Renoncer à l'université, une idée en vogue aux États-Unis

Jessica Gourdon Publié le
Renoncer à l'université, une idée en vogue aux États-Unis
MIT (Massachusetts Institute of Technology) // © Emmanuel Vaillant // © 
Face à des frais d'inscription toujours plus élevés et une insertion professionnelle incertaine, de plus en plus d’Américains renoncent aux études supérieures et se tournent vers des solutions alternatives : MOOC, autoformation, stages...

Ils s’appellent James, Laura ou Kevin, sont âgés de 18 à 20 ans, et ont été sélectionnés parmi des centaines de postulants. Le 9 mai 2013, les 20 lauréats de la bourse Peter Thiel ont reçu chacun 100.000 $ pour inventer un jeu vidéo, monter une association humanitaire ou créer une start-up dans le domaine des biotechnologies. La seule condition ? Renoncer aux études supérieures. Même si cela, comme pour Zach, signifie quitter Harvard.

Peter Thiel, riche entrepreneur américain, fondateur de PayPal et diplômé de Stanford, a lancé cet étonnant concept de bourses en 2011. “Certaines idées ne peuvent pas attendre” affirme le slogan de sa fondation, qui pointe du doigt le surendettement des étudiants, le faible retour sur investissement des études supérieures, ou encore le formatage des esprits opéré par les universités.

À l’instar de Peter Thiel, de nombreuses voix s’élèvent aux États-Unis pour mettre en cause l’inéluctabilité des études supérieures. Principal détonateur de ce mouvement d’opinion ? L’augmentation constante des droits d’inscription. Les jeunes américains doivent désormais débourser entre 7.000 et 40.000 $ par année d’étude. Des montants qui, ajustés à l’inflation, ont triplé en 30 ans, selon l’institut College Board. Conséquence : les deux-tiers des jeunes diplômés terminent leurs cursus endettés, avec une dette moyenne de 26.000 $, selon l’association Project on Student Debt.

Le credo de l’autoformation

Dans le même temps, le marché du travail reste tendu pour les nouveaux diplômés. De plus, un récent rapport (1) a montré que 37 % des diplômés du supérieur occupent un emploi qui ne nécessiterait qu’un diplôme du secondaire. Ajoutez à cela des livres, comme celui du sociologue Richard Arum (voir interview ci-dessous), qui questionnent les acquis des études universitaires. Les détracteurs de la fac ne manquent pas non plus de rappeler que les entrepreneurs les plus brillants, comme Mark Zuckerberg, Bill Gates, Steve Jobs, ou le créateur de Tumblr, David Karp, n’ont pas fait d’études ou les ont abandonnées en cours de route.

Pour autant, il ne s’agit pas de renoncer à se former. Anya Kamenetz, une des figures de ce mouvement, décrit dans son livre “Do it Yourself Education” les moyens de créer son propre cursus quasi gratuitement, via des MOOC, des stages, la participation à des ateliers, des conférences, ou encore, des formations sur des thèmes précis.

“L’université, c’est bien pour devenir médecin, avocat, professeur… Mais en dehors de cela, je pense qu’il faut réfléchir à deux fois avant de s’endetter à ce point”, abonde Dale Stephens, 21 ans, auteur du livre “Hacking your education”. Ce lauréat 2011 de la bourse Peter Thiel a quitté l’université au bout d’un semestre. Depuis, il intervient régulièrement dans les médias, des conférences TED, et organise des séminaires pour réfléchir à des modes d’éducation alternatifs.

Parmi eux, Enstitute, une toute nouvelle “école” new-yorkaise, qui propose un cursus quasi gratuit. L’étudiant est en stage (rémunéré) dans une start-up tout au long de l’année, et assiste en plus à des séminaires on-line. Weezie Yancey, 21 ans, a quitté au bout d’un an et demi son université californienne, avec une dette de 30.000 $. Elle fait partie de la première promotion. “Je ne regrette pas mon choix. Je travaille 40 heures par semaine, mais je me sens vraiment plus libre, j’ai arrêté de m’endetter, et j’apprends beaucoup plus.”

(1) “Why are recent college graduates underemployed ?” du Center for college affordability and productivity, 2013.

Richard Arum // ©DRRichard Arum (sociologue) : “Les universités vont devoir inventer de nouveaux modèles.”

Richard Arum est sociologue à New York University, spécialiste de l’enseignement supérieur. Dans son livre “Academically adrift”(1), écrit avec Josipa Roksa, il démontre que les apports des études universitaires sont parfois limités.

Cela vaut-il encore la peine, pour de jeunes américains, de s’endetter pendant 20 ans pour obtenir une licence ?

Toutes les études montrent que les perspectives de carrière sont bien meilleures après un diplôme universitaire qu’avec un diplôme de fin de lycée. Le problème, c’est que l’écart a eu tendance à se réduire ces dernières années, tandis que les frais de scolarité ont beaucoup augmenté. C’est cette combinaison qui entraîne un mécontentement public croissant, et un scepticisme sur la valeur de l’enseignement supérieur.

Pourtant, vous avez démontré dans votre livre(1) que les bénéfices liés à l’expérience universitaire sont souvent assez minimes.

Dans notre étude (qui portait sur 2.300 étudiants de différentes universités) nous avons montré qu’au bout de deux années, 45% des étudiants ne montraient aucun progrès significatif dans certaines compétences, comme le raisonnement, l’écriture ou la réflexion critique. Au bout de 4 ans, ce taux descend à 36%. Nous avons aussi constaté que les étudiants consacrent deux fois moins de temps à leur travail universitaire qu’il y a 30 ans. Les professeurs ont moins d’exigences, notamment car ils sont évalués par les élèves eux-mêmes.

Pourquoi les frais de scolarité ont-ils augmenté aussi rapidement ?

Les universités, toutes en concurrence, ont construit ces dernières années de luxueux campus, avec de vastes gymnases, des dortoirs, des “student centers” somptueux. Elles investissent beaucoup dans les services aux étudiants, et embauchent énormément de personnel non académique – tandis que le nombre de professeurs baisse. Cela n’a aucun sens.

Pensez-vous qu’il soit possible d’obtenir les mêmes niveaux qualitatifs liés à l’enseignement supérieur via les MOOC ?

Les MOOC donnent de nouvelles opportunités pour se former soi-même – même si, il ne faut pas s’emballer, les bibliothèques publiques ont toujours existé. Cela dit, je ne pense pas que les universités vont disparaître. Elles ont d’autres fonctions que la diffusion du savoir, comme la socialisation entre étudiants, l’accès à certains services… et même le mariage ! Ce qui est sûr, c’est que le modèle d’augmentation des coûts actuel est insoutenable, et qu’elles vont devoir inventer de nouveaux modèles.

(1) “Academically adrift, limited learning on college campuses”, ouvrage paru en 2011.

Jessica Gourdon | Publié le