Serious games : les écoles d'ingénieurs s'y mettent aussi

Fabienne Guimont Publié le
Serious games : les écoles d'ingénieurs s'y mettent aussi
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Inabordables pour des établissements d’enseignement supérieur les serious games ? Pas si sûr. Itinéraires de sérieux professeurs fondus de pédagogie : Patrick Prévot, initiateur d’une quinzaine de serious games à l’INSA de Lyon et Jean-François Parmentier, créateur d’un simulateur à l’INP de Toulouse. Loin des effets d’annonces ou de mode. Ces logiciels d’apprentissage fondés sur les ressorts des jeux vidéos ont récemment fait leur entrée dans le vocabulaire de l’enseignement supérieur au plus haut niveau. Reprenant une des propositions du rapport Isaac, Valérie Pécresse souhaite que les universités utilisent ces serious games comme un des outils pédagogiques. Rencontre avec des pionniers.

Bandit manchot, jack-pot, mots croisés… Il y a 20 ans, Patrick Prévot - alors professeur au département d’informatique industrielle à l’INSA de Lyon - s’est convaincu de l’intérêt des jeux dans l’apprentissage en développant des « mini-cas industriels ludiques » pour Lafarge. Le groupe mondial devait alors former ses salariés sur des produits informatiques dans ses cimenteries industrielles. Ses serious games ont fait fureur avec des jeux traduits dans plusieurs langues.  

1 heure de serious game = 7 heures d’amphi

« Je suis venu aux serious games par la formation continue avant de les appliquer à la formation initiale. J’utilise le jeu comme un catalyseur de l’apprentissage, pas comme un divertissement. Classiquement, on estime qu’une heure de serious game équivaut à sept heures d’amphi », pose Patrick Prévot, aujourd’hui responsable du laboratoire ICTT (Interaction collaborative, téléformation, téléactivités) de l’INSA Lyon et de l’Ecole centrale lyonnaise.

Cette intuition, il l’applique lorsqu’il crée en 1992 le département génie industriel de l’INSA  : il fonde sa pédagogie sur les préceptes du e-learning et de la formation par les jeux. Quinze ans plus tard, le département lance la création d’un serious game par an. Il faut trois ans pour arriver à un prototype. Développés par une entreprise, ces serious games coûteraient entre 150 000 et 200 000 euros l’unité.

3500 heures par projet collectif

Quelle est la recette de l’INSA de Lyon ? Dans la formation de génie industriel, le management de projet est la pierre angulaire de la formation. Patrick Prévot a donc eu l’idée d’utiliser le projet collectif – où un contrat est signé avec un industriel sur un vrai projet - pour faire développer à certains élèves (par groupes de 8) des serious games.

Chaque groupe d'élèves passe 3500 heures sur ce projet collectif. « Sur trois ans de développement, on arrive ainsi à quelque 10000 heures de travail. Même si des professionnels y passeraient trois ou quatre fois moins de temps, ce projet collectif permet ainsi de s’autofinancer. Si le serious game est développé pour une entreprise , elle nous verse une indemnité compensant la mise à disposition de l’équipement pédagogique. Si c’est un serious game développé pour l’école , les industriels mettent à notre disposition des cas et leurs experts », explique Patrick Prévot.

Côté école, les projets collectifs sont encadrés par trois tuteurs (pédagogique, technique, management) épaulés par une équipe de recherche de cinq personnes dédiée aux serious games. L’école paie en plus des prestations de graphistes.

Des clients sérieux pour l’INSA de Lyon

« Les écoles d’ingénieurs utilisent depuis longtemps des jeux pour simuler les fonctions économiques des entreprises. Mais sur les serious games scientifiques, nous sommes les seuls à le faire à cette échelle. La France est sous-développée en ce domaine comparée au Canada », constate Patrick Prévot. Pourtant, les entreprises comme Thalès, Alsthom, Hewlett-Packard ou le CNES sont preneuses.

« Les entreprises qui ont délocalisé ont des problème de capitalisation de leur savoir et de leur savoir-faire. Le e-learning est le bras séculier du knowledge management qui permet de former les nouveaux venus », analyse Patrick Prévot, un des pères du campus numérique INSA-V au début des années 2000. L’école vient aussi de développer cinq jeux pour le CNED. Pour le Centre spatial, une plateforme de e-learning sur les lancements de satellites est en cours. Autre client, plus inattendu : la chambre des experts comptables. Elle a commandé un jeux sérieux destiné à démythifier les métiers de la branche et les rendre plus attractifs auprès des élèves des grandes écoles de commerce. Le projet devrait aboutir en avril 2009.   

