Serious games : les enseignants se piquent au jeu

Céline Authemayou - Mis à jour le
Serious games : les enseignants se piquent au jeu
Le Mooc, comme le DIU, entend fournir aux apprenants une culture mais aussi un esprit critique autour du jeu, en tant que nouvelle forme de pédagogie. // ©  plainpicture/Dave Wall
Les serious games envahissent le secteur de l’éducation. Pour permettre aux enseignants d’intégrer cette nouvelle pratique pédagogique dans leurs cours, des offres de formation voient le jour. Mooc ou diplôme universitaire, zoom sur deux de ces initiatives, à l'occasion de la conférence EducPros du 27 avril 2017.

Comment enseigner avec les serious games [jeux sérieux] ? La réponse à cette question fera l'objet d'un Mooc, proposé sur la plateforme FUN (France université numérique) à partir du 10 mai 2017. À deux semaines du début des cours, 4.000 personnes se sont déjà inscrites pour suivre cette formation, portée par l'université de Montpellier et sa faculté d'éducation.

"Pour un sujet de niche, c'est un très bon chiffre, se réjouit Damien Djaouti, enseignant-chercheur en informatique à l'université héraultaise et coordinateur du projet. Cela nous met même une certaine pression, nous qui sommes habitués à faire cours devant des amphis de 200 étudiants... !"

Observateur du phénomène "serious game" depuis dix ans, Damien Djaouti avait publié en 2016, avec Julian Alvarez et Olivier Rampnoux, un ouvrage dédié à la pédagogie par le jeu. Le Mooc constitue la suite de ce premier travail.

"Pas une seule bonne manière d'utiliser le jeu"

Le cours, qui s'étalera sur sept semaines, décryptera le concept du jeu sérieux, son histoire, ses avantages et ses inconvénients. Mais il donnera aussi et surtout aux apprenants des pistes pour intégrer les jeux dans les classes et trouver les supports ludiques adaptés à leurs besoins.

"Pour certains, le jeu est l'exercice d'application d'un cours, constate Damien Djaouti. À l'inverse, d'autres l'utilisent comme outil de découverte pour, ensuite, construire des connaissances et des compétences. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y a pas une seule bonne manière d'utiliser le jeu."

C'est ce même constat qui a poussé Julien Alvarez, professeur associé à l'université de Valenciennes et chercheur sur les jeux sérieux, à réfléchir à la création d'un DIU (diplôme interuniversitaire) "Apprendre par le jeu". Porté par l'Espé (École supérieure du professorat et de l'éducation) de Lille, en partenariat avec le CRI (Centre de recherches interdisciplinaires), ce DIU sera lancé à la rentrée 2017 et permettra à une vingtaine d'étudiants d'obtenir un diplôme doublement estampillé Espé de Lille et Paris 5.

"Sur le terrain, nous observons que de plus en plus d'enseignants – de la maternelle à l'enseignement supérieur – souhaitent faire usage ou font déjà usage du jeu en classe, souligne Julian Alvarez. Ils ont des demandes très concrètes : quel jeu utiliser ? Comment s'emparer des jeux vidéo classiques pour en faire un outil pédagogique ? Le DIU entend les accompagner et nourrir leur réflexion, leur culture mais aussi leur esprit critique autour de cette nouvelle forme de pédagogie."

Un DIU pour les enseignants et les pros du jeu

La formation, qui comptera 120 heures de cours en présentiel et se déroulera à Lille et à Paris, s'adresse aux enseignants, mais pas seulement. "Le diplôme cible aussi les formateurs, les cadres de l'Éducation nationale ou encore les professionnels du jeu", détaille Antoine Taly, responsable pédagogique du DIU.

"L'industrie du jeu vidéo, par exemple, s'intéresse de plus en plus à cette composante sérieuse", renchérit Julian Alvarez. Et ce dernier de citer Minecraft Education, porté par Microsoft ou encore une version éducative à venir d'"Assassin's Creed", l'une des séries phares de jeux éditées par Ubisoft.

La gamification devient une approche envisageable. Il faut donc que l'école soit également prête à entendre ce genre de choses.
(J. Alvarez) 

Le diplôme pourrait également intéresser les services des ressources humaines des entreprises, de plus en plus prompts à utiliser les serious games pour insuffler un changement d'organisation au sein des services. Récemment, le chercheur est intervenu chez Natixis, filiale du groupe Caisse d'Épargne qui repense actuellement sa gestion des ressources humaines. "Ces exemples prouvent que des changements sociétaux sont en train de s'opérer : la gamification devient une approche envisageable. Il faut donc que l'école soit également prête à entendre ce genre de choses", analyse Julian Alvarez.

La pratique du jeu institutionnalisée 

Le secteur éducatif est-il prêt pour ces mutations ? "L'enseignement par le jeu véhicule pas mal d'a priori et n'est pas toujours bien perçu. Mais, depuis quelques années, les mentalités évoluent", reconnaît Damien Djaouti. Aux côtés des enseignants pionniers, à l'origine de projets tels que le réseau Ludus, fondé en 1998, une nouvelle génération de profs s'empare du phénomène. Un phénomène ni plus ni moins à l'image d'une société "qui semble redécouvrir depuis quelques années l'intérêt du jeu", poursuit le chercheur.

Quant à l'institution "Éducation nationale", elle semble, elle aussi, faire du chemin sur le sujet, soutenant certaines initiatives, à l'image de la création de la plate-forme nationale "Apprendre avec le jeu numérique", qui met à disposition des internautes des ressources pédagogiques. "Un travail important est également effectué du côté de certaines académies", complète Damien Djaouti.

Fin mars, le rectorat de Montpellier a ainsi soutenu l'événement EduGame Jam, qui a réuni pendant 30 heures des étudiants en formation de jeux vidéo et des enseignants, dans le but de concevoir ensemble de nouveaux outils pédagogiques. "Au bout de deux jours, les enseignants avaient appris le vocabulaire informatique des étudiants... tandis que ces derniers nous parlaient du socle commun de compétences", sourit Damien Djaouti, convaincu du "potentiel formidable" offert par les jeux.

Créativité : enjeux pédagogiques et stratégiques des approches innovantes. Prochain #ConfEP
Design thinking, espace de coworking, learning lab, fablab, classe inversée, évaluation par les pairs, gamification... Il n'est pas toujours facile de s'y retrouver parmi ces termes frenglish qui se ressemblent parfois. D'autant que l'absence d'études claires et reconnues ne permet pas d'assurer la réelle valeur ajoutée de ces pratiques parfois compliquées à mettre en place. 

Jeudi 27 avril, EducPros vous propose un tour d'horizon de ces pratiques par le témoignage direct de ceux qui les font et les analysent : professeurs, chercheurs, consultants et même étudiants. 
Un atelier tenu par des professionnels du design participatif vous permettra d'expérimenter directement l'agilité des procédés collaboratifs. 

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