Roger Serre : "Faire entrer un fonds dans le groupe IGS n’est pas dans notre philosophie"

Cécile Peltier Publié le
Roger Serre : "Faire entrer un fonds dans le groupe IGS n’est pas dans notre philosophie"
Le groupe IGS est présent sur le secteur des écoles de commerce via l'ICD. // ©  IGS
Quelle place pour les entrepreneurs de l’éducation sur un marché de l’enseignement supérieur privé, hyperconcurrentiel, et investi par les fonds d'investissement ? Roger Serre, délégué général et l'un des fondateurs du groupe IGS, créé en 1975, nous livre ses réflexions, en amont de la conférence EducPros du 22 mars.

Le groupe IGS (Institut de gestion sociale), né il y a plus de quarante ans, est l’un des plus anciennes composantes du paysage de l'enseignement supérieur privé. Combien pèse-t-il aujourd’hui, et quelle est sa spécificité ?

Le groupe IGS, créé avec l’aide de l'Unaf (Union nationale des associations familiales) et des chefs d'entreprise humanistes, doit son originalité au fait de couvrir l’ensemble du panorama de la formation de bac - 4 à bac + 8 : formation initiale, continue, alternance, insertion et services éducatifs aux entreprises.

Roger Serre, délégué général du groupe IGS.
Roger Serre, délégué général du groupe IGS. © IGS

Sur ses 15.200 élèves, 3.500 sont étudiants, 2.000 salariés en formation continue, ainsi que 7.500 apprentis et alternants et 2.200 jeunes en difficulté. Son autre singularité, c'est son positionnement : depuis les origines, nous défendons une approche sociale de l'éducation au service de l'emploi.

Notre troisième spécificité, c'est notre statut : le groupe IGS est une fédération d’associations à but non lucratif, totalement indépendantes. Nous sommes associatifs et fiers de l’être !

L’enseignement supérieur est devenu un marché de plus en plus concurrentiel. Comment faire pour résister ?

Incontestablement, notre environnement est devenu très compétitif, en particulier dans le domaine des écoles de commerce, où nous sommes présents via l’ICD. Mais nous avons toujours misé sur la pluridisciplinarité, en rassemblant des écoles dans huit filières de compétences : les RH, le commerce, la communication, l'informatique, la finance, l'immobilier, les métiers de la santé et le management international.

La diversité de nos activités nous permet de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier : sur un budget total de 97 millions d'euros, les frais de scolarité représentent environ 35 % de nos ressources, 35 % proviennent de l'alternance, 23 % de la formation continue et 7 % de la taxe d’apprentissage (barème).

Notre organisation fédérative nous permet de maintenir des établissements ou des programmes à taille humaine – nos promotions ne dépassent pas 100 étudiants. Et d'offrir un suivi très personnalisé tout en optimisant la gestion, grâce à une mise en commun de tous les moyens logistiques.

Dans quelle mesure la réforme du financement de l’apprentissage affectera-t-elle ce modèle ?

La baisse du barème [rebaptisé contribution au développement des formations professionnalisantes], qui représente 7 %, de notre budget nous inquiète. L'obligation pour les entreprises de faire verser toute leur taxe d'apprentissage à l’Urssaf marque une rupture dans la relation essentielle que les entreprises entretiennent avec les écoles. Cela constituait l'un des fondements de la réforme Delors de 1971.

Dans un monde de l'emploi de plus en plus transversal et interprofessionnel, cette relation ne doit pas être tuée par une verticalisation par branches.

Concernant la partie "quota", je redoute que le nouveau système de financement des CFA (centres de formation des apprentis) au travers des branches n'accroisse l'iniquité entre les différents systèmes (public, consulaire, associatif, privé. Si l’enveloppe globale reste la même, avec un objectif de 100.000 apprentis supplémentaires, le budget par apprenti risque de diminuer... Or, faut-il privilégier les hauts ou les bas niveaux de qualification ?

Si le nombre de places d’apprentissage n’a pas augmenté au niveau infrabac [...] c’est parce que les entreprises n’embauchent pas ces apprentis, qui ne sont pas assez bien formés.

Il me semblerait juste que cette réforme se fasse au bénéfice des seconds, et dans ce cas, tout faire pour améliorer les chances de réussite des bacheliers professionnels dans le supérieur. Si le nombre de places d’apprentissage n’a pas augmenté au niveau infrabac, ce n’est pas parce que les régions ne financent pas. C’est parce que les entreprises n’embauchent pas ces apprentis, qui ne sont pas assez bien formés. On pourrait imaginer une sorte de propédeutique, pour qu'ils acquièrent en un an culture générale et connaissance des métiers.

Il ne faut pas oublier que l'apprentissage est d'abord une philosophie pédagogique, qui conjugue à la fois orientation, formation et placement, alors que l'on ne discute que des tuyaux de financement. La pédagogie ne fait pas partie des négociations, alors que les CFA et les entreprises sont les vrais et seuls acteurs de l'insertion.

Vous déclarez avoir été approchés par des fonds. Votre fonctionnement et vos missions semblent pourtant assez éloignés des leurs...

Notre qualité et notre solidité nous valent d’avoir été approchés par les fonds. Ils savent que les entreprises et les jeunes apprécient nos formations et sont intéressés par l'autonomie de chacun de nos établissements, ainsi que par notre organisation par filières de compétences. En revanche, nos résultats financiers les refroidissent quelque peu... En effet, en tant que fédération d'associations, le profit n'est pas notre objectif et toutes les ressources dégagées sont systématiquement réinvesties – soit 1 à 2 % de notre budget global chaque année – dans l'innovation et le développement de nos établissements.

Cela tombe bien : faire rentrer un fonds qui revendrait avec une plus-value d'ici à cinq ans n’est pas dans notre philosophie. Notre projet éducatif s’inscrit sur le long terme.

Dans ces conditions, comment rester compétitif tout en assurant l’équilibre budgétaire ? En augmentant les frais de scolarité ?

Non, nous essaierons toujours de limiter les frais de scolarité à un niveau acceptable, afin de continuer à être accessible.

Nous resterons fidèles à notre modèle, en capitalisant sur la pluridisciplinarité, à travers nos huit filières dispensées dans nos 14 établissements. Nous ajouterons de nouvelles filières de compétences métiers et nous développerons nos formations dans les domaines de la culture, du design, de l'art et de la créativité.

Sur le plan financier, nous visons des coopérations à long terme avec les entreprises et les branches professionnelles. Je milite pour la création d’un statut d’entreprise éducative sans versement de dividendes, qui permettrait aux associations de se doter des fonds propres indispensables à leur croissance.

Pourquoi le statut EESC serait-il réservé aux établissements consulaires ?

Ce que vous souhaiteriez, c’est une sorte d’EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) ?

Pourquoi ce type de statut serait-il réservé aux établissements consulaires ? On pourrait imaginer l’ouvrir aux écoles associatives comme les nôtres, avec une prise de participation minoritaire de fonds familiaux, de fondations ou d’entreprises. Pour elles, l’intérêt serait triple : fiscal, sociétal et professionnel. Pour nos écoles, les relations avec les entreprises sont fondamentales, la loi doit les encourager.

Vous êtes également à la tête du réseau C&D (Idrac, 3A, Ifag, Supdecom, etc.). Des bruits insistants vous disent prêt à le céder en partie ou en totalité à un fonds. Est-ce le cas ?

Il faut se méfier des bruits ! J’ai l’honneur de présider le comité de gouvernance du réseau C&D, qui est un groupement de moyens logistiques et pédagogiques au service de ces différentes écoles. À ma connaissance, aucune d’entre elles ne prévoit de le céder.

Envisagez-vous à un moment de passer la main, et à qui ?

Bien sûr ! J’espère passer le relais d’ici à cinq ans. Le groupe IGS est une communauté académique et une grande famille qui a la chance de compter des gens nettement plus jeunes que moi, de grande qualité et expérimentés. L’important est que la vision, la mission et la passion demeurent inchangées. Je n’ai aucune inquiétude là-dessus.

Nous nous battrons jusqu'au bout pour conserver notre modèle qui intègre une triple performance ; académique, économique et sociale. Avec l'aide de l’État, on l'espère : celui-ci doit contribuer à soutenir le pluralisme dans l’enseignement supérieur et professionnel, et encourager l’entrepreneuriat éducatif.


Conférence EducPros sur le marché de l'éducation

EducPros organise, le 22 mars 2018, à Paris, une conférence sur le marché de l'éducation. Dans un contexte économique contraint, l'enseignement supérieur français voit la part de financements privés croître, année après année. Rachat d'écoles par des fonds d'investissement, arrivée d'investisseurs étrangers et de sociétés de capital-risque sur le marché… Quels sont les objectifs de ces acteurs privés ? Quelles sont les conséquences de cette libéralisation sur la gestion des établissements, leur développement et leur offre pédagogique ? Telles sont les questions dont les intervenants débattront lors de cette journée.
Programme et inscription

Cécile Peltier | Publié le