratégique.

"Cet investissement de la tutelle a pour objectif de nous aider à développer nos ressources propres", rappelle Jacques Biot, président exécutif de l'X. Une annonce qui trouve un écho particulier, alors que la situation budgétaire des établissements d'enseignement supérieur reste complexe.

un bachelor à la rentrée 2018

En matière d'enseignement, le ministre a décidé de suivre les recommandations de Bernard Attali : un Bachelor sera donc créé à la rentrée 2018 "au plus tard". Ouverte aux bacheliers français et étrangers (60% des effectifs), la formation sera payante – de l'ordre de 10.000 euros – et recrutera, sur dossier et entretien, 150 élèves au niveau académique irréprochable.

"Le recrutement à bac + 2 n'est pas un standard national, constate Christophe Salomon, conseiller auprès de Jean-Yves Le Drian et artisan de la réforme. Avec ce diplôme de grade licence, nous comptons attirer les étudiants internationaux et retenir les meilleurs élèves français, qui partent de plus en plus à l'étranger, attirés par des établissements à la marque forte." Ces élèves pourront candidater au cycle polytechnicien, en se présentant au concours "voie universitaire". Le nombre de places offertes sera d'ailleurs revu à la hausse, passant de 15 à 50 d'ici à cinq ans.

Autre initiative retenue par le ministre, un internat d'excellence verra le jour en 2017, en partenariat avec des lycées du territoire de Saclay. Les élèves seront hébergés à l'X, bénéficieront des infrastructures de l'école et des élèves polytechniciens seront leurs tuteurs.

Quant à la recherche, l'école souhaite attirer des enseignants-chercheurs internationaux de haut niveau en leur offrant un portefeuille confortable pour développer leurs travaux. Un budget de 10 millions d'euros sera consacré à dix recrutements.

SOldes et Classement de sortie : Les indéboulonnables de l'X

Si le ministre incite l'école à franchir des caps importants en termes de formation, il refuse en revanche de toucher à l'ADN de l'école, malgré les recommandations de Bernard Attali. Sans grande surprise, la solde – liée au statut militaire de l'école – est donc maintenue, tout comme le classement de sortie. "La mesure prônée par le rapport Attali était un peu brutale, justifie Christophe Salomon. Nous ne voyons aucun intérêt à supprimer cette initiative qui crée l'émulation entre les élèves."

Les corps d'État – dont celui des Mines – ont été très clairs sur le sujet : pas question de toucher au classement. En revanche, le système va évoluer : l'évaluation d'un projet personnel viendra pondérer la note des élèves et donc leur classement. De plus, un entretien préalable sera mis en place avant de rejoindre un corps, "pour s'assurer que les diplômés ont une vision juste de ce qui les attend."

Université Paris-Saclay : le flou reste entier

Le rapport Attali avait fait crisser les dents de bon nombre d'écoles d'ingénieurs en proposant de créer une grande école polytechnique, rassemblant dix établissements scientifiques de haut niveau. Si les discussions des dernières semaines laissaient entrevoir la création d'une "alliance" entre ces structures au sein de l'UPS (Université Paris-Saclay), le ministère de la Défense parle aujourd'hui plus volontiers d'une association. Association dont les contours restent plus que jamais flous.

"Saclay est déjà une réalité et nous voulons tous son succès, précise-t-on du côté du ministère de la Défense. Mais le projet sera d'autant plus fort que les écoles d'ingénieurs seront attractives, reconnues au niveau mondial." Cette association s'inscrirait au sein de l'UPS. Elle pourrait prendre la forme d'une school of engineering – ce qui apparaît déjà dans le projet initial de Saclay – et permettrait notamment aux écoles de rationaliser leur offre de formation, d'échanger en termes de recherche et d'entrepreneuriat. "Les écoles ne se regroupent pas pour lutter contre l'UPS, martèle Christophe Salomon. L'Université Paris-Saclay sera forte si les écoles sont fortes."

L'Université Paris Saclay sera forte si les écoles sont fortes.
(C. Salomon)

Cette vision est appuyée fortement par Polytechnique et son puissant réseau d'anciens. "Nous tenons beaucoup à être dans Saclay car les choses vont s'y passer, assure Denis Ranque, président de la Fondation de l'X. Mais nous voulons préserver nos différences. Non par sentimentalisme, mais parce que nous pensons qu'elles contribuent à faire de la France un grand pays."

Emmanuel Macron, présent le 15 décembre à Polytechnique aux côtés de Thierry Mandon, ne dit pas autre chose : le ministre de l'Économie a appelé les écoles placées sous sa tutelle et concernées par le projet d'association (Télécom ParisTech, ENSAE ParisTech, CentraleSupélec) à lui rendre, le 15 mars 2016, un "schéma de pôle d'excellence".

Plus mesuré, le secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur a précisé, quant à lui, que la biodiversité du campus devait être maintenue. "L'évaluation de l'Idex [en 2016] sera un premier test de passage. Nous ne devons pas revenir en arrière sur ce qui a été déjà construit."

L'X dans Shanghai, une question en suspens
La question des classements internationaux, qui cristallisaient les tensions dans le dossier Saclay, n'a, pour l'heure, pas trouvé de réponse claire. "Les écoles qui ont d'excellents classements, à l'image de l'X, pourront continuer d'être classées seules", précise Christophe Salomon.

Quant à Shanghai, la réponse n'est pas très claire, mais l'X pourrait disparaître pour être englobée dans l'Université Paris-Saclay. Une solution qui ménagerait la susceptibilité de certains anciens de l'école, prônant pour cet entre-deux.

Les différentes parties prenantes ont encore du temps pour se mettre d'accord, l'UPS ne sera pas classée en tant que telle avant plusieurs années dans Shanghai.
Céline Authemayou | Publié le