Recrutement des enseignants : trois campagnes, trois budgets, trois styles

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Une campagne de recrutement de marque employeur, telle que peuvent conduire chaque année les entreprises qui font rêver les jeunes diplômés, s’élève à plusieurs millions d’euros. Et pour recruter des profs, quel est le prix à payer ? Décryptage de trois campagnes et de leurs budgets : à l’Éducation nationale, dans l’enseignement catholique et à la délégation diocésaine du Nord.

Au sommaire du dossier :

Une campagne de recrutement des profs, à quoi ça sert ?

Une campagne de recrutement des profs : est-ce que ça marche ?

2011, une campagne low-cost par rapport à celle de 2001

Comparée à la dernière campagne de recrutement des enseignants du ministère de l’Éducation nationale en 2001, celle de 2011 est modeste : des messages en presse et en radio, ramassés sur trois semaines, et couplés à l’achat de bannières sur Internet et à la création d’un site . Le tout pour 1,35 million d’euros hors taxe et 17.000 recrutements à pourvoir. Benoît de Laurens, le vice-président de Lowe Stratéus, l’agence qui a conçu la campagne, prend sa calculatrice et relativise : « 1,35 million d’euros hors taxe pour 17.000 recrutements, cela ne fait que 76 € par poste et 0,02 centime d’euro par Français. »

En 2001, Jack Lang annonçait 165.000 recrutements de personnel enseignant sur cinq ans (soit 33.000 par an). Le slogan de la campagne, qui comprenait notamment trois spots télévisuels, diffusés en mai et septembre, était : « Professeur. Et si l’avenir, c’était vous ? » Dominique Chevallier, directeur de création de Publicis Étoile, qui avait remporté l’appel d’offres, précisait à l’époque dans Libération : « Il était urgent de reparler du plaisir d’être professeur, on l’oublie avec les récits de galères, d’agressions. Nous avons traduit ce plaisir autour des victoires minuscules qu’un enseignant remporte chaque jour quand un élève comprend quelque chose. Dans ces petits riens se niche la noblesse du métier. »

En 2011, le ministère a préféré communiquer bien en amont du métier, à l’heure du choix d’une carrière. Le slogan est volontairement informatif : « L’Éducation nationale recrute 17.000 personnes en 2011 ». Et ce sont deux visuels qui donnent le ton de la campagne : « Nous avons travaillé sur les leviers de motivation pour devenir enseignant en écartant les plus communs – tels que la sécurité de l’emploi, ou faire comme mon père –, pour retenir : le rêve et l’ambition, explique Benoît de Laurens. Ce sont les codes des entreprises qui communiquent sur leur marque employeur. Nous évoquons ensuite le besoin de partager et d’échanger, puis l’enrichissement personnel. Les deux visuels montrent des jeunes qui se posent des questions sur leur avenir. Ils sont chez eux parce que c’est une réflexion très personnelle. C’est un moment de concentration où l’on est seul à décider, comme dans la vie. Les convictions se forgent dans des moments où l’on se projette, où l’on réfléchit. »

Enseignement catholique : une campagne ciblée

Les postes à pourvoir dans l’enseignement catholique sont bien moins nombreux que dans le public (15.000 dans les prochaines années). Le budget dédié à la communication l’est tout autant : autour de 45.000 € par an. Pour ce tarif, Gilles du Retail, directeur du service information au secrétariat général de l’Enseignement catholique, orchestre seul la campagne. Sans avoir recours à une agence. Le message sur les dépliants est sobre et tout aussi informatif que celui du ministère : « L’enseignement catholique recrute… ». S’ajoute un slogan (dans la veine de celui de la campagne Lang) : « Prof ! Un métier d’avenir ».

« Ma réflexion a surtout porté sur  l’expression “enseignement catholique “, explique Gilles du Retail. Je me suis demandé s’il fallait plutôt écrire enseignement privé ou enseignement sous contrat. J’ai opté pour “catholique“ en me disant que ce n’était peut-être pas vendeur, mais qu’il n’y avait pas non plus de réticence. » Ce message est inscrit sur un dépliant en trois volets, distribué à des étudiants sur les campus, en ciblant les UFR de lettres, de sciences et de langues. « Cette méthode nous permet d’avoir un très bon retour sur les interrogations des jeunes », souligne-t-il. « Et ce sont toujours les mêmes questions, soupire-t-il. Faut-il être catholique pour enseigner dans le privé ? Les salaires sont-ils identiques à ceux des profs du public ? Est-on obligé de donner des cours de catéchèse ? » Les réponses se trouvent sur le site Internet (créé il y a trois ans et relooké cette année).