Etudier les ondes en évitant les bouchons

A plus petite échelle, un doctorant de l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse (IMFT), calé en programmation, a développé avec son amie graphiste amatrice un simulateur de trafic routier en ligne depuis la rentrée 2008 sur la plateforme pédagogique de l'ENSEEIHT. 60 élèves de deuxième année de cette école d'inégeniur de l'INPT mettent ainsi en application un cours magistral complexe sur les ondes et la méthode des caractéristiques. Jusqu’alors, le TP était réalisé sur un canal hydraulique de 10 mètres de long dans l’école. « Au départ, j’ai réalisé ce simulateur car il y a quelques années, j’avais suivi ce même cours magistral en temps qu’élève et je l’avais trouvé très théorique ». J’ai proposé à l’enseignant de développer ce simulateur pour son TP, explique Jean-François Parmentier.

Le concepteur du simulateur y trouve aujourd'hui beaucoup d’avantages pédagogiques. « L’élève peut l’utiliser à l’heure qu’il veut – contrairement au canal hydraulique-, il peut recommencer et progresser par essais-erreurs et faire des mesures pour vérifier un calcul théorique ». Les élèves, répartis en deux groupes de 30, travaillent en binôme sur un poste. Deux enseignants répondent sur la théorie de l’énoncé et sur l’utilisation du simulateur. Les élèves travaillent ensuite de chez eux en posant leurs questions sur un forum. Les enseignants s’engagent à y répondre dans les 24 heures.

Compétences et motivation

Jean-François Parmentier y trouve son compte. « Je veux devenir enseignant-chercheur en mécanique des fluides et je veux faire de cet outil un atout pédagogique. L’idée est de pouvoir réutiliser ce simulateur pour appliquer la théorie cinétique des gaz en transformant les voitures en billes de billard ».

Les ingrédients de sa recette ? D’abord la motivation et le bénévolat : 50 heures de programmation et de travail sur le graphisme ont été nécessaires. Déjà formé sur l’enseignement aux jeux vidéos pour des adolescents, il a pu compter sur l’ENSEEIHT à d’autres titres : mise à disposition de sa licence sur Macromedia Flash, 15 heures de formation sur ce logiciel, vacations d’enseignement et prise en charge de la protection juridique du simulateur qui devrait être libre d’utilisation.

Des pionniers loin des millions de dollars estimés pour le marché des serious games… A moins que. L’incubateur Rhône-Alpes a déjà accompagné cinq entreprises développant des serious games et Patrick Prévot ne serait pas hostile à créer son entreprise si le bon partenaire venait à se présenter. Pour Jean-François Parmentier, les développements du simulateur attendront la fin de sa thèse…   

Ce que dit le rapport Isaac sur les serious games

Le rapport Isaac, L'université numérique, a été rendu à Valérie Pécresse en janvier 2008. Extraits.

« Le jeu-vidéo n’est plus simplement envisagé comme une simple distraction dévorante des nouvelles générations. Le succès croissant du jeu-vidéo auprès des jeunes, l’arrivée de nouvelles interfaces sur les nouvelles consoles de salon (Nintendo DS, Wii), ouvrant celles-ci à de nouveaux publics (femmes, seniors), oblige à repenser le jeu-vidéo ».

« Son potentiel éducatif a fait l’objet de plusieurs études et se traduit par la notion de « serious game ». Des institutions comme l’armée américaine, des universités de médecine, mais aussi une société comme IBM, ont développé des jeux-vidéo afin de former leurs personnels à des problématiques spécifiques (guérilla urbaine, bloc opératoire, gestion des processus métiers en entreprise). Les interfaces des jeux-vidéos, leur structure narrative, les modalités d’apprentissage (essai-erreur) apparaissent comme des caractéristiques intéressantes pour la formation. Il n’en demeure pas moins que le modèle économique du jeu-vidéo empêche à ce jour un développement plus rapide des « serious game » dans l’enseignement. Les investissements financiers et humains, le cycle de vie des jeux, le rôle prépondérant des fabricants de console (Sony, Nintendo, Microsoft) sur les standards et les modalités économiques de cette industrie constituent de sérieux obstacles au développement de jeux-vidéos pour l’enseignement ».

Les serious games tiennent salons en France

Convention des producteurs de serious games organisée par la CCI du Valenciennois à Lille (26 novembre 2008), quatrième salon européen des jeux sérieux à Lyon (3 décembre 2008). La saison des professionnels des serious games est lancée avec des appétits aiguisés par les chiffres .     

Fabienne Guimont | Publié le