Saclay : un campus sous pression

Sylvie Lecherbonnier et Fabienne Guimont Publié le
Saclay : un campus sous pression
Projet de campus sur le plateau de Saclay. // © 
Les six premiers dossiers finalisant les projets de campus sélectionnés devaient arriver sur le bureau de Valérie Pécresse à la date butoir du 3 novembre 2008. Ces notes d’intention détaillent les plans de financements et les partenariats avec les collectivités territoriales de chaque projet. Le comité de sélection de l’Opération campus se réunira mi-novembre 2008 pour définir les moyens qui leur seront alloués. Sélectionné lors de la seconde vague, le plus grand des projets, celui du plateau de Saclay ne doit rendre sa copie qu’en février 2009, si tout va bien... Le pilote de ce projet, Philippe Lagayette, a en effet démissionné en octobre 2008 de ses fonctions. Il est remplacé par deux chargés de mission. Pour la partie campus, la ministre de l’enseignement supérieur a choisi fin octobre Jacques Glowinski, jusqu'alors membre du comité de sélection et professeur honoraire en neuropharmacologie au Collège de France. Il sera chargé de définir les priorités en mettant d’accord les 21 acteurs de ce projet chiffré initialement à 1,8 milliard d’euros. Un dossier plus que complexe. Sur l’aménagement du plateau, son co-pilote sera Vincent Pourquery de Boiserin, directeur régional et départemental de l’Equipement (Centre et Loiret), nommé lui par Christian Blanc, secrétaire d’Etat chargé du développement de la région capitale...

Sur le papier, le projet de campus du plateau de Saclay impressionne. Vingt-huit pages de développements de synergies, de créations d’instituts de recherche, de déménagements en cascade (1). L’objectif est clair : faire émerger le MIT français, le campus d’excellence en gestation depuis trente ans sur ce territoire francilien. Si tout est réalisé selon les plans initiaux, le plateau comptera en 2015, 27000 étudiants, 7000 doctorants et plus de 12000 enseignants-chercheurs. Reste à passer du papier à la réalité. Avec des établissements aussi emblématiques que Polytechnique ou l’université Paris 11, les compromis seront difficiles à trouver.

Définir des priorités. Après avoir difficilement obtenu l’agrément du comité de sélection de l’Opération campus (2), l’heure est à la définition des priorités. Faut-il privilégier la naissance de l’Institut de mathématiques ou de l’Institut de l’énergie ? Est-il plus urgent de rénover les locaux d’Orsay de Paris 11 ou de financer la venue de nouveaux établissements sur le plateau ? Les 21 établissements ont jusqu’à février 2009 pour finaliser la déclinaison opérationnelle du projet. Une déclinaison orchestrée jusqu'à sa démission par Philippe Lagayette, président de la fondation de coopération scientifique « Digiteo-Triangle de la physique ». Jacques Glowinski devra reprendre la main et assurer les arbitrages.

Gérer les conflits. Si les collaborations entre les 21 établissements signataires ne cessent de croître, la concurrence entre eux reste vive. RTRA, pôle de compétitivité, groupement d’intérêt scientifique… les structures s’empilent sans concertation. A l’image des deux PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur) qui auront chacun leur pôle en sciences de l’ingénieur. Alors que ParisTech regroupe déjà 11 écoles d’ingénieurs, Universud a prévu la constitution d’un collège des sciences de l’ingénieur avec Centrale Paris, Supélec et l’ENS Cachan. Un doublon qui en dit long… Autre source de tensions : le périmètre géographique. L’OIN (opération d’intérêt national) lancée en 2006 afin d’aménager le plateau et ses environs concerne 49 communes étendues sur 37000 hectares. L’Opération campus, elle, ne s’intéresse qu’aux 900 hectares compris entre Jouy-en-Josas et Palaiseau. Cette vision restreinte du plateau ne satisfait pas l’université de Versailles-Saint-Quentin privée, de fait, de cette manne budgétaire. La désignation de Jacques Glowinski, garant avec Lucien Chabason depuis 2006 de la concertation sur cet OIN, devrait mettre de l'huile dans les rouages.

Boucler le financement. Mais c’est avant tout du volet financier que dépend l’émergence du campus. Les 21 établissements ont vu grand. « Nous avons écrit une véritable lettre au Père Noël », confie l’un d’eux. Il leur faut trouver 1,8 milliard d’euros (dont 1 milliard d’euros d’ici à 2015). Bien plus que ce qu’ils peuvent espérer du gouvernement… Les dix lauréats de l’Opération campus devraient en effet se partager les fruits du placement d’un fonds de cinq milliards d’euros. Soit environ entre 150 et 250 millions d’euros par lauréat.

Arbitrages. Les établissements du plateau misent donc sur l’effet de levier du plan campus, sur les partenariats public-privé et sur les collectivités territoriales. Leur intention : financer 80% des opérations par des sources privées. Une gageure dans le paysage de l’enseignement supérieur français. Des arbitrages seront nécessaires. Chacun le sait. 300 millions d’euros sont destinés à Paris 11 pour la rénovation de ses locaux. Il en faudra 500. De même, si 300 millions doivent permettre l’arrivée de nouveaux établissements sur le plateau, les acteurs implantés de longue date les poussent à s’autofinancer.

Quelles que soient les dissenssions passées ou à venir, universités, grandes écoles et organismes de recherche savent qu’ils n’ont pas le choix. Nicolas Sarkozy, qui a fait de Saclay un chantier présidentiel, les a déjà prévenus lors de la cérémonie en l’honneur du prix Nobel de physique Albert Fert, le 28 janvier 2008 à Orsay : « A la fin 2008, cette opération aura un pilote et un projet qui associera toutes les institutions scientifiques, grandes écoles, universités et bien sûr les élus, pour aller de l’avant ».

(1) Parmi les membres de ParisTech, AgroParisTech, l’ENSAE et l’ENSTA ont prévu de déménager entièrement sur le plateau de Saclay, l’Institut Télécom et l’Ecole des mines de Paris partiellement. Autres volontaires : Centrale Paris et l’ENS Cachan.
(2) Le dossier a été sélectionné lors du second appel à projets en juillet 2008. Lors du premier appel en mai, le jury avait jugé les projets « isolés et non structurants ».

Sylvie Lecherbonnier et Fabienne Guimont | Publié le