La campagne comprend également l’envoi d’un mailing à quelque 100.000 étudiants en troisième année de licence. « Ce mailing fonctionne très bien : nous recevons énormément de connexions sur le site dans les vingt-quatre heures qui suivent l’envoi », se félicite Gilles du Retail. Son problème aujourd’hui ? Des moyens humains et financiers qui restent limités pour être présents sur Twitter et Facebook, notamment. « Nous avons conscience que les sites Web sont des outils de référence pour trouver une information, et qu’il faut passer par les réseaux si l’on veut interpeller les jeunes. »

Diocèse de Lille : petits moyens et provocation

Au diocèse de Lille, Dieudonné Davion, directeur régional de l’Enseignement catholique, a également pris conscience de la nécessité d’aller chercher les jeunes là où ils sont. « Mais j’en avais un peu assez d’attendre que les choses bougent sur le plan national, alors j’ai secoué le cocotier », explique-t-il. Il a mis en concurrence trois agences de communication et choisi la plus audacieuse, l’agence Quel progrès. « C’est la première fois que l’on faisait appel à des professionnels. Leur idée de prendre à contre-pied le métier pour le valoriser nous a séduit d’emblée. » Le résultat ? Un slogan à contre-courant : « Être prof quand même ». Et un discours volontairement provocateur imprimé sur des tee-shirts : « Ça paye pas, ça peut être dangereux, on dit que tu fous rien, une voie de garage, un métier de gréviste, ça craint en société, toujours en vacances, une bonne planque, y a plus de postes, c’est quand tu sais pas quoi faire… » Et tout ça, pour le plus petit budget des trois campagnes : environ 15.000 € !

Les tee-shirts ont été photographiés sur des cartes postales distribuées à la sortie des établissements et dans toute la ville. Un site Internet a vu le jour . Mais, surtout, l’enseignement catholique du Nord est désormais présent sur Twitter, Facebook, YouTube... Enfin, pour savoir qu’il s’agit de l’enseignement catholique, il faut se rendre sur le Web, car la référence est absente  des visuels de la campagne. « Nous ne voulions pas que cette référence empêche les jeunes d’aller sur Internet. Mais, dès qu’ils arrivent sur notre site, tout est très clairement indiqué dès la première page. »

Quel impact pour ces campagnes ?

Difficile d’évaluer les retombées de ces différentes campagnes, d’autant que les unes profitent aux autres. Les moyens diffèrent, mais l’ambition est identique : recruter des profs. Gilles du Retail, pour sa part, reste lucide : « Aucune campagne n’a pour finalité de déclencher une inscription immédiate aux concours de l’enseignement. Parce qu’une campagne ne gomme pas les freins, qui sont toujours les mêmes : des salaires pas assez attractifs pour cinq années d’études, la crainte de partir travailler loin de sa région (même l’enseignement catholique ne garantit plus aujourd’hui la stabilité géographique !) et, surtout, un message totalement brouillé sur ce que signifie enseigner. Résultat : les jeunes restent attirés par le premier degré, qui correspond, à leurs yeux, à une mission d’éducateur, mais sont terrifiés à l’idée de se retrouver devant des élèves de collèges et lycées. » D’ailleurs, aucune des campagnes n’affiche des enseignants devant des élèves, comme celle de Lang il y a dix ans !

Malgré tout, Gilles du Retail persiste à croire à la régularité d’une communication envers les jeunes, « parce que toutes les enquêtes montrent que le métier n’est pas dévalorisé. Il reste attractif en tant que tel », insiste-t-il. Chaque année, la campagne de l’enseignement catholique monte donc en puissance. Il faudrait malgré tout la compléter, selon lui, par une présentation, entre autres, du métier d’enseignant lors des journées métiers dans les lycées. « C’est quand même, paradoxalement, la seule profession dont il n’est jamais fait la promotion dans les établissements scolaires ! » lance-t-il. L’idée serait de permettre aux enseignants de parler de leur vocation et de leur quotidien, mais aussi de l’envers du métier : la préparation des cours et la correction des copies. La réflexion devrait ensuite se poursuivre lors des premières années de licence, via un compagnonnage avec des enseignants en poste, qui recevraient des étudiants dans leur classe.

« C’est sur le très long terme qu’il faut communiquer, persiste Dieudonné Davion. Notre campagne n’a pas pour but de sensibiliser des jeunes qui voudraient passer le concours aujourd’hui, mais bien de toucher des lycéens, au moment où ils réfléchissent à leur avenir professionnel. Et de mettre un coup de projecteur sur l’enseignement catholique et le métier de professeur, auquel on croit. » Alors, rendez-vous dans dix ans ?

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