Université : un réseau francophone pour que les femmes prennent le pouvoir

Isabelle Maradan Publié le
Université : un réseau francophone pour que les femmes prennent le pouvoir
Le Canada est le pays qui compte le plus de femmes présidentes d'université. Ici, Montréal. // ©  MC
Même dans les pays où l'égalité femmes-hommes est déjà une notion bien intégrée, peu de femmes sont à la tête d'universités ou de grandes écoles. Leila Saadé, coordinatrice du Réseau francophone de femmes responsables dans l'enseignement supérieur et la recherche, créé par l'AUF (Agence universitaire de la francophonie) en novembre 2014, considère que l'enseignement supérieur ne peut pas être performant en mettant de côté 50% de ses forces.

Leila Saade, coordinatrice du réseau francophone des femmes responsables dans l'enseignement supérieur et la rechercheSeulement 19% des postes de présidents d'université sont occupés par des femmes au Canada, et c'est le taux le plus élevé observé. Où sont les femmes dans le monde de l'enseignement supérieur ?

On pourrait penser que ce monde est épargné par ces discriminations. J'étais plutôt convaincue que de longues études universitaires allaient de pair avec un fond de valeurs partagées, à commencer par l'égalité femmes-hommes. Or, même dans le monde universitaire, l'idée que le pouvoir n'est pas la place des femmes demeure. En France, où plus de 50% des étudiants sont des étudiantes, les femmes ne représentent plus que 23% des professeurs des universités et moins de 15% des présidents des universités.

Comment pouvez-vous expliquer une telle sous-représentation des femmes au sein de la hiérarchie universitaire ?

Même avec des textes non discriminatoires, neutres, de fortes discriminations existent dans l'université. Les femmes en âge de procréer ne se placent pas véritablement dans le mouvement de l'avancement universitaire. La contrainte d'être suffisamment présentes auprès des enfants pèse sur les mères. Subsiste encore l'idée que le métier de professeur va très bien avec le statut de femme, parce qu'on travaille beaucoup chez soi. Il y a une forte pesanteur familiale, sociale, historique aussi. Récemment, au Liban, un homme et une femme étaient en lice pour un poste de recteur, l'équivalent de président d'université en France, nommé pour cinq ans par le conseil des ministres (où il n'y a qu'une femme). L'homme a été préféré. Pas pour des questions de compétences mais parce qu'il se disait qu'il était trop tôt pour avoir une rectrice ici. 

Pensez-vous que des quotas – souvent accompagnés d'un procès en incompétence des femmes nommées – soient nécessaires pour faire progresser l'accès des femmes aux responsabilités dans les universités ?

S'il peut y avoir quelque chose de gênant dans le fait d'imposer un certain pourcentage de femmes par quotas, que proposer après des millénaires où elles n'avaient aucune existence dans des lieux de décision ? Quant à la question de l'incompétence, se la pose-t-on lorsque 90% des hommes figurent sur une liste électorale ou détiennent le pouvoir ? Le constat est que des femmes brillantissimes n'y accèdent pas car elles sont discriminées. En tant que juriste, je suis convaincue que la loi, le règlement, est une manière institutionnelle d'ouvrir les portes.

Même si les quotas ne représentent pas une méthode flamboyante, il s'agit d'un moyen d'amorcer un mouvement vers l'égalité. Cela permet aux femmes qui n'auraient pas franchi le pas sans incitation, de se "réveiller" et de s'imposer pour prendre des responsabilités. Un ancien recteur de l'université libanaise disait toujours que les femmes étaient plus rigoureuses et plus performantes. C'est parce que nous avons davantage besoin de prouver notre compétence. En termes de légitimité, quand les hommes commencent à zéro, nous commençons à moins 100.

Même si les quotas ne représentent pas une méthode flamboyante, il s'agit d'un moyen d'amorcer un mouvement vers l'égalité.

L'objectif de la formation que proposera le Réseau francophone des femmes responsables dans l'enseignement supérieur et la recherche, au mois d'octobre, est-il de permettre au femmes de commencer “à zéro” plutôt qu'à “moins 100” ?

L'AUF a créé un réseau francophone des femmes responsables dans l'enseignement supérieur et la recherche pour promouvoir l'accès des femmes universitaires aux postes à responsabilité. A compter du mois d'octobre 2015, le réseau des femmes de l'AUF proposera une autoformation tutorée en ligne pour aider les femmes à endosser des responsabilités dans le monde universitaire. Elle comprend trois modules. Le premier décortique ce qui est lié au genre pour prendre conscience des stéréotypes. Le deuxième vise à donner des outils pour l'exercice des responsabilités au sein des universités. Le troisième porte sur les transformations institutionnelles qu'apporte une approche fondée sur l'égalité femmes-hommes.

Si les femmes se mettent en rang pour faire évoluer les institutions, elles iront plus loin que si elles se contentent du statut de maître de conférences. J'espère que des hommes suivront également cette formation. Je suis convaincue qu'on évoluera plus rapidement s'ils sont partie prenante. Chacun doit comprendre que la politique d'égalité est une assurance de qualité pour l'université comme pour la politique ou l'administration d'un pays. L'enseignement supérieur ne peut pas être performant en mettant de côté 50% de ses forces.

Fin 2015, nous allons donc également mettre en place un Observatoire de l'égalité au sein des universités du monde entier et installer un ou une référent "genre" par université. Son rôle sera de répondre aux questions sans passer par les directeurs de labos, la hiérarchie. Nous souhaitons également accorder un label égalité aux universités "bonnes élèves".

Quelles universités peuvent être actuellement considérées comme de "bonnes élèves" ?

Actuellement : pas grand monde ! Pour l'instant, seuls les pays scandinaves sont beaucoup plus évolués que les autres. Les femmes sont plus de 40% dans les institutions législatives comme au sein du pouvoir universitaire. Dans un premier temps, le label sera décerné à celles qui feront le plus de progrès en matière d'égalité.

Leila Saadé
Juriste de formation, Leila Saadé a fondé et dirigé pendant 15 ans la filière francophone de droit de l'université libanaise en coopération avec l'AUF, puis a été doyenne de l'Ecole doctorale de droit et des sciences politiques, administratives et économiques, avant de prendre la présidence de l'Ecole doctorale de droit du Moyen-Orient, qui regroupe 14 universités.
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