Réseaux sociaux en classe : une révolution pédagogique ?

Fabienne Guimont Publié le
Twitter en classe avec les élèves ? S’appuyer sur les réseaux sociaux pour faire travailler les élèves ensemble de façon collaborative ? Les enseignants utilisant le web 2.0 en classe sont encore des pionniers tant les établissements n’ont pas encore intégré cette dimension. Des outils qui demandent de changer de donne pédagogique. Animée par le Café pédagogique, une conférence sur les réseaux sociaux et les jeunes a alimenté ce débat au salon Educatec-Educatice .

Professeur d’histoire-géographie et d’éducation civique dans un lycée professionnel de La Rochelle, Laurence Juin est l’une de ces aventurières du web 2.0 en classe. « Facebook est bloqué au lycée depuis un an car il y a eu des dérives. Je suis partie de là pour commencer à utiliser Twitter et en tirer quelque chose de positif. Les élèves signent une charte d’utilisation qu’ils ont élaborée, ils doivent écrire leurs messages de 140 signes en français correct, en utilisant des mots-clé. Cela leur apprend par exemple à prendre des notes rapidement, à les éduquer aux médias (quelles photos publier ou non sur Internet), à échanger entre élèves en réseau ou avec des étudiants indiens. Bref, cela permet d’impliquer plus les élèves dans l’enseignement. Mais parfois, on est encore obligé d’utiliser les smartphone des élèves pour pallier aux défaillances du matériel de l’établissement », a-t-elle témoigné.

De quoi passer encore pour un flibustier alors que les téléphones portables sont interdits en classe dans les règlements des établissements.

« Les groupes d’apprentissage permettent de créer de la confiance en l’autre»

Echanges de données entre élèves, projet collaboratif… L’utilisation des réseaux sociaux au sens large en classe requiert une pédagogie particulière. Pour le cognitiviste Idriss Aberkane, les notions de confiance et d’attention des pairs sont au cœur du fonctionnement des réseaux sociaux. Ce regard des autres (peer pressure) sur soi peut mener à l’autocensure ou à la confiance. Et ces notions doivent pouvoir être transposées dans la pédagogie pour pouvoir utiliser les réseaux sociaux en classe. Or, en France, l’apprentissage en groupe est encore marginal.

«Le système des grandes écoles cherche à ce que les élèves se mettent en avant dans un système de défiance. C’est le contraire dans la Silicon Valley où la confiance est centrale », a comparé ce visiting scholar de l’université de Stanford. Un modèle qui se décline aussi au collège et au lycée, voire dans le primaire. « Ce qui renforce les réseaux sociaux, c’est l’échange d’attention. Ce n’est pas le cas dans la classe : l’attention du prof, on la fuit car cela signifie souvent la punition. L’échange de connaissance [en France] dans la classe manque d’attention. Inversement, si on forme des groupes d’apprentissage cela permet de créer de la confiance en l’autre : on travaille pour le groupe et plus pour soi. Cette intelligence de groupe s’apprend jeune. Cette alphabétisation de la confiance devrait s’apprendre à l’école », a préconisé le jeune enseignant.

Ces nouvelles pratiques de classe se fondent aussi sur une connaissance partagée, qui n’est pas détenue uniquement par l’enseignant. Un sentiment de dépossession du savoir par des élèves qui ont eux aussi accès aux connaissances auquel les enseignants ne sont pas forcément préparés.

Les jeunes et Internet : quelques idées reçues battues en brèche

Une étude sur « Les jeunes et Internet » réalisée pour Fréquence écoles, une association engagée depuis 20 ans dans l’éducation aux médias, remet en cause certaines idées reçues. Selon les deux chercheuses qui sont allées interroger chez eux un millier d’enfants et d’adolescents, ces jeunes internautes sont des « petits vieux » sur Internet, pas des aventuriers. Neuf sur dix utilisent Internet avant tout pour regarder des clips, des films, écouter de la musique, jouer. Trois sur quatre l’utilisent pour discuter avec leurs amis ou faire des recherches… Autant d’activités qui ne révolutionnent pas les activités traditionnelles des jeunes dans la vraie vie. En comparaison, ils se sentent bridés lorsqu’ils utilisent Internet à l’école, en classe ou au CDI où copains, musique et jeux sont bannis.

Si les collégiens consomment autant la télévision qu’Internet, les lycéens privilégient la Toile. Leur méfiance vis-à-vis des dangers d’Internet croît à mesure qu’ils grandissent. Dans la grande majorité des cas, les jeunes vont sur Internet seul. Les lycéens sont les plus grands consommateurs et deux tiers d’entre eux déclarent surfer quotidiennement autour de deux heures. Les « consommateurs frénétiques » (plus de 8 heures par jour) représentent 4,3% des jeunes interrogés.

Les jeunes prennent majoritairement les réseaux sociaux (Facebook, blogs) pour des vitrines sociales et non pour des journaux intimes. « Ils s’y montrent sous leur meilleur jour pour apparaître au mieux devant leurs amis, mais ils n’ont pas conscience que c’est aussi un espace public où tout le monde peut venir les voir », a détaillé Barbara Fontar, l’une des chercheuses.

Les jeunes et Internet : de quoi avons-nous peur ? , Fréquence écoles avec la soutien de la Fondation pour l’enfance, Elodie Kredens et Barbara Fontar, mars 2010.

Les enseignants et le web 2.0

Le Café pédagogique a sondé ses internautes enseignants des premier et second degrés sur leurs pratiques personnelles et professionnelles des réseaux sociaux. Côté maison, le web2 est fort en vogue : 50% des enseignants déclarent avoir leur page Facebook, trois sur quatre sont inscrits à une liste de discussion professionnelle, 40 % utilisent Google Docs et 17% ont ouvert un compte Twitter. Côté classe, Internet est utilisé fréquemment par 60 % d’entre eux et 10 % déclarent au contraire n’en faire aucun usage en cours avec leurs élèves.

Plus surprenant, alors que les téléphones sont interdits en classe, 13% des enseignants déclarent avoir utilisé Internet via ce biais et 10 % envoyé des textos. La moitié des enseignants répondent aussi que « les réseaux sociaux peuvent servir de vecteur pédagogique ».

« Cela interpelle l’institution alors qu’il n’y a pas l’accès au web2 dans les établissements. Si les jeunes et les profs utilisent les réseaux sociaux pour eux, il va bien falloir affronter ces interdits et ces blocages », conclut François Jarraud, rédacteur en chef du Café pédagogique.

Fabienne Guimont | Publié